L’histoire récente du vin roumain
Les sources historiques remarquent assez souvent la présence de la vigne sur lensemble de lespace nord-danubien.
Steliu Lambru, 04.02.2024, 10:30
Le
vin a une belle tradition dans l’espace roumain, la culture de la vigne étant
attestée chez le peuple antique des Daces. L’historien grec Strabon, qui a vécu
au I-er siècle av. J.C. et au I-er siècle apr. J.C., mentionnait dans ses
écrits le fait que le roi dace Burebista avait décidé de mettre le feu aux
cultures de vigne afin de freiner la consommation de vin de ses sujets. Au-delà
de la frivolité du fait-divers mentionné par Strabon, les sources historiques
remarquent assez souvent la présence de la vigne sur l’ensemble de l’espace
nord-danubien.
En
Roumanie, entre 1945 et 1989, la production et la vente du vin ont été marquées
par l’économie centralisée. Marian Timofti, président de l’Organisation des
sommeliers de Roumanie, explique ce que cela a signifié : « Les vins produits en Roumanie à cette époque-là étaient destinés
à couvrir des dettes à l’exportation, ce qui voulait dire des récoltes très
grandes. Or, une grande quantité de raisin récoltée se traduisait par un vin de
moindre qualité. Plus les minéraux du sol vont à moins de graines de raisin,
plus ils y sont présents et vice-versa : plus les grappes sont nombreuses,
moins de minéraux elles contiennent. Le corps du vin, la saveur, les arômes,
les anthocyanes, responsables de la couleur du vin, sont moins présents. Mais
c’était comme ça à l’époque, c’est ce qu’on demandait, la production était
exportée à 80 – 90%. La dette extérieure de la Roumanie a été largement
couverte grâce aux ventes de vin. L’Union soviétique en était le principal
importateur, qui cherchait des vins avec des restes de sucres, c’est-à-dire des
sucres non-transformés en alcool, des vins demi-secs, demi-doux et même doux,
car le froid y demandait de l’énergie. Deuxièmement, la teneur en alcool des
vins ne devait pas dépasser 12,5% et nous, on s’amusait en disant qu’il ne
fallait pas faire de la concurrence à la vodka. La viticulture de qualité de la
Roumanie a pratiquement été tuée par Nicolae Ceausescu. Oui, nous pouvons dire
ça, parce qu’à l’époque, les chefs des fermes, les directeurs des vignobles,
étaient payés en fonction de la quantité récoltée par hectare. Tout comme
ceux des plantations de blé ou de maïs. Il fallait rapporter des grosses
quantités. »
Malgré
cette réalité, les vins de qualité n’avaient pas complètement disparu, mais ils
n’étaient pas accessibles à tout le monde. C’étaient des vins d’exception, qui
participaient à des compétitions internationales, explique Marian
Timofti : « La Roumanie était reconnue dans le
monde pour la qualité de ses vins, produits en petite quantité, avec le raisin
de certaines parcelles. Dans chaque vignoble, on choisissait des parcelles pour
produire des vins de ce que nous appelions « le petit tonneau »,
réservé à un nombre de personnes, triées sur le volet. C’étaient ces vins-là
qu’on envoyait à des compétitions internationales, où la Roumanie a gagné un
grand nombre de médailles. Sauf que les Occidentaux évitaient d’importer des
produits de Roumanie, car ils recevaient des vins fabriqués en grande quantité
et non pas les médaillés. »
L’œnologie
roumaine de ces temps-là a inventé, entre autres, « le vin de
Ceausescu ». Amateur de vin, le leader communiste roumain était malade de
diabète durant la dernière partie de sa vie. Et ce fut à Husi, à l’est de la
Roumanie, que l’on avait trouvé la solution pour qu’un diabétique puisse boire
du vin, raconte Marian Timofti : « On savait que
Ceausescu préférait le zghihara de Husi dont des centaines de bouteilles
avaient comme destination le Comité central du Parti communiste. C’est un
cépage avec très peu de sucres, mais avec une forte acidité, bien plus élevée
que la normale, un vin dit « d’entrée », de début de repas, car son
acidité produit des sucs gastriques
qui aident la digestion. La faible teneur en sucres a déterminé Ceausescu à
l’adopter sur le conseil de médecins qui l’ont assuré que la boisson ne nuirait
pas à son diabète. C’est comme ça qu’est né le « vin de Ceausescu ».
Mais lors des repas, on servait aussi d’autres vins. Elena Ceausescu, par
exemple, préférait le Cabernet-Sauvignon, surtout produit dans les vignobles de
Dealul Bujorului. Elle aimait le demi-sec, avec un reste de sucres et une trace
finale sucrée, qui dominait la dureté des tanins. C’est là qu’ont été dirigés
des fonds pour financer une plantation de 40 hectares de zghihara de Husi. Au
début, la superficie à planter n’avait
pas cette dimension, mais l’argent envoyé par le Comité central est venu en
aide. Lors des réceptions organisées lors des visites d’autres chefs d’Etat,
Ceausescu offrait aussi son vin, que tout le monde disait apprécier, le sourire
aux lèvres, par politesse. »
Une histoire du vin
roumain d’après la Deuxième guerre mondiale devrait aussi retenir de nombreux
aspects sociaux liés à la production de cette boisson associée à la vie. C’est
une longue histoire, qui n’est sûrement pas prête à s’arrêter. (Trad. Ileana
Ţăroi)