Les « mahalas / faubourgs » Flămânda et Sfânta Ecaterina
Incursion dans l'histoire de la ville de Bucarest
Christine Leșcu, 08.09.2024, 14:48
Bien qu’avoisinant la Place Unirii, soumise à des démolitions d’immeubles et à des transformations radicales sous le régime communiste, la zone située derrière la colline de la Métropolie, à l’Est de Bucarest, a préservé son aspect historique, classique, et même celui d’origine. Or, justement, l’origine de deux de ces quartiers est liée au passé de la métropolie ou du patriarcat orthodoxe d’aujourd’hui.
Le quartier de la métropolie
Ana Rubeli, chercheuse et autrice du livre « Mahalale de patrimoniu / Des mahalas de patrimoine. Sfânta Ecaterina et Flămânda », esquisse l’histoire des lieux : « Si nous nous plaçons géographiquement dans le périmètre de la métropolie, à la base de la colline se trouve l’église Sfânta Ecaterina (Sainte Catherine), qui a jadis été un monastère et dont les données historiques remontent à l’année 1650, environ. C’est l’église qui a donc donné son nom au faubourg (la mahala), puisque l’histoire nous dit que les mahalale prenaient le nom soit de l’église ou du monastère autour desquels elles se coagulaient soit des familles de boyards auxquelles elles étaient liées. Mais le faubourg Sfânta Ecaterina s’est pratiquement formé sur la base de contrats d’emphytéose, le droit de jouir d’un bien-fonds d’autrui du fait d’un bail de longue durée entre l’église et les gens. L’église a donc décidé de donner des parcelles de terrain aux gens de sa proximité. Le monastère s’assurait ainsi des revenus, et les gens avaient un lieu pour vivre. L’emphytéose ressemblait à un contrat de location, d’habitude sur 99 ans, qui pourrait rester en famille ou être vendu. »
L’architecture des immeubles parle du statut social des habitants.
Le tissage humain de la mahala a changé à travers le temps, avec même une évolution socio-économique d’une génération à une autre. Si, au début, les habitants en étaient des petits commerçants, avec le temps leurs familles ont fini par comprendre des architectes, des musiciens, des avocats ou des médecins. L’architecture des immeubles parle également du statut social des habitants. Mais quel était la maison-type de la mahala Sfânta Ecaterina, un modèle que l’on peut trouver encore aujourd’hui ? Ana Rubeli répond à cette question. : « En général, c’est le type de maison-wagon, légèrement étroite vers la rue et qui se développe pour ainsi dire sur la profondeur de la parcelle. L’agrandissement et l’évolution financière de la famille entraînent l’apparition de nouvelles ailes ajoutées à l’immeuble principal qui donne sur la rue. Ce sont des maisons avec un rez-de-chaussée surélevé, dont les ornements attestent le statut financier de la personne qui avait décidé de les bâtir. Certains immeubles ont été dessinés par des architectes connus, ils ont des éléments distinctifs tels que des mascarons ou des visages protecteurs aux fenêtres. Ce sont ces esprits qui protègeraient l’intimité de la maison. D’autres maisons ont des marquises vitrées, sont enveloppées dans de la vigne ou du chèvrefeuille, des éléments de végétation typiques de la mahala et du sol, puisque nous sommes ici au pied de la colline de la Métropolie, appelée jadis la colline des Vignes, mais aussi près de la rivière Dâmbovița, dans une zone inondable donc très fertile. »
Bâtiments de patrimoine
Dans cette zone verte et pittoresque, on trouve toujours des bâtiments de patrimoine créés par des architectes tels que Paul Smărăndescu, Ștefan Ciocârlan, Gheorghe Simotta, Arghir Culina. Dans la proximité immédiate de la mahala Sfânta Ecaterina il y avait Flămânda, une des zones les plus pauvres de la capitale avant 1900, et dont les habitants étaient pour la plupart des tailleurs, des cordonniers, des fabricants et vendeurs de savon ou des ferblantiers. Cette mahala s’est elle aussi coagulée autour d’une église, raconte Ana Rubeli : « En fait, ce fut un projet de la métropolie, puisque nous sommes ici à la limite entre son périmètre et celui du monastère Sfânta Ecaterina, plus à l’Est. L’idée était de convaincre les estropiés et les pauvres d’aller mendier près d’un ermitage en bois, qui a fini par être connu sous le nom de « Flămânda/Crève-la-faim » ou « Săraca/L’Indigente » et mentionné ainsi dans les documents d’époque. L’ermitage a pratiquement repris la charge émotionnelle de la métropolie et la communauté formée autour de lui a bien évolué dans le temps, mais elle a gardé son nom du commencement, bien qu’elle ne fût plus ni pauvre ni affamée. »
Les deux quartiers aujourd’hui
De nos jours, un petit nombre de propriétaires des maisons pavillonnaires de Sfânta Ecaterina et de Flămânda connaissent l’histoire de leurs quartiers respectifs, car peu de descendants des familles locales y habitent encore. Le changement démographique a eu lieu pendant le communisme, qui a nationalisé les immeubles et les a remplis de locataires. Après 1990, ces immeubles sont redevenus des propriétés privées, mais tous ne sont pas habités par les familles d’origine. Les propriétaires actuels peuvent néanmoins apprendre l’histoire des lieux en lisant le livre d’Ana Rubeli « Les mahalas» Flămânda et Sfânta Ecaterina », sorti aux Editions Vremea. (Trad. Ileana Ţăroi)