Microbes, maladies et épidémies dans l’espace roumain au 19e siècle
Les microorganismes et les maladies qu’ils produisent et qui ont engendré des pandémies, sont apparus à la suite du développement de la médecine. Ils ont été à l’origine d’une réorganisation des politiques sanitaires et ont modifié les comportements sociaux. Au 19e siècle, la société roumaine s’est confrontée à un ennemi qui refaisait surface périodiquement depuis des siècles : la peste. Mais d’autres ennemis invisibles et inconnus jusque-là se manifestaient avec une force destructrice, tel le choléra.
Steliu Lambru, 16.08.2020, 13:00
Les microorganismes et les maladies qu’ils produisent et qui ont engendré des pandémies, sont apparus à la suite du développement de la médecine. Ils ont été à l’origine d’une réorganisation des politiques sanitaires et ont modifié les comportements sociaux. Au 19e siècle, la société roumaine s’est confrontée à un ennemi qui refaisait surface périodiquement depuis des siècles : la peste. Mais d’autres ennemis invisibles et inconnus jusque-là se manifestaient avec une force destructrice, tel le choléra.
Le médecin, anthropologue et professeur des universités Călin Cotoi, de l’Université de Bucarest, nous aide à examiner cette nouvelle apparition, qu’était le microorganisme, dans le mental collectif roumain. Quand les Roumains ont-ils appris l’existence des microorganismes générateurs de pandémies ? Ecoutons Calin Cotoi : « Une partie des Roumains commencent à comprendre ces choses-là en même temps que le reste du monde : c’est-à-dire après la découverte, par Pasteur, de la fermentation lactique et puis de celle alcoolique. Ensuite, Pasteur montre qu’il n’y a pas de génération spontanée, c’est-à-dire que les petites bestioles n’apparaissent pas du néant. Le reste de la population de la Roumanie, hormis celle impliquée dans la réforme sanitaire et médicale, connait un retard assez important dans cette connaissance. Ce n’est que vers la fin du 19e siècle et le début du 20e que le microbe devient une image plus répandue dans l’espace roumain. »
Les craintes des Roumains du 19e siècle n’étaient pas moins importantes que celles de l’homme médiéval. Călin Cotoi affirme que, dans l’Europe du 19e siècle, l’ennemi microbiologique change. La peste est déjà de l’histoire passée et un nouvel ennemi invisible surgit, à savoir le choléra. « La peste sévit dans les principautés roumaines jusqu’en 1830 environ. Au 19e siècle, la peste de Caragea a tué beaucoup de Roumains. Mais la maladie la plus intéressante et la plus importante à mon sens pour l’espace roumain au 19e siècle fut le choléra. Certes il y en a eu d’autres, mais ce fut le choléra qui modifia radicalement la structure politique et sociale des principautés roumaines. Je dirais, exagérant un peu, que la Roumanie moderne est une des créations du choléra, des épidémies européennes de choléra. C’est une des maladies les plus créatives du point de vue social au 19e siècle et elle est très différente de la peste de ce point de vue. Le choléra a dépassé le corridor sanitaire des Habsbourg pour migrer de ses foyers en Inde jusqu’à Paris, Londres et en Amérique du Nord, modifiant en profondeur tant l’espace social occidental qu’en quelque sorte par ricochet l’espace des bouches du Danube. »
Ce n’est pas du tout un secret le fait que les épidémies et les pandémies ont été génératrices de changements dans l’histoire de l’Humanité. Le choléra n’en fait pas exception. Călin Cotoi explique que l’application de la quarantaine dure, c’est-à-dire de 40 jours, au cours de laquelle tout transport de marchandises et de personnes était arrêté directement sur les bateaux ou bien à des postes de quarantaine au bord du Danube, a provoqué une progression de l’autorité de l’Etat roumain. « L’Etat roumain a créé des lieux de quarantaine sur la rivière Prut, mais surtout sur le Danube. Les quarantaines de l’époque sont très solides, mais, justement, elles arrivent à provoquer des crises. L’Etat roumain dépendait de plus en plus du commerce des céréales, qui lui assuraient les sources de financement et d’existence et ce commerce était mis en danger par une quarantaine trop dure. Il y a donc toujours une tension entre la liberté du commerce et le danger du choléra. Je crois que c’est à partir de ce dilemme que la Roumanie est née. »
Au début du 19e siècle, l’Europe était frappée par le choléra, une maladie nouvelle, inconnue, impossible à combattre avec les moyens disponibles à l’époque. La modernisation et l’européanisation de l’espace roumain ont facilité l’arrivée des solutions et des traitements disponibles dans les pays plus avancés, explique Călin Cotoi. « Le choléra dépasse facilement les anciens corridors sanitaires érigés notamment contre la peste et, dans d’autres endroits du monde contre la fièvre jaune, et arrive à dévaster une Europe qui connaissait un fleurissement commercial, industriel et urbain. L’Europe est surprise par la virulence du choléra. Elle agit contre cette maladie inconnue créant des systèmes de gouvernance, des systèmes médicaux et d’enregistrement des maladies, de théories sur la relation entre le milieu social et la maladie. Ensemble, tous ces éléments créent un autre visage et une autre forme de l’administration et de la gouvernance européennes. Ces modèles d’hygiène publique, de politiques publiques arrivent aussi en Roumanie pour transformer en quelque sorte la société. Des modèles internationaux de réaction à cette maladie affreuse et inconnue sont répliqués en Roumanie aussi. Mais elles y connaissent malheureusement un échec, en grande partie à cause de la fracture entre les milieux urbain et rural. Dans les villes, des mesures d’hygiène publique sont introduites mais dans les campagnes, l’échec est tout à fait visible. »
Les microorganismes et les pandémies du 19e siècle n’ont pas été uniquement générateurs de malheur et de mort dans l’espace roumain, comme ce fut le cas au cours de siècles précédents. Les contacts avec le monde occidental européen ont rendu possible l’éradication des maladies dans un espace roumain caractérisé auparavant par le pessimisme et par le fatalisme. (Trad : Alexandru Diaconescu)