Varsovie et Bucarest – les Paris de l’Europe de l’Est
Le Bucarest d’aujourd’hui se distingue par un
certain nombre de particularités, dont celle d’être une ville est-européenne
qui a adopté le modèle de développement d’une ville de l’Occident continental.
Et quel meilleur modèle à suivre que celui de Paris, la capitale de la France? Sa
recherche obstinée d’une modernisation inspirée par la capitale française a
valu à la capitale de la Roumanie le surnom de « Micul Paris/Le Petit
Paris », dès le XIXème siècle. Un surnom, certes, flatteur, que
Bucarest a longtemps gardé. Mais la capitale roumaine n’a pas été la seule à
adopter le type d’expansion urbaine mis en œuvre sur les quais de la Seine. Une
autre capitale, celle de la Pologne, Varsovie, avait reçu elle aussi le même
surnom bien avant Bucarest.
Steliu Lambru, 20.08.2023, 10:00
Le Bucarest d’aujourd’hui se distingue par un
certain nombre de particularités, dont celle d’être une ville est-européenne
qui a adopté le modèle de développement d’une ville de l’Occident continental.
Et quel meilleur modèle à suivre que celui de Paris, la capitale de la France? Sa
recherche obstinée d’une modernisation inspirée par la capitale française a
valu à la capitale de la Roumanie le surnom de « Micul Paris/Le Petit
Paris », dès le XIXème siècle. Un surnom, certes, flatteur, que
Bucarest a longtemps gardé. Mais la capitale roumaine n’a pas été la seule à
adopter le type d’expansion urbaine mis en œuvre sur les quais de la Seine. Une
autre capitale, celle de la Pologne, Varsovie, avait reçu elle aussi le même
surnom bien avant Bucarest.
Cette appellation identique pour deux villes, qui bataillaient
tellement pour imiter Paris, a servi de source d’inspiration à l’historien
polonais Błažej Brzostek pour son livre « Parisul altei Europe/Paris de
l’autre Europe. Varsovie et Bucarest au XIXème et XXème siècles ». Dans
cet ouvrage, il remarque le fait que, malgré le surnom identique, les deux
villes affichaient des différences issues de leurs histoires respectives: Des différences existent dans les deux espaces culturels, roumain et
respectivement polonais. La première différence visible est la présence en
Roumanie d’un moule, ou d’une vision des Balkans, qui n’existe pas en Pologne.
C’est un concept très important en Europe du Sud, notamment, et il est négatif.
D’un autre côté, nous avons aussi une vision historique positive, très rarement
négative, de l’Europe Centrale. Cette vision est très urbaine, tout comme celle
des Balkans, mais en même temps très différente. En matière d’urbanisme, les
deux concepts sont extrêmement visibles et clairs.
La
Pologne et la Roumanie ont longtemps été voisines à travers l’histoire, leurs
relations ayant été marquées par les intérêts spécifiques de chaque époque. Le
mois de septembre 1939 en a retenu un épisode mémorable. La deuxième guerre
mondiale venait d’éclater et le gouvernement roumain du premier ministre Armand
Călinescu avait consenti à ce que les autorités de Varsovie et le trésor de
l’État polonais transitent la Roumanie vers l’Occident, pour ne pas être
capturés par les troupes de l’Allemagne nazie. Mais même au XIXème siècle,
lorsque la Pologne n’existait plus sur la carte politique de l’Europe, la
présence polonaise en Roumanie n’avait pas été oubliée.
Le
surnom de « Petit Paris », dont Varsovie et Bucarest furent adoubées,
est plus ancien du côté polonais. Les idées de la Révolution française arrivent
en Pologne à la fin du XVIIIème siècle, mais l’appellation de « Petit
Paris » est mal perçue par l’aristocratie polonaise conservatrice. Les
nobles polonais s’opposent aux idées modernes occidentales, à tout ce que Paris
signifie, et une longue dispute éclate entre le camp traditionnel et celui
moderniste. Trente ans plus tard, vers 1830, une même faille apparaît à
Bucarest entre deux camps similaires. L’historien Błažej Brzostek a mis en
exergue le rôle joué par la capitale française: Paris est un repère
symbolique pour les deux cultures, une référence opposée à tout ce qui vient d’Orient,
mais aussi à tout ce qui est local. C’était une question d’auto-définition et
d’auto-réflexion, posée assez clairement: au fond, qui sommes-nous? En Europe en
général, dans de nombreux textes, notamment du XIXème siècle, être parisien
était présenté comme quelque chose de positif ou de négatif, jamais de neutre. Le
débat concernait notamment les élites, une « couche superposée », selon
Titu Maiorescu, à la société pré-moderne, qui veut moderniser les masses afin de
leur apporter la civilisation.
À première vue, le surnom de
« Petit Paris » était synonyme d’organisation et d’atmosphère
urbaines, mais ce n’était pas que cela. C’était aussi un type d’attitudes
sociales, de mode vestimentaire, de langue parlée et d’habitat. Varsovie et Bucarest
avaient reçu ce surnom, malgré leurs différences en termes d’héritage culturel
et d’imitation de la capitale française. À Bucarest, le changement était plus
visible qu’à Varsovie, ville parsemée d’hôtels particuliers de l’aristocratie.
Vers la fin du XIXème siècle, la capitale de la Roumanie était encore une ville
orientale, où les élites habitaient dans des maisons parisiennes. Les jeunes,
qui avaient fait des études en France, ramenaient Paris à Varsovie et à Bucarest,
explique Błažej Brzostek: Dans la construction du concept de « Petit
Paris », quand on revient sur le début de son utilisation et sur les
moments essentiels de l’évolution du concept, la première émission est celle
d’un décalage entre Varsovie et Bucarest. Il y avait un écart entre la Pologne
et la Roumanie, qui s’est creusé au XVIIIème siècle. Varsovie est la capitale
d’un très grand État, marqué comme important sur la carte de l’Europe. Varsovie
et la Pologne disparaissent, tandis que la Roumanie prend forme graduellement.
Varsovie, traumatisée par la perte de sa fonction, est la plus grosse source de
textes écrits et d’idées. En Roumanie, c’est le contraire. Il n’y a pas de choc
produit par la perte d’un État, mais celui issu de l’édification d’un État
moderne et d’une capitale moderne. Ce traumatisme, provoqué par la destruction
d’une ville patriarcale, est très visible, notamment dans des textes de
l’entre-deux-guerres, l’époque où Bucarest est remodelé et refait, avec des
blockhaus, des gratte-ciel, de nouveaux boulevards.
Les
postérités actuelles de Varsovie et de Bucarest, gardent cependant avec
nostalgie le souvenir du surnom de « Petit Paris ». Les deux villes
ont énormément souffert en termes d’urbanisme, des traumatismes qui les
rapprochent d’une certaine manière, à présent. (Trad. Ileana Ţăroi)