75 ans depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale
Le monde sortait durablement traumatisé du carnage qu’avait représenté la Deuxième guerre mondiale. La période immonde, située entre 1939 et 1945, avait donné la mesure du règne de l’inhumanité. Aux tragédies du front s’ajoutèrent les tragédies des camps et des déportations. Aux idéologues de la haine tombèrent victimes, en égale mesure, militaires et civils. Le summum de l’horreur qu’a représenté l’Holocauste, avec ses 6 millions de victimes juives, donne la mesure de l’époque. Le 9 mai 1945, avec la capitulation de l’Allemagne nazie, l’Europe retrouvait, enfin, la paix. Une fin heureuse, en quelque sorte.
Steliu Lambru, 10.08.2020, 13:28
Pourtant les fruits de cette paix n’ont pas été les mêmes dans toute l’Europe. Alors que l’Occident retournait, petit à petit, à une vie normale, l’Europe centrale et de l’Est, y compris la Roumanie, se retrouvait soumise à l’occupation soviétique, forcée d’expérimenter, pour un demi-siècle, le régime communiste. Avec Vladimir Tismăneanu, professeur de sciences politiques et spécialiste de l’histoire du communisme à l’Université de Maryland, aux Etats-Unis, nous essayons de déceler les places occupées par le Bien et le Mal pendant cette Deuxième guerre mondiale : « Ma lecture des faits s’inspire surtout d’auteurs tels que Hannah Arendt, Arthur Koestler et George Orwell. Il ne s’agissait pas à proprement parler d’une lutte entre un bien absolu, mettons celui incarné par les démocraties de la coalition antifasciste, et un mal absolu, comme l’on pourrait croire. Dans la coalition antifasciste nous retrouvons l’Union soviétique stalinienne, un empire totalitaire, initialement alliée de l’Allemagne nazie. On peut à la limite parler d’un bien relatif. Le bien absolu est sans doute un concept qui fait défaut dans l’histoire histoire. De l’autre côté, nous retrouvons l’Axe nazi, la coalition léguée contre l’Internationale communiste. Pour la petite histoire, lors de la visite rendue par Molotov à Berlin, au mois de novembre 1940, Hitler ou quelqu’un de son entourage avait proposé à Molotov de rejoindre ce pacte anticommuniste. Alors que le siège de l’Internationale se trouvait à Moscou. Cela en dit long. J’avais repris dans un de mes livres le concept lancé par le philosophe polonais Leszek Kolakowski, le « diable dans l’histoire ». Eh bien, l’URSS était ce diable alors, un diable qui semblait moins dangereux, moins enclin à l’expansionnisme, un diable dont l’Occident avait besoin. »
Mais toute guerre qui s’achève compte à la fin un certain nombre d’Etats victorieux puis, de l’autre côté, des Etats vaincus. Qui a gagné, qui a perdu, finalement, cette guerre ? Vladimir Tismăneanu : « Du côté des vaincus comptons déjà les partis, les gouvernements, les mouvements à l’idéologie fasciste. Le fascisme a été défait, et cela est fondamental. Réécrire l’histoire après coup, cela se fait dans certains endroits, parfois en Roumanie aussi, cela est mu par la volonté de réhabiliter divers courants fascistes, de nouveaux fondamentalismes de type tribaliste, collectiviste, raciste. C’est que ces gens n’ont rien compris au dénuement politique, militaire et éthique de cette guerre. D’un autre côté, l’on observe l’apparition d’une sorte de syndrome post Yalta. C’est que la moitié de l’Europe, l’Europe centrale et de l’Est s’est retrouvée occupée par l’Armée rouge. L’Occident aurait-il pu repousser les Soviets ? On ne peut pas faire des supputations là-dessus. Ce qui est certain c’est que l’occupation soviétique n’est pas le résultat d’un abandon ou d’une trahison de l’Occident à l’égard de cette partie de l’Europe, mais d’une situation de fait, une conséquence du théâtre des opérations. »
Pendant cette guerre, la Roumanie s’est d’abord retrouvée du côté de l’Axe, ensuite dans la barque des Nations Unies. A la Conférence de Paix de Paris, la Roumanie s’est retrouvée dans le camp des vaincus. Qui plus est : dans le camp des pays occupés et communisés par l’URSS. Comment se fait-il, pourquoi ce sort ingrat ? Vladimir Tismăneanu : « Le glissement de la Roumanie sur la pente d’un régime totalitaire d’extrême droite, tel qu’il a été depuis le 6 septembre 1940 et jusqu’au 23 août 1944, est en partie imputable à la crise de la démocratie libérale. La Roumanie peut, certes, se targuer d’avoir connu une démocratie véritable, fonctionnelle, respectueuse de la constitution. Une démocratie qui a succombé finalement sous les coups de butoir des extrémistes des tous bords, de droite comme de gauche. Deux premiers-ministres avaient été assassinés à l’époque par des commandos fondamentalistes de type hitlérien, le crime semblait devenir une arme politique. Et puis, la classe politique démocrate n’a pas su faire preuve d’assez de résilience face aux attaques répétées des extrémistes. Le glissement de la Roumanie dans le giron des extrémismes n’a pas été une fatalité, mais le résultat logique d’une suite d’erreurs. »
Quelles leçons en retirer ? Vladimir Tismăneanu encore: « Les illusions fondées sur les issues proposées par un système idéocratique, sur une dictature inspirée par une idéologie, sont funestes. A court terme, à moyen terme, mais surtout à long terme. L’on vit cela de nos jours, avec la crise de la Covid. Je ne suis pas des ceux qui pensent à un acte criminel mûrement réfléchi par la République populaire de Chine. Mais le secret, le mystère qui a entouré l’affaire sont des éléments spécifiques, caractéristiques des systèmes totalitaires. On l’a déjà expérimenté lors de l’accident nucléaire de Tchernobyl. S’il y avait une leçon à retenir de la Deuxième guerre mondiale, eh bien, ce serait celle-ci : ne jamais marchander la liberté, la vérité, la confiance. Ne jamais les laisser impunément attaquées, humiliées, foulées aux pieds. »
75 ans plus tard, l’on ne vit sans doute pas dans le meilleur des mondes. Mais l’on vit du moins dans un monde mieux vacciné contre les tentations des fondamentalismes. (Trad. Ionuţ Jugureanu)