35 ans depuis la disparition du philosophe Constantin Noica
Constantin Noica, un des plus importants philosophes
roumains du XXe siècle, est né en 1909, au sud de la Roumanie, dans le
département de Teleorman. Il suit les lettres et la philosophie à l’université de
Bucarest, cette dernière couronnée par un mémoire sur le philosophe allemand Immanuel
Kant. Attiré par la version locale de l’existentialisme, intitulé le « trăirism »,
il devient le disciple de Nae Ionescu, son professeur de la faculté de
philosophie de l’université de Bucarest. Entre 1932 et 1934, il est membre de
la société culturelle Criterion. Pourtant, apolitique convaincu, il ne se
laisse pas séduire par l’idéalisme martyrologique de la Garde de fer,mouvement
ultra-nationaliste et intégriste chrétien, antisémite et antidémocrate, tels d’autres
membres de cette société culturelle. Au printemps 1938, il reçoit, à l’instar
de Cioran et Ionesco, une bourse d’études de l’Etat français. Il demeure à
Paris jusqu’au printemps 1939. De retour à Bucarest, il soutient sa thèse de
doctorat en philosophie en mai 1940. La même année, on le retrouve à Berlin, en
qualité de référent de philosophie auprès de l’Institut culturel roumain de
Berlin. C’est là que Noica suit les cours du philosophe allemand Martin
Heidegger. Il y restera jusqu’en 1944, lorsque la Roumanie rompt l’alliance
avec l’Allemagne nazie et rejoint le camp allié.
Steliu Lambru, 19.12.2022, 19:14
Constantin Noica, un des plus importants philosophes
roumains du XXe siècle, est né en 1909, au sud de la Roumanie, dans le
département de Teleorman. Il suit les lettres et la philosophie à l’université de
Bucarest, cette dernière couronnée par un mémoire sur le philosophe allemand Immanuel
Kant. Attiré par la version locale de l’existentialisme, intitulé le « trăirism »,
il devient le disciple de Nae Ionescu, son professeur de la faculté de
philosophie de l’université de Bucarest. Entre 1932 et 1934, il est membre de
la société culturelle Criterion. Pourtant, apolitique convaincu, il ne se
laisse pas séduire par l’idéalisme martyrologique de la Garde de fer,mouvement
ultra-nationaliste et intégriste chrétien, antisémite et antidémocrate, tels d’autres
membres de cette société culturelle. Au printemps 1938, il reçoit, à l’instar
de Cioran et Ionesco, une bourse d’études de l’Etat français. Il demeure à
Paris jusqu’au printemps 1939. De retour à Bucarest, il soutient sa thèse de
doctorat en philosophie en mai 1940. La même année, on le retrouve à Berlin, en
qualité de référent de philosophie auprès de l’Institut culturel roumain de
Berlin. C’est là que Noica suit les cours du philosophe allemand Martin
Heidegger. Il y restera jusqu’en 1944, lorsque la Roumanie rompt l’alliance
avec l’Allemagne nazie et rejoint le camp allié.
Après la fin de la guerre et l’arrivée au pouvoir des
communistes en Roumanie, Noica se voit forcé de quitter Bucarest et de s’établir
dans la petite ville de Câmpulung-Muscel, où il vivra de longues années en résidence
surveillée. En 1958, à l’issue d’un procès monté de toutes pièces par le
régime, le philosophe se voit condamné à 25 années de travaux forcés. Il
exécutera 6 années de sa peine, dans le pénitentiaire Jilava, avant d’être
libéré, en 1964, à la suite du décret d’amnistie de l’ensemble des prisonniers
politiques consenti par le gouvernement communiste d’alors. Noica regagne dès
lors Bucarest et travaille au Centre de logique de l’Académie roumaine à partir
de 1965. C’est là qu’il se lie d’amitié avec de jeunes collègues, qui
deviendront progressivement ses disciples et qui marqueront durablement de
leur empreinte la culture roumaine, tels Gabriel Liiceanu, Sorin Vieru, Andrei
Pleșu, Andrei Cornea. En 1975, il prend sa retraite, pour se retirer dans la
petite station de montagne de Păltiniș, située en Transylvanie, dans le
département de Sibiu, qu’il ne quittera plus. C’est là qu’il formera, en
catimini, entouré de ses disciples, une véritable école philosophique. Noica meurt
le 4 décembre 1987. Il laissera une œuvre écrite formé de 32 tomes de
philosophie, esthétique, critique littéraire, recueils d’articles. De ses 32
tomes, 12 paraîtront posthume, la plupart après la disparition du régime
communiste.
Le philosophe et essayiste Andrei
Pleșu, ancien ministre de la Culture et ancien ministre des Affaires étrangères
après la chute du régime communiste, avait été un des disciples assidus de
Constantin Noica. Andrei Pleșu :
« J‘avais eu la chance d’avoir été
formé grâce à quelques membres marquants du goulag roumain. Je me suis abreuvé
à ces sources exceptionnelles, grâce auxquelles j’avais pu dépasser cette
époque figée, qui ignorait tout de ce qu’avait été l’histoire de la philosophie
et de la pensée universelle, à l’exception de la pensée marxiste, dépourvue bien
évidemment de l’indispensable recul critique. Et cette ouverture sur le monde,
c’était énorme à l’époque. J’avis eu la chance d’avoir fait assez tôt
connaissance avec Alexandru Paleologu, Sergiu Al-George, Remus Nicolescu, Teodor
Enescu, I. D. Sârbu, Marin Tarangul. Ce dernier, on
était collègues en 1re année de l’Histoire de l’Art. Mais il avait
dix ans de plus que moi, une licence en théologie, et quelques années de prison
politique à son actif. Je lui vouais un respect énorme, c’était un grand
monsieur. Et puis, il avait une bibliothèque impressionnante, surtout pour
cette époque. Et par-dessus tout, ce mec, cultivé, et qui semblait avoir vécu
dix vies pour son âge, il n’avait pas perdu le plaisir de vivre, de jouir de la
vie. C’est lui qui m’avait fait découvrir la bohème bucarestoise, dont j’ignorais
tout à l’époque, cela lorsque je ne la méprisais pas. C’était aussi un farceur.
Et puis, un beau jour, il rentre en coup de vent et me lance, enthousiaste :
« Lis le prochain numéro de la revue « La Roumanie littéraire » ».
Tu trouveras un auteur, dont je suis certain que tu n’avais jamais entendu
parler. Il s’appelle Constantin Noica. Lis son texte. Tu comprendras ce qu’est
la philosophie, la vraie ».
Pour Andrei Pleșu, comme pour bien d’autres
intellectuels de sa génération, découvrir la pensée de Noica avait eu l’effet d’un
électrochoc. C’était la rencontre avec un monde merveilleux et insoupçonné.
Andrei Plesu :
« J’avais lu cet article, et sa
lecture m’avait marqué. C’était complètement différent de tout ce que j’avais
lu jusqu’alors. Et puis, le hasard fait que je prenais à la même époque des
leçons particulières d’anglais avec une dame, Meri Polihroniade, veuve du
pédagogue de droite Polihroniade, condamné par les communistes, et qui avait
fini ses jours en prison. Et le mari actuel de cette dame était un avocat,
Lăzărescu, qui avait été enfermé dans le même pénitentiaire que Noica. Et c’est
par son entremise que j’ai pu rencontrer ce dernier. Monsieur Lăzărescu avait
touché un mot à Noica, qui habitait à l’époque un appartement d’une pièce dans
un quartier périphérique de Bucarest. Un immeuble neuf, des ceux qui avaient
été érigés par les communistes. Il m’a reçu, et je me souviens avoir été frappé
par son élégance. Il était habillé comme dans l’ancien temps. Et il a accepté
de nous apprendre, à moi et à l’ami Marin Tarangul, le grec ancien. C’était le
début de notre relation. Et c’est toujours lui qui m’avait dit : si tu
veux commencer à faire de la philosophie, il faut apprendre l’allemand. Sans l’allemand,
ce n’est pas possible. Et il m’a donné trois bouquins à lecturer ».
Constantin Noica a marqué, par ses textes érudits,
par ses traductions des philosophes grecs, par l’école de pensée qu’il fonda, l’histoire
de la philosophie roumaine du 20e siècle. Un modèle éthique aussi. (Trad. Ionut Jugureanu)