30 ans de démocratie en Roumanie
Au
mois de décembre 1989, une fois recouverts les autres droits et libertés
civiles, les Roumains ont aussi gagné le droit à une vie politique
démocratique. Les premiers mois de l’année 1990 ont été les témoins de la
réapparition du multipartisme, après une longue et noire parenthèse de 45
années de dictature communiste. Avec cela, et à l’instar des autres peuples
d’Europe centrale et orientale, les Roumains venaient d’ouvrir une nouvelle
page de l’histoire de leur participation à la vie politique de leur pays.
Steliu Lambru, 06.04.2020, 15:56
Au
mois de décembre 1989, une fois recouverts les autres droits et libertés
civiles, les Roumains ont aussi gagné le droit à une vie politique
démocratique. Les premiers mois de l’année 1990 ont été les témoins de la
réapparition du multipartisme, après une longue et noire parenthèse de 45
années de dictature communiste. Avec cela, et à l’instar des autres peuples
d’Europe centrale et orientale, les Roumains venaient d’ouvrir une nouvelle
page de l’histoire de leur participation à la vie politique de leur pays.
Le
politologue Ioan Stanomir, professeur à l’Université de Bucarest, nous rappelle
le profil de ces partis politiques, nouveaux ou des avatars des partis
historiques, actifs déjà avant l’instauration du régime communiste : « Dès la fin du mois de décembre 1989 et le
début du mois de janvier 1990, nous assistons à un phénomène sans précédent et
en rupture totale avec les décennies de plomb du régime communiste. Il s’agit
de l’essor du multipartisme, de la renaissance du pluralisme politique. Pour ce
qui est de la situation roumaine, elle a sans doute ses particularités. On voit
tout d’abord l’émergence d’un parti à vocation hégémonique, un parti qui, dès
son apparition, tente de capturer l’Etat, c’est Front du salut national. Et
puis, de l’autre côté, on voit renaître les anciens partis de la Roumanie
d’avant le communisme, les partis historiques comme on les a appelés, et dont
les membres avaient enduré les persécutions du régime communiste. Là, il s’agit
du Parti national paysan chrétien démocrate, du Parti national libéral et du Parti
social-démocrate. »
Parallèlement à
la rennaissance de ces partis politiques, on assiste à l’apparition de la
société civile, des associations civiques et de l’esprit démocratique au sens
large. Mais de l’essor des associations tels le Groupe pour le dialogue social
et, plus tard, de l’Alliance civique, Ioan Stanomir identifie un élément qui va
marquer l’échiquier politique de l’époque, soit l’éclatement de l’offre
électorale : « Cet éclatement prend sa source dans le cadre
normatif instauré juste après la Révolution, qui, lui, est le résultat d’une
volonté assumée. L’on disait à l’époque que l’on pourrait fonder un parti
politique avec ses quelques voisins d’immeuble. Et ce n’était pas loin de la
réalité. L’éclatement de l’offre politique servaiet en fait les desseins du
Front du salut national. De la sorte, l’opposition se voyait éclatée en des
myriades de partis politiques, et la confusion s’instaurait dans les rangs de
l’électorat. »
En
dépit de la richesse d’une offre électorale naissante, les analystes politiques
mettent en exergue le fossé qui séparait ces formations politiques nouvellement
constituées. L’éloignement des points de vue devenait flagrant, notamment lors des réunions du Conseil provisoire d’union nationale,
le premier ersatz de parlement post communiste. Ioan Stanomir : « Il y avait un fossé entre les partis
politiques perçus par leurs fondateurs tels des véhicules de leur ascension
personnelle, puis les autres, des partis politiques mûs par des desiderata
éthiques et politiques. Et si l’on regarde de près, cette dynamique politique
aura des conséquences dès la constitution de ce premier parlement, le Conseil
provisoire d’union nationale. Parce que la clé de la répartition des sièges qui
a été adoptée a été celle de la parité des mandats entre, d’une part, le Front
du salut national et des formations satellites et, d’autre part, les autres
partis politiques. De fait, l’on avait donné ainsi une majorité de voix au
Front. Car du côté des partis politiques, pour chaque parti d’opposition
véritable, l’on a vu apparaître des partis qui mimaient l’idéologie du parti
qu’ils avaient cloné, mais qui étaient de facto inféodé au Front du salut
national. Chaque parti historique s’est vu opposer une, deux ou trois clones.
Prenez le cas du Parti national paysan chrétien démocrate. Pour le contenir,
l’on voit apparaître le Parti national agraire, dirigé à l’époque par Victor
Surdu, entre autres. Il s’agissait d’un parti qui défendait pour de vrai les
intérêts de la nomenklatura rurale, des anciens dirigeants de fermes d’Etat
communistes. Le Parti national libéral se voit talonner par la soi-disante
Union libérale, dirigée par un personnage pitoresque, un Bratianu surnommé la
Patate, car il faisait toujours son entrée dans les studios de télévision en
tenant une pomme de terre dans la main. De fait, le Front du salut national
avait sorti des tiroirs une vieille stratégie communiste, déjà utilisée dans
les années 1944/47 contre les mêmes partis historiques : celle des partis
fantoches, des marionnettes qui jouaient la partiture écrite par leurs maîtres,
les communistes. »
30 années plus tard, de l’eau est passée
sous les ponts. La vie politique
balbutiante de ces débuts a laissé la place à un processus de professionalisation
du monde politique. Malgré tout,
certains héritages malencontreux d’avant 1989 arrivent à survivre, considère
Ioan Stanomir : « Aussi bien la professionalisation du monde
politique que l’apparition d’une élite politique sans lien biologique avec
l’élite communiste sont des réalités indéniables. Néanmoins, la survivance de
certaines pratiques héritées de l’époque communiste et des premières années de
la période post communiste est aussi bien réelle. Prenez le seul exemple du
clientélisme, que tout le monde comprendra. Car, souvent, trop souvent, les
partis politiques constituent des outils mis au service de cette pratique. Ils
récompensent en cela la fidélité au détriment de la compétence. Et j’estime que
certains partis politiques, le Parti social démocrate en premier, ont dans
leurs gènes cet héritage du Front du salut national. »
Quoi
qu’il en soit, les partis politiques roumains continuent d’évoluer en suivant
le changement de paradigme subi par la société roumaine dans son ensemble. (Trad
Ionuţ Jugureanu)