30 années d’histoire de Radio Roumanie
L’histoire du dernier siècle peut être sans doute investiguée en outre grâce aux archives radiophoniques, témoin fidèle des terribles soubresauts de l’histoire récente. Aussi, si durant les années noires du communisme, le degré de véracité de l’histoire orale conservée dans les archives demeure sujet à caution, après 1989, après la fin du communisme, cette source historique commence à retrouver toute sa place. Le premier patron de la Radiodiffusion roumaine d’après 1989, Eugen Preda, posait ainsi, en 1993, les bases des archives d’histoire orale de la vénérable institution de presse.
Steliu Lambru, 07.08.2023, 09:14
L’histoire du dernier siècle peut être sans doute investiguée en outre grâce aux archives radiophoniques, témoin fidèle des terribles soubresauts de l’histoire récente. Aussi, si durant les années noires du communisme, le degré de véracité de l’histoire orale conservée dans les archives demeure sujet à caution, après 1989, après la fin du communisme, cette source historique commence à retrouver toute sa place. Le premier patron de la Radiodiffusion roumaine d’après 1989, Eugen Preda, posait ainsi, en 1993, les bases des archives d’histoire orale de la vénérable institution de presse.
La journaliste et historienne Mariana Conovici a fait partie de cette première équipe d’historiens qui a commencé à confectionner les archives d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine. A son micro se sont succédés des témoins oculaires privilégiés des deux guerres mondiales, des exactions du communisme, des historiens et des savants, des victimes et des complices des bourreaux, des hommes politiques et des anonymes.
Aujourd’hui, Mariana Conovici se rappelle la période exaltante de ces débuts : « Eugen Preda, le directeur de la Radiodiffusion de l’époque, était historien, il avait un doctorat en histoire. Il s’agissait d’un véritable érudit, toujours très bien informé. Il avait pris part au Congrès international des historiens qui s’est tenu à Bucarest en 1980, et qui avait remis dans ses droits l’histoire orale. Il était donc au fait de l’importance de cette dernière parmi les autres sources historiographiques pertinentes. Et puis, en 1992, nouvelle réunion internationale, cette fois dans la ville de Sinaia, et c’est alors qu’il a pris cet engagement de constituer les archives audios, d’immortaliser la voix de certains des grands témoins de notre histoire récente. »
Le livre du sociologue et historien britannique Paul Thompson, intitulé « The Voice of the Past », « Les voix du passé » en traduction française, a constitué le modèle de départ du projet des archives audio de la Radiodiffusion roumaine.
Mariana Conovici : « La liberté nous a permis d’approcher la vérité historique d’une manière différente. L’on découvrait les nuances, l’on découvrait les contrevérités qu’on nous avait servis sous l’apparence de la vérité absolue pendant le communisme. L’on a pu ainsi approcher les gens, la petite histoire, les drames et les tragédies personnelles qui font à la fin la grande histoire. Ce fut comme un bain de vérité. J’entrais avec mon micro dans la vie et dans l’intimité des gens, et j’arrivais non seulement à mieux comprendre leur vécu, mais à mieux me comprendre, moi et le monde qui m’entourait, grâce à cet exercice de vérité. Car je pouvais alors me mettre à leur place. Ce qui n’était pas de tout repos. »
Mariana Conovici et son équipe, composée en tout et pour tout de 5 journalistes, sont parvenues à conjuguer de manière heureuse histoire orale et journalisme radio. C’est grâce à leur travail que le public roumain a pu approcher des pans de l’histoire récente, cachés jusqu’alors.
Mariana Conovici : « Par ce genre d’interview que l’on utilise dans l’histoire orale, on interroge l’histoire. L’objectif d’une telle démarche consiste souvent à réaliser une étude, une recherche historique. Mais ce n’était pas notre objectif. Nous n’avions pas le désir de suivre cette voie. Notre objectif était de partager avec nos auditeurs ce que nous venions de découvrir, de faire entendre la voix de ces témoins privilégiés de l’histoire, grâce à des programmes hebdomadaires. C’était cela notre vocation. Il y avait une démarche civique dans cette approche, et c’est toujours le cas lorsqu’il s’agit d’utiliser cet outil de l’histoire orale, où que ce soit. Mais j’avais dû batailler ferme pour garder la place de notre rubrique dans la grille de programmes de l’époque. J’avais moi-même des doutes. Est-ce que la société roumaine était suffisamment mûre pour ce que nous proposions ? Je n’en savais strictement rien, mais on se disait que s’il y avait ne fut-ce que dix auditeurs qui pouvaient raisonner avec ce qu’ils venaient d’entendre de la bouche de tel ou tel témoin de notre histoire récente, c’était déjà ça » .
« Histoire vécue » a été le titre de la célèbre émission radiophonique. Et les auditeurs, roumains et étrangers, sont allés jusqu’à plébisciter le pari des réalisateurs. « Les interviews d’histoire orale n’enrichissent généralement pas de manière décisive les connaissances des historiens. Mais elles font revivre l’atmosphère d’une époque, rappellent des détails méconnus, mettent de la chair sur le squelette des connaissances, font vivre l’émotion des témoins, des ceux broyés par la marche de l’histoire. Et la puissance du message qu’arrive à transmettre la victime d’un épisode historique est sans nulle pareille. Prenez cette interview qui ne durait que 20 minutes, et que j’avais prise à une dame qui avait été arrêté alors qu’elle n’avait pas encore 14 ans. C’était à la fin de la dernière guerre mondiale. Elle faisait partie d’un groupe de jeunes que les nazis avaient amené en Allemagne, et puis aussi en Autriche, les soumettant aux travaux forcés. C’était une enfant. Et tout au long de ces 20 minutes d’interview, elle racontait toute l’angoisse provoquée par le déplacement, et toute la panique qui l’avait surprise lors d’un bombardement subi près de Vienne, où elle avait dû se réfugier dans un champ, cachée par un arbre, pour avoir la vie sauve. Vous savez, toute l’horreur de la guerre était concentrée dans ces 20 minutes d’interview de cette enfant, qui avait été arrachée à ses parents et jetée en plein milieu de la folie de l’histoire ».
Les archives d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine se sont étoffées avec le temps. Ceux qui avaient passé les premières interviews ne sont plus de ce monde depuis belle lurette. Mais leurs voix résonnent encore et toujours dans les oreilles, et surtout dans les consciences des auditeurs de ces émissions hors normes. (Trad. Ionut Jugureanu)