Marta Trancu-Rainer, la première chirurgienne de Roumanie
Christine Leșcu, 03.02.2019, 13:30
Parmi les personnalités qui ont marqué le début du XXe siècle en Roumanie, ce sont les hommes – surtout ceux qui ont fait carrière dans la politique ou l’armée – qui sont cités le plus souvent. Toutefois, l’activité des femmes remarquables de l’entre-deux-guerres commence aussi à être étudiée.
Monica Negru, qui travaille aux Archives nationales de la Roumanie, note l’intérêt croissant pour la contribution féminine au progrès du pays au début du 20e siècle. La plus connue de ces femmes reste évidement la reine Marie, épouse du roi Ferdinand qui dirigeait la Roumanie en 1918, au moment de la création de l’Etat national unitaire roumain. Monica Negru précise « heureusement, ces dernières années il existe un intérêt grandissant pour la famille royale et pour les reines roumaines. C’est pour cela que les chercheurs s’intéressent à nouveau à la manière dont la reine Marie, par exemple, a manifesté sa préoccupation constante pour les hôpitaux du front, à sa manière d’accompagner les souffrants, les soldats blessés, mais aussi à sa manière de défendre les idéaux nationaux. Mais l’attention dont bénéficie la reine Marie ne compense pas le fait que les vies de tant d’autres femmes ont été jetées dans l’oubli. Et ce malgré l’extraordinaire esprit de sacrifice dont leurs activités font preuve. »
Marta Trancu-Rainer a été une des proches collaboratrices de la reine Marie dans son activité médicale et caritative pendant la Grande Guerre. Epouse de l’intellectuel et anthropologue Francisc Rainer, Marta Trancu a été la première femme chirurgienne de Roumanie. Elle fait ainsi partie du groupe des pionnières qui, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, ont commencé à intégrer des domaines jusqu’alors réservés aux hommes, comme les sciences et le droit. L’historienne de l’art Oana Marinache esquisse une biographie du médecin Marta Trancu : « Elle a vécu entre 1875 et 1950. Née à Târgu Frumos dans une famille d’origine arménienne, elle suit les cours de la Faculté de médecine de Iași à compter de 1893. Elle déménage ensuite à Bucarest pour étudier l’anatomie pathologique, son rêve étant de faire la connaissance du spécialiste en bactériologie Victor Babeș. Mais elle fait une autre rencontre avant cela : celle du chef du service d’anatomo-pathologie de l’hôpital Colțea de Bucarest, Francisc Rainer. C’est lui qu’elle épousera en 1903. Finalement, elle se spécialise en chirurgie, ainsi qu’en gynécologie. Son nom apparaît assez souvent dans les mémoires de la reine Marie, ainsi que dans celles d’autres personnalités féminines de la famille royale. Marta Rainer faisait partie de l’entourage des reines et des princesses de Roumanie, car elle était chargée de leur santé. Elle a participé à la Première Guerre mondiale en tant que médecin militaire. Elle a même atteint le grade de commandant et a dirigé trois hôpitaux militaires. Il y avait l’hôpital Colțea, un hôpital temporaire de campagne qu’elle avait organisé dans le Palais royal, sur demande de la reine Marie, et un troisième hôpital aménagé à l’intérieur de l’Ecole des ponts et chaussées de Bucarest. »
Dans le volume « Pages de journal », le docteur Trancu-Rainer raconte la méfiance et le dédain qu’elle a éprouvés dans les hôpitaux au début de sa carrière. Ce manque de confiance a entièrement disparu au moment de la guerre, à mesure des preuves, de plus en plus nombreuses, de sa compétence. Voilà sa description de la journée du 6 octobre 1916, dans un Bucarest marqué par l’entrée de la Roumanie en guerre dans le courant de l’été : « Je n’ai pas arrêté d’opérer à Colțea. J’ai fait une pause à 16h20 pour aller visiter un malade au Palais dont j’avais fait l’ablation de l’os iliaque. Il n’y avait rien d’inquiétant […]. Surprise à Colțea. Beaucoup de pansements. Je suis passée par Eforie, et de là je suis allée au Palais, où j’ai opéré quelqu’un qui avait été touché par une balle au cou. J’ai amputé un doigt du pied et j’ai fait une arthrotomie de l’articulation tibio-tarsienne. De retour au Palais, des pansements, des opérations. J’ai extrait un éclat d’obus d’une jambe. Le soir est tombé. »
Toutefois, ses efforts et mérites ont été reconnus dans le temps. En 1919, Marta Trancu-Rainer reçoit l’Ordre de la reine Marie et, en 1953, elle intègre l’Académie de médecine et la Société de biologie.
(Trad. Elena Diaconu)