Les visages des prisonniers politiques de Ploieşti (1948 – 1964)
Des sources officielles font état de quelque 350 prisonniers politiques dont les noms apparaissent dans les archives en lien avec la ville de Ploieşti, important centre industriel et pétrolier du sud de la Roumanie, notamment durant la première moitié du XXe siècle. La plupart de ces prisonniers politiques avaient été arrêtés, jugés, torturés
et incarcérés dans des bâtiments emblématiques de la ville, sans que la
population en ait la moindre connaissance. L’historien Lucian Vasile a
voulu mettre en lumière la mémoire de sa
ville natale et le besoin de connaître les tragédies de son histoire, et pour
cela il a écrit le livre « Les gens que nous avons oubliés. La répression
communiste de Ploieşti (1948 – 1964) ». Il y a raconté les histoires
personnelles de ceux qui soit habitaient dans la ville au moment de leur
arrestation soit y avaient subi les interrogatoires de la Securitate et
l’incarcération. Ils ont pourtant tous vécu la même tragédie que toutes les
autres victimes d’un régime communiste cherchant à annihiler des ennemis réels
ou inventés, sur la base de culpabilités à leur tour vraies ou montées de
toutes pièces.
Steliu Lambru, 03.10.2021, 10:30
Des sources officielles font état de quelque 350 prisonniers politiques dont les noms apparaissent dans les archives en lien avec la ville de Ploieşti, important centre industriel et pétrolier du sud de la Roumanie, notamment durant la première moitié du XXe siècle. La plupart de ces prisonniers politiques avaient été arrêtés, jugés, torturés
et incarcérés dans des bâtiments emblématiques de la ville, sans que la
population en ait la moindre connaissance. L’historien Lucian Vasile a
voulu mettre en lumière la mémoire de sa
ville natale et le besoin de connaître les tragédies de son histoire, et pour
cela il a écrit le livre « Les gens que nous avons oubliés. La répression
communiste de Ploieşti (1948 – 1964) ». Il y a raconté les histoires
personnelles de ceux qui soit habitaient dans la ville au moment de leur
arrestation soit y avaient subi les interrogatoires de la Securitate et
l’incarcération. Ils ont pourtant tous vécu la même tragédie que toutes les
autres victimes d’un régime communiste cherchant à annihiler des ennemis réels
ou inventés, sur la base de culpabilités à leur tour vraies ou montées de
toutes pièces.
L’historien
Lucian Vasile raconte qui étaient les gens dont il parle dans son livre :
« Ils faisaient partie de toutes les catégories de population. C’est ce
qui m’a paru le plus intéressant, d’ailleurs. Le fait que près de la moitié des
prisonniers politiques était des ouvriers ou des paysans pauvres ou peu aisés,
c’est-à-dire les catégories sociales que le régime clamait défendre. Cela
montre, en réalité, le niveau du rejet ou du manque d’attachement de la société
roumaine au régime imposé au lendemain de la Deuxième guerre mondiale. Quant à
l’âge, la plupart de ces gens étaient des jeunes, prêts à agir d’une quelconque
manière. Ils n’avaient pas de famille personnelle, pas d’enfants, car j’ai
constaté que justement, confrontés aux pressions, les gens changeaient
d’attitude afin de protéger leur famille ».
Les accusations infondées, les
arrestations abusives, sans mise en examen officielle et sans procès, mais
surtout la torture et les conditions de détention inhumaines ont dissuadé de
nombreux survivants des prisons communistes d’en parler. Lucian Vasile a assumé
donc la tâche d’écrire leurs histories personnelles, comme celle de Martha
Koppes, qui s’était retrouvée face à face avec la Securitate au début des
années 1950.
Lucian Vasile : « Martha Koppes a été
la femme la plus courageuse que j’ai rencontrée durant mes recherches pour le
livre. Elle n’a pas été la seule, mais elle a été celle qui m’a le plus
impressionné. Elle n’avait pas été incarcérée, mais elle était née dans une
famille mixte ; son père, de nationalité néerlandaise, avait été un
important industriel de Ploieşti. La Securitate l’avait approchée, lui
demandant de collaborer. Elle y a été contrainte par la situation de ses
parents âgés, qui voulaient quitter la Roumanie. Marta ne devait en parler à
personne, elle devait fournir des informations de l’intérieur de l’ambassade
des Pays-Bas, où elle travaillait depuis deux ans. Elle avait réussi à faire
semblant de jouer le jeu, afin d’arriver à faire sortir ses parents du pays. Mais
un incident banal et stupide l’a poussée entre les mains de la Securitate, avec
laquelle, sous l’emprise du désespoir, elle a fini par signer un engagement
très atypique, qu’elle a réfuté par la suite. Elle et ses parents ont fini par
quitter le pays. Malheureusement, son époux est resté captif en Roumanie et ils
ont dû se séparer ».
Au
cours des premières années du régime communiste, de nombreux prisonniers
politiques de Ploieşti étaient des jeunes et des étudiants, qui n’ont pas pu
échapper à l’expérience la plus dure de l’époque: la rééducation dans le
pénitentiaire de Piteşti, un phénomène mis en œuvre dans d’autres centres de
détention aussi. C’est ce qui est arrivé, à la fin des années 1940 à des
étudiants de Ploieşti qui avaient eu l’audace d’imprimer des tracts anti-communistes.
Lucian Vasile raconte leur tragique
expérience : « Tout tourne et retourne tant de fois, que
l’on est incapable de distinguer le normal de l’anormal, la victime de
l’agresseur, qui secourt et qui humilie l’autre. Mais au-delà de tout ça, il ya
aussi une histoire de survie et de confiance, car même dans de telles
circonstances aberrantes, les quatre amis se sont toujours fait confiance, ils
ont refusé de se frapper les uns les autres, en dépit des situations
indescriptibles. Par un effort surhumain, ils ont réussi à tenir tête à ceux
qui les avaient poussés jusqu’au seuil de la mort. Ce sont des moments impressionnants
et difficiles à comprendre ».
Libérés
en 1964, sur la base du décret de grâce de cette année-là, la plupart des
prisonniers politiques de Ploieşti, et d’autres centres, ont continué d’être
surveillés et harcelés par la Securitate jusqu’à la chute du régime communiste.
Les histoires de cette période seront racontées dans un autre livre. (Trad. Ileana Taroi)