Urmuz, auteur de l’absurde
En mars 1883, à Curtea de Argeș (dans le sud de la Roumanie), voyait le jour un des plus importants écrivains roumains d’avant-garde : Demetru Dem. Demetrescu-Buzău, personnage énigmatique et bizarre, connu sous le pseudonyme d’Urmuz. Précurseur du surréalisme et de la littérature de l’absurde, Urmuz fascinait surtout par ses textes apparemment dépourvus de sens, mais séduisants du point de vue esthétique. Homme plutôt effacé, à première vue, il a également suscité l’intérêt du public par sa biographie, très peu connue, et par une vie intérieure riche et secrète.
România Internațional, 05.04.2020, 13:17
En mars 1883, à Curtea de Argeș (dans le sud de la Roumanie), voyait le jour un des plus importants écrivains roumains d’avant-garde : Demetru Dem. Demetrescu-Buzău, personnage énigmatique et bizarre, connu sous le pseudonyme d’Urmuz. Précurseur du surréalisme et de la littérature de l’absurde, Urmuz fascinait surtout par ses textes apparemment dépourvus de sens, mais séduisants du point de vue esthétique. Homme plutôt effacé, à première vue, il a également suscité l’intérêt du public par sa biographie, très peu connue, et par une vie intérieure riche et secrète.
Qui était Urmuz ? Le critique et historien littéraire Paul Cernat esquisse son portrait: Urmuz était un homme solitaire, timide, qui a eu une existence plutôt bizarre – tout comme son œuvre, d’ailleurs. Il a tenté de devenir médecin, paraît-il, mais il y a renoncé, car, lors des dissections, il pinçait les cadavres et il a été effrayé de voir qu’ils ne réagissaient pas. Ensuite, il s’est mis à étudier le droit et il est devenu greffier à la Cour de Cassation. Il faisait aussi de la musique. Pendant ses heures de loisir, il composait des pièces musicales pour divertir sa famille – selon l’une de ses sœurs. Malheureusement, ses partitions ne se sont pas conservées. Elles ont disparu dans les années 1960. La littérature a été pour lui une occupation plus secrète que la musique. Urmuz a eu la chance de rencontrer l’écrivain et poète Tudor Arghezi, à qui il doit son nom de plume. Le grand poète lui a publié les écrits. D’ailleurs, les seuls textes publiés par Urmuz sont parus en 1922, grâce à Arghezi, dans la revue « Cuget românesc » – « Esprit roumain », paradoxalement, une revue traditionnaliste. Urmuz était un être solitaire et il est resté célibataire. En novembre 1923, il se suicide par balle, dans un buisson au bord de l’avenue Kiseleff, vers la sortie nord de Bucarest. Les raisons de ce geste restent obscures. On a parlé d’une triste histoire d’amour ou d’une terrible maladie cachée, mais rien n’est certain. Des légendes se sont tissées autour de cette biographie énigmatique, cachée, souterraine, créant un véritable mythe. Ce mythe est encore vivant, conférant une identité à la littérature roumaine de l’absurde.
En outre, son existence de petit fonctionnaire, agrémentée de textes apparemment absurdes et achevée par un suicide dont on ne connaît pas encore la raison, ont augmenté la fascination que cet écrivain exerce sur le public. On se demande encore s’il y a un lien entre sa biographie et ses écrits. Paul Cernat qffirme que « Urmuz était un esprit bizarre, avec un certain penchant pour le divertissement, mais qui avait peut-être aussi quelques traumas profonds. On l’a comparé à Kafka, les spéculations tournant autour des relations que les deux écrivains ont eues avec leurs pères. En fait, on ne sait que très peu de choses sur lui et toute spéculation est plausible. On peut parler d’une schizoïdie, d’une rupture entre son identité publique, de greffier qui prend son métier au sérieux, et celle d’écrivain anarchique, qui ne respectait aucune des règles littéraires de son temps. Pourtant, ce caractère anarchique et absurde mis à part, ses textes ont été longuement ciselés et ils ont une rigueur intrinsèque. Tout comme Flaubert, Urmuz choisissait soigneusement chaque mot et faisait attention à la façon dont il orchestrait ses petits textes. »
Les deux ouvrages parus de son vivant dans la revue « Cuget românesc », à savoir « Algazy & Grummer » et « Ismaïl et Turnavitu », ont été ciselé jusqu’à la dernière minute. Selon Tudor Arghezi, alors que les manuscrits étaient déjà à l’imprimerie, Urmuz a souhaité changer certains mots. Paul Cernat dit que La mini-œuvre explosive d’Urmuz a refait surface après la mort de l’auteur. Une partie de cette œuvre a été publiée dans les années ’20, dans la revue « Contimporanul », éditée par Ion Vinea et Marcel Iancu. Pourtant, les nouveautés ont été publiées pour la plupart dans les pages de la revue UNU, par les écrivains Sașa Pană et Geo Bogza, qui, dans les années ’30, sont allés voir la sœur d’Urmuz, détentrice d’un coffre plein de manuscrits. Ils ont publié la partie de son œuvre qui y avait été conservée. Pas encore tout, paraît-il. Beaucoup de textes se sont perdus, mais ce qui reste est amplement suffisant pour assurer à Urmuz un statut qu’il n’aurait jamais imaginé.
Parmi ses textes – en vers et en prose – publiés à titre posthume, il convient de rappeler « Chroniqueurs », « L’entonnoir et Stamate», « La Fuchsiade » et « Le départ à l’étranger ». Urmuz a influencé non seulement la vague d’écrivains d’avant-garde qui ont fait leur apparition dans la littéraire roumaine après la première guerre mondiale, il a aussi exercé une influence sur la prose de Tudor Arghezi. Les générations d’écrivains qui se sont affirmés après 1965 – connus sous le nom de l’Ecole de Târgoviște – ainsi que les grands poètes Marin Sorescu et Nichita Stănescu ont subi l’influence d’Urmuz, qui a marqué de son sceau la littérature roumaine jusqu’au post-modernisme actuel. Trad. : Dominique