Tours de défense et sécurité publique en Olténie
La domination ottomane au nord du Danube, en territoire roumain et surtout en Olténie, était souvent présente et sauvage, à travers des incursions de pillage et de destruction.
Ștefan Baciu, 10.12.2023, 10:30
Avant le XIXème siècle, lorsque l’Etat
moderne, sa bureaucratie et ses institutions n’existaient pas encore, assurer la
sécurité des Roumains était l’affaire des boyards et des monastères. Rien et
personne n’étaient à l’abri, notamment lorsque chez les voisins de la région,
tels ceux des Principautés roumaines, le recours aux pratiques terroristes
n’était pas rare. La domination ottomane au nord du Danube, en territoire
roumain et surtout en Olténie, était souvent présente et sauvage, à travers des
incursions de pillage et de destruction. La solution choisie par les boyards
locaux a été celle de construire des cule ou des tours de défense pour eux et leurs familles, leurs
personnels et leurs biens.
Bâtie selon un modèle oriental,
la cula existe
aussi en Bulgarie, Serbie, Monténégro, Albanie, Grèce, dans l’ensemble de
l’espace contrôlé par les Ottomans dans les Balkans.
Dans la région d’Olténie
(la moitié ouest de la Principauté valaque) vingt cule avaient été érigées, dont il n’existe plus
que cinq. Liana Tătăranu, présidente de l’Association Le Cœur de l’Olténie,
raconte l’histoire des cule
ou tours olténiennes: « A présent, la cula la plus ancienne serait celle appelée
Greceanu, de Măldărăști, construite autour de 1547. Je ne pourrais pas certifier
cette information, car il a été impossible de la dater même par les moyens de
la dendrologie. Ceux qui ont étudié cette construction de près affirment qu’il
y a eu une espèce de noyau à l’intérieur de la bâtisse. Donc la construction
initiale a été élargie à la fin du XVIème ou au début du XVIIème siècle. La cula des frères Buzești a
été érigée avant 1600 sur leur domaine de Vlădaia, dans l’actuel département (județ)
de Mehedinți. »
Face aux Ottomans, les cule deviennent particulièrement nécessaires
Après le XVIème siècle et la
conquête de la Hongrie par l’armée ottomane, le Croissant s’installe
autoritairement en Europe centrale et du sud-est, en brisant le lien entre les
Principautés roumaines et la civilisation européenne. Bien qu’il ne soit pas
directement contrôlé par l’empire du sultan, l’Etat valaque en est une annexe
que les Ottomans traitent avec une extrême brutalité. Cela rend les cule particulièrement
nécessaires, explique Liana Tătăranu: « Ces bâtisses devaient
pratiquement protéger les boyards, et moins les paysans, contre les invasions
turques, mais il ne s’agissait pas des grandes invasions de l’armée. Durant la
domination ottomane, rien ne pouvait se faire dans les Principautés roumaines
sans l’autorisation du sultan. Depuis l’époque du prince Mircea cel Bătrân/Mircea
le Vieux, au XIVème et XVème siècle, lorsque la Valachie avait perdu la
forteresse de Giurgiu, elle ne possédait plus aucune forteresse le long du
Danube. Les princes roumains n’avaient plus été autorisés à construire aucun
type de forteresse et par conséquent ils avaient décidé de renforcer les
monastères. Le prince Matei Basarab est celui qui a construit, au XVIIème
siècle, le plus grand nombre de monastères fortifiés où les villageois
pouvaient aussi trouver refuge. Cependant, les boyards n’avaient pas beaucoup
de choix pour se mettre à l’abri et donc ils ont essayé de prendre leurs
propres mesures pour le faire, notamment contre les attaques des cârjali, des
bandits du pacha de Vidin, Osman Pasvantoglu, et des adalâi, les Turcs de l’île
d’Ada Kaleh. C’est ce qui explique en partie le grand nombre de cule érigées en Olténie,
la zone la plus ciblée par les pillages. »
Tour de garde, de signalisation et d’alarme
La cula olténienne est une bâtisse en forme de
prisme, avec un rez-de-chaussée et plusieurs étages. La base était carrée ou
rectangulaire, les murs en pierre ou en briques, prévus de barbacanes, avaient
environ un mètre d’épaisseur. Les étages étaient reliés par un escalier
intérieur en bois. « La forme de la cula olténienne a évolué avec les réalités
socio-historiques, son apogée se situant dans la seconde moitié du XVIIIème
siècle. Par ces formes architecturales, par la richesse des arches et des
éléments décoratifs, la cula
est un des exemples les plus caractéristiques
de l’architecture olténienne », écrivaient les architectes Iancu
Atanasescu et Valeriu Grama dans leur livre « Culele din Oltenia/Les cule d’Olténie ».
Liana Tătăranu a aussi remarqué l’évolution dans le temps de la destination des
tours de défenses olténiennes: «Dans une première étape, les cule ont servi de tour de
garde, de signalisation et d’alarme, une partie d’entre elles ayant servi de tour-clocher
pour des monastères. Si on regarde la carte, on constate que ces bâtisses se
dressent à une distance entre vingt et trente kilomètres les unes des autres,
sur des tracés bien établis. Elles sont placées à des endroits stratégiques, en
haut d’une colline, en général, afin de bénéficier d’un champ visuel le plus
large possible. Les bâtisses devaient pouvoir se signaler entre elles les
éventuelles attaques. Ensuite, il y a eu les cule de refuge, de défense ou d’habitation
temporaire. Le manoir-résidence permanente du boyard et de sa famille se
trouvait à proximité. »
Après
1821 et surtout après 1829, quand la Principauté de Valachie commence à
sécuriser sa frontière, l’importance pratique de la cula diminue. La bâtisse reste néanmoins un
élément du patrimoine architectural de l’Olténie. (Trad.
Ileana Ţăroi)