L’exil roumain et l’espionnage anticommuniste
Steliu Lambru, 01.01.2023, 03:15
L’historien Lucian
Vasile a récemment découvert et refait les aventures des Roumains exilés après
l’installation du régime communiste à Bucarest et qui, au début des années
1950, se sont impliqués dans des actions d’espionnage contre ce régime. Organisées,
pour la plupart, par une structure appelé le Service de renseignement des
militaires roumains de l’Exil (SIMRE), ces actions avaient pour but de trouver
des collaborateurs qui observent de l’intérieur l’activité des institutions
communistes, recueillant des informations utiles pour les organisations
occidentales en cas de déstabilisation du régime de Bucarest, dans le contexte
de la Guerre froide.
Quels ont été leurs plans, avec quels résultats concrets, comment se
sont-ils fait démasquer, autant de questions dont les réponses se trouvent dans
le livre « La Guerre des espions. Les actions secrètes de l’exil roumain
au début du communisme » de Lucian Vasile, qui explique : « Les gens de l’exil se sont organisés en réponse à la proposition des
services secrets français et une dispute a même éclaté, car les Français
auraient voulu que le service roumain leur soit rattaché. Or, les Roumains de
la diaspora voulaient être des partenaires indépendants et égaux des Français,
ce qui leur a réussi au moins entre 1950 et 1952. En 1951, les services secrets
américains faisaient leur apparition dans le paysage. Ils travaillaient
ensemble avec les Français, afin de constituer un pôle de renseignement qui
allait représenter l’Occident. Ils collaboraient aussi avec les services
roumains liés à l’organisation conventionnelle de l’exil, c’est-à-dire le
Comité national roumain et le Roi Michel, qui était au courant de l’existence
du service et qui avait même nommé le chef officiel de la structure en la
personne du général Dumitru Puiu Petrescu. Mais il y avait aussi d’autres
structures ou personnes qui agissaient seules, ou bien d’anciens membres du
Mouvement légionnaire (la Garde de fer), qui cherchaient à sortir de la
proscription politique et légitimer leur action à travers la collaboration avec
les services américains. Ce furent eux, d’ailleurs, les plus impliqués dans les
actions directes de parachutage en Roumanie, d’envoi d’agents secrets censés
agir, mais qui ne savaient pas clairement ce qu’ils auraient pu faire ».
A leur tour, les autorités communistes – avec l’aide de l’URSS – ont su
comment bloquer efficacement les actions des espions de l’exil. « Le
contre-espionnage de Bucarest – et ça me fait de la peine de le dire – anticipait
toujours chaque opération de l’exil. Ce fut effectivement une confrontation
entre David et Goliath. », raconte l’historien Lucian Vasile, qui ajoute :
« Les espions dont nous connaissons l’existence sont en fait ceux qui ont
été capturés. Il y a eu, sans doute, des victoires informatives, mais que nous
ne connaissons pas. Nous pourrions, peut-être, en trouver des informations dans
les archives occidentales. Par contre, ceux qui ont été capturés par le
contre-espionnage communiste n’ont pas fait grand-chose. Les quelques hommes du
Service militaire roumain de l’exil ont essayé mais n’ont pas réussi à envoyer
du renseignement essentiel. Ils sont arrivés à obtenir, par d’autres moyens,
des informations concernant les aéroports et la technique militaire soviétique
déployée en Roumanie, les mouvements de troupes de l’Est, les fortifications à
la mer Noire. Ils ont engrangé quelques réussites. Mais combien utiles
furent-elles? Difficile de savoir. Moi je dirais qu’elles auraient été utiles
s’il y avait eu une troisième guerre mondiale, dont le déclenchement était
souhaité par de nombreux Roumains à la fin des années 1940 et le début des
années 1950 ».
Dans le cadre du SIMRE, « le cerveau des opérations » était l’officier
d’aviation Mihail (Mișu) Opran, chef du bureau de contre-informations et leader
de facto du service secret. Parmi les agents doubles qui travaillaient avec
lui, Mihail Țanțu, lui aussi officier d’aviation, occupait une place spéciale.
Il était membre de la première compagnie de parachutistes de l’armée roumaine lors
de la deuxième guerre mondiale, détenu politique au début du communisme, héro
d’une évasion trop insolite pour ne pas être suspecte. Après avoir fui la
Roumanie, il a intégré le SIMRE, qui l’a d’ailleurs envoyé de nouveau là-bas.
L’historien
Lucian Vasile décrit le déroulement des actions coordonnées par Opran et mises
en pratique par des gens comme Țanțu :
« Certaines actions ont été menées
par des agents parachutés en Roumanie, d’autres par le recrutement de quelqu’un
qui se rendait de Bucarest à Paris pour rentrer ensuite avec le matériel
informatif qu’il devrait utiliser pour recruter des agents et transmettre des
informations en Occident. Les individus parachutés ont été capturés d’une
manière différente. Au début des années 1950 ils ont été quasiment tous capturés.
En 1953, ils ont été jugés dans un procès monté de toutes pièces, appelé « Le
procès des parachutistes » et mentionné d’une certaine manière dans
l’historiographie. Les agents, parachutés dans le cadre d’un projet des
services américains, ont été capturés par pur hasard. Une des équipes a été
aperçue par une fillette dans un champ et les agents ont dû choisir entre la
tuer et la laisser partir. Et ils ont choisi de la laisser en vie. De là, tout
est parti en boule de neige, car la fillette a découvert les armes et alerté
les autorités. Celles-ci ont compris qu’il y avait eu un parachutage et qu’il
s’agissait de quelqu’un originaire de la zone en question. Alors elles ont
cherché à voir qui avait disparu de son domicile. Petit à petit, elles ont
réussi à capturer un membre de l’équipe, qui a tout avoué au cours de l’enquête.
Cela a déclenché une chasse aux espions ».
Bien que sans succès notables, les
actions d’espionnage organisées par l’exil roumain au début des années 1950
étaient marquées par une certaine effervescence, qui a décliné après le départ
de Mihail Opran de la direction du SIMRE. (Trad. Ileana Taroi)