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35 années depuis la Proclamation de Timisoara

Dans les mois qui ont suivi la chute du régime communiste, la bataille entre les partisans d’une société démocratique, arrimée à l’Ouest, et les partisans d’un statu quo et d’une société aux libertés limitées a fait rage. Le peuple de Timișoara, cette ville où la révolution débuta à mi-décembre 1989, donnera naissance à la société « Timișoara » qui rédige au mois de mars 1990 la célèbre proclamation qui portera le nom de la ville. Manifeste politique et civique, le document esquissait la voie souhaitée pour une Roumanie démocratique, moderne et occidentale, départie de son passé de dictature.

Timişoara, 35 years ago (photo: Costantin Duma)
Timişoara, 35 years ago (photo: Costantin Duma)

, 24.03.2025, 10:46

Une déclaration qui esquissait la voie démocratique de la Roumanie

 

Dans les mois qui ont suivi la chute du régime communiste, la bataille entre les partisans d’une société démocratique, arrimée à l’Ouest, et les partisans d’un statu quo et d’une société aux libertés limitées a fait rage. Le peuple de Timișoara, cette ville où la révolution débuta à mi-décembre 1989, donnera naissance à la société « Timișoara » qui rédige au mois de mars 1990 la célèbre proclamation qui portera le nom de la ville. Manifeste politique et civique, le document esquissait la voie souhaitée pour une Roumanie démocratique, moderne et occidentale, départie de son passé de dictature.

 

A 35 années distance, Ioan Stanomir, professeur à la faculté des Sciences politiques de l’Université de Bucarest rappelle l’importance de ce document :
« La Proclamation de Timișoara reprend les idées d’une partie de la société roumaine de l’époque, plutôt d’une minorité. Car l’année 1990 représente un tournant. C’est l’année de la Proclamation de Timișoara, mais aussi des premières élections post-communistes et surtout celle de la descente répétée des mineurs à Bucarest qui viennent à l’appel et au secours du pouvoir néo communiste de Ion Iliescu et de son Front du Salut national. De ce point de vue, la Proclamation de Timișoara a une connotation à part, une vision solitaire et visionnaire à la fois. Aussi, et bien que ne représentant que la vision d’une minorité, nous retrouverons là-dedans la Roumanie des années à venir ».

 

Le retour à l’économie de marché

En effet, la Proclamation de Timișoara exigeait le retour à l’économie de marché d’une économie encore largement publique, le pluripartisme, le respect des droits de l’homme. Ioan Stanomir :
« Ecoutez, il faut s’entendre déjà sur le sens des termes employés. Car l’économie de marché qui apparaît dans la Proclamation de Timisoara fait plutôt référence à une économie de l’abondance, à l’opposé de l’économie de pénurie de la période communiste. La liberté que l’on proclame dans le texte de la Proclamation n’est pas nécessairement le pluripartisme, mais peut-être le pluralisme au sein d’un parti unique, dans ce cas le Front du Salut national. Il y a des nuances compliquées à déchiffrer avec les outils et les concepts d’aujourd’hui. Il suffit de regarder de près à quoi ressemblait la Roumanie d’alors pour comprendre combien il s’agissait d’une société traumatisée, appauvrie et immature. »

 

Des visionnaires

Mais quelle est la place et la trace laissée par la Proclamation de Timisoara dans la période de transition, voire dans l’histoire récente de la Roumanie ? Ioan Stanomir :
« Il s’agit d’un document manifeste d’inspiration central-européenne qui aurait pu être adopté également par les Tchèques, les Magyares, les Polonais. Timisoara et la partie ouest de la Roumanie, la région du Banat a été une région bénie pour ce pays. Car cela a été de tous temps un pont vers l’Ouest, vers l’Occident, vers les valeurs occidentales. Elle représenta une région toujours à l’avant-garde du processus de synchronisation de la Roumanie avec la civilisation de l’Europe occidentale. Par le rôle qu’elle a tenu pendant la révolution de décembre 1989, Timișoara est une ville à part. Nous lui devons une dette de reconnaissance. Une dette que nous avons en tant que société envers tous ceux qui, isolés, esseulés, poursuivis, maltraités, ont milité pour cet avenir. C’est devant ces visionnaires de Timisoara, devant les auteurs de la Proclamation de Timisoara que nous devons soulever notre chapeau. Non pas devant ceux qui ont gagné les élections de mai 1990. Ces derniers ont gouverné pour un moment, mais n’ont pas milité pour que leurs enfants vivent dans une société libre et démocratique ».

 

Le point 8 de la Proclamation

 

Le point 8 de la Proclamation de Timișoara a été celui qui a soulevé le plus de débats. Car il exigeait la sortie par la petite porte des dignitaires communistes et des officiers de la Securitate, l’ancienne police politique du régime communiste. Ioan Stanomir :

« La lustration, comme cela a été appelé, représente une tentative de bloquer l’accès aux dignités publiques de ceux qui ont fait partie de la nomenklatura, y compris des membres de la police politique. Mais la lustration aurait eu pour conséquence de mettre en échec en premier lieu la candidature de Ion Iliescu, celui qui a gagné avec 86% de l’électorat les élections présidentielles de mai 1990. Et ce Ion Iliescu de 1990 était encore le communiste proche de Gheorghiu-Dej, voire de Staline, plutôt que le Ion Iliescu de plus tard, celui qui présida l’adhésion de la Roumanie à l’OTAN et qui a démarré le processus d’adhésion à l’UE ».

 

Une « boussole morale » pour les Roumains

 

Mais que signifie pour la génération d’aujourd’hui la Proclamation de Timișoara d’il y a 35 ans ? Ioan Stanomir :

« La Proclamation a représenté une sorte de boussole morale, définissant ce que signifient dignité, pluralisme, liberté, économie de marché, Occident, patriotisme. Car la Proclamation mentionnait le patriotisme, non pas le patriotisme étriqué et démagogue, mais le patriotisme sain et zélé du travail, du travail qui épanouit. Car il fallait en effet retrouver la dignité du travail épanoui après les années noires du communisme où le travail avait été transformé en une corvée qui opprimait. Car le parti communiste avait mis à genoux la classe ouvrière dont il se servait pour ses seules fins de propagande. Ce document met en exergue le respect que l’on doit à l’autrui, cette valeur qui demeure à la base de la démocratie, seule alternative à la barbarie, au totalitarisme et au despotisme ».

 

La Proclamation de Timişoara de 1990 est un document essentiel pour comprendre l’évolution de la Roumanie d’après 1989. Elle fait partie de grands moments de l’histoire de la Roumanie du 20e siècle. (Trad. Ionut Jugureanu)

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