L’imprimeur Barbu Bucuresteanul
Ce nest quau XVIIIe siècle que Bucarest prend véritablement son essor, au moment où les Principautés roumaines, la Moldavie et la Valachie, se trouvent encore sous suzeraineté ottomane. Durant ce siècle, elles sont dirigées par des voïvodes, par les princes que lhistoriographie appellera les Phanariotes, ces grecs riches et lettrés, originaires du Phanar, le quartier constantinopolitain dIstanbul. Bucarest devient petit à petit un véritable centre commercial, un centre dartisans, voire même un centre culturel, cœur dune société diverse et hétérogène dun point de vue ethnique et culturel. Cest à ce moment que paraissent les premiers écrits imprimés. Les documents historiques gardent la mémoire des premiers contrats dembauche par des métropolies et des évêchés de ces artisans précieux et raffinés quétaient les imprimeurs. Le nom de certains dentre eux, de la première heure, est arrivé jusquà nous. Aussi, reconstituer leur vie et leur quotidien, cest récupérer la mémoire de la société bucarestoise dalors. Parmi ces premiers imprimeurs dont lhistoire a gardé les noms, Stoica Iacovici, ses fils, ou encore Barbu Bucureşteanul.
Christine Leșcu, 25.11.2018, 13:24
Ce nest quau XVIIIe siècle que Bucarest prend véritablement son essor, au moment où les Principautés roumaines, la Moldavie et la Valachie, se trouvent encore sous suzeraineté ottomane. Durant ce siècle, elles sont dirigées par des voïvodes, par les princes que lhistoriographie appellera les Phanariotes, ces grecs riches et lettrés, originaires du Phanar, le quartier constantinopolitain dIstanbul. Bucarest devient petit à petit un véritable centre commercial, un centre dartisans, voire même un centre culturel, cœur dune société diverse et hétérogène dun point de vue ethnique et culturel. Cest à ce moment que paraissent les premiers écrits imprimés. Les documents historiques gardent la mémoire des premiers contrats dembauche par des métropolies et des évêchés de ces artisans précieux et raffinés quétaient les imprimeurs. Le nom de certains dentre eux, de la première heure, est arrivé jusquà nous. Aussi, reconstituer leur vie et leur quotidien, cest récupérer la mémoire de la société bucarestoise dalors. Parmi ces premiers imprimeurs dont lhistoire a gardé les noms, Stoica Iacovici, ses fils, ou encore Barbu Bucureşteanul.
Daniela Lupu, historienne au Musée de Bucarest, nous plonge dans latmosphère dantan et dans le quotidien des premiers imprimeurs bucarestois :« Stoica avait une personnalité extravertie, cétait un homme agile et enthousiaste. Il voulait faire fortune, car il avait une famille nombreuse à charge : Trois fils et un nombre indéfini de filles. A lopposée, Barbu Bucureșteanul est quelquun dintroverti, un homme qui naimait pas traîner en société, qui appréciait la solitude. Il nest pas très aisé, et il a dû quitter Bucarest où il est probablement né, pour aller chercher du travail en Moldavie. Parce que Bucarest, au milieu du XVIIIe siècle, était un peu la chasse gardée de la famille de Stoica Iacovici. Ce dernier travaillait en famille, il sagissait dune affaire de famille. Il connaissait tout le monde, avait ses entrées, même auprès du voïvode et du métropolite. Donc il avait du travail, mais pour Barbu Bucureșteanul cétait différent ».
Pour sattaquer au monopole de laffaire de famille de Stoica Iacovici à Bucarest, Barbu Bucureşteanul a dû dabord sexiler de sa ville natale. Daniela Lupu affirme que :« A la fin de sa période dapprentissage dans une des imprimeries de Bucarest, Barbu est allé chercher du travail en Moldavie, auprès de lArchevêché de Rădăuți. Il débute en 1744, comme maître imprimeur à limprimerie de lArchevêché de Rădăuți, et rentre à Bucarest en 1747 seulement. Une fois de retour, il se fait embaucher par limprimerie de lArchevêché Hongrois-Valaque, où il dirige latelier et forme de nombreux apprentis. Ceci jusquen 1758, lorsquil meurt, probablement de la peste. Barbu a édité dans lintervalle 8 livres religieux et des livres de prière, destinés aux pratiquants, pas pour le catéchisme. »
Dès son retour à Bucarest en 1747, Barbu Bucureşteanul publie des livres religieux aussi bien en roumain, en utilisant les caractères cyrilliques qui avaient cours à lépoque, quen langue slave, la langue liturgique de léglise orthodoxe de son temps. Selon Daniela Lupu, il nétait pas rare quun maître artisan aille chercher du travail loin de chez lui. « Au début de leur art, les imprimeurs menaient une vie de pèlerins, étant obligés de chercher loin des commandes, du travail, sauf peut-être quand ils étaient les protégés dun archevêché ou autre. Lhistoire de Barbu est très parlante à cet égard : Après ses débuts, moins fastes sans doute, il grimpe les échelons, puis la manière dont il maîtrise son art est reconnue et appréciée, et il devient limprimeur attitré de la métropolie de Bucarest. Belle fin de carrière pour lartisan imprimeur. »
Et cest en 1747 que paraît le premier volume édité par Barbu Bucureșteanul dans la Typographie de la Métropolie Hongro-Valaque de Bucarest. Edité en petit format, le livre sintitule « Prières de tous les jours de la semaine ». Son nom napparaît pas sur la page de garde, mais il signe la préface. On comprend que cest lui qui sest chargé de limpression de ce volume. Il ne travaillait pas seul, dautres maîtres artisans, dont Grigore Stan Brașoveanul, faisaient équipe avec lui. Daniela Lupu : « Une chose intéressante : Barbu et Grigore ont signé un contrat de travail, pour employer des notions contemporaines, avec le métropolite Neofit le Crétois, de Bucarest. Ce genre de contrats a sans doute dû être établi dans dautres contextes, mais cest le seul qui nous est parvenu. Cest un document rare, car il nous renseigne sur le niveau de salaire des imprimeurs de lépoque, de leurs droits et obligations envers leur employeur. On na gardé que deux contrats rédigés au XVIIIe siècle de ce type. Que stipulait le marché conclu entre lemployé et lemployeur? Et bien, on apprend que lemployeur devait nourrir lemployé chaque jour, un repas qui comprenait du pain, du vin, et différents plats. Il avait droit de recevoir du sel, du savon, des bougies, pour pouvoir travailler la nuit dans son atelier lorsque le temps pressait. Et puis, des bûches en bois pour chauffer les poêles. »
En labsence de sources contraires, il semblerait que Barbu Bucureşteanul ait travaillé et habité Bucarest jusquà la fin de ses jours, cest-à-dire en 1758. Il est possible quil ait été une des premières victimes de lépidémie de peste qui a ravagé Bucarest entre 1756 et 1759. (Trad. Ionut Jugureanu)