Les habitations des communautés juives de Moldavie
Présentes depuis fort longtemps dans la création littéraire et de
folklore, les communautés juives de Moldavie sont également devenues un repère,
aussi bien positif que négatif, de la mentalité collective roumaine, dans un malheureux
mélange d’acceptation et de préjugés. Dans un effort de mieux connaître la vie
quotidienne dans les bourgades moldaves à population majoritairement d’origine
juive, l’architecte Irina Nemţeanu a récemment publié le livre « Ipostaze
ale locuirii comunității evreiești din Moldova (1775 – 1930)». Cette démarche
est partie du constat que l’histoire du multiculturalisme dans l’espace roumain
a eu une influence sur le tissu urbain et sur l’architecture locale. Quant à
l’histoire de la migration et de l’établissement des Juifs dans l’espace
moldave, ces aspects ont aussi été liés aux politiques sociales et économiques
mises en œuvre par les pouvoirs étrangers dominant la Moldavie historique:
l’empire des Habsbourg, l’empire ottoman et celui des tsars.
Christine Leșcu, 23.04.2023, 02:43
Présentes depuis fort longtemps dans la création littéraire et de
folklore, les communautés juives de Moldavie sont également devenues un repère,
aussi bien positif que négatif, de la mentalité collective roumaine, dans un malheureux
mélange d’acceptation et de préjugés. Dans un effort de mieux connaître la vie
quotidienne dans les bourgades moldaves à population majoritairement d’origine
juive, l’architecte Irina Nemţeanu a récemment publié le livre « Ipostaze
ale locuirii comunității evreiești din Moldova (1775 – 1930)». Cette démarche
est partie du constat que l’histoire du multiculturalisme dans l’espace roumain
a eu une influence sur le tissu urbain et sur l’architecture locale. Quant à
l’histoire de la migration et de l’établissement des Juifs dans l’espace
moldave, ces aspects ont aussi été liés aux politiques sociales et économiques
mises en œuvre par les pouvoirs étrangers dominant la Moldavie historique:
l’empire des Habsbourg, l’empire ottoman et celui des tsars.
Les premiers Juifs sont venus s’installer sur ces terres bien
avant 1775, lorsque les vagues de migration s’intensifient. Ils ont bénéficié
d’une politique spéciale de l’empire ottoman, pouvoir suzerain de la Moldavie,
qui détenait le monopole de la commercialisation internationale de nombreuses
marchandises en provenance de la principauté. Dans ce contexte, l’installation,
sur ce territoire, de commerçants étrangers – libres des contraintes appliquées
aux commerçants autochtones – a encouragé le transit commercial vers des
régions extérieures à l’empire, tout en préservant la route moldave en tant que
l’une des principales routes commerciales régionales.
L’architecte Irina Nemțeanu fournit d’autres détails là-dessus. TRACK 1: L’histoire de ces communautés de Moldavie ne commence pas à la fin du XVIIIème
siècle, mais bien avant. Nous avons des informations sur les anciennes
communautés de Siret et d’Iași datant du XVIIème siècle. En revanche, les
événements de la fin du XVIIIème siècle représentent un phénomène beaucoup plus
visible du point de vue urbain. Un très grand nombre de communautés commencent
à migrer vers la Moldavie, dans un contexte qui explique bien des aspects de
l’histoire des espaces extérieurs à la Moldavie. Je pense au fait que l’empire
des Habsbourg s’empare de plusieurs territoires, dont la Bucovine, mais je
pense aussi à l’espace de la zone de résidence de l’empire des tsars, par
exemple. Ensuite, nous devons prendre en compte les contraintes appliquées aux
communautés juives, qui souhaitaient avoir un certain degré de liberté d’habitation et de pratique du commerce, une
liberté qu’elles ont plutôt trouvé en Moldavie. Ici, de certains points de vue,
la situation était meilleure que ce qu’il se passait à l’extérieur de ce
territoire.
En Moldavie, traversée dès le Moyen Âge par d’importantes routes
commerciales internationales, les bourgs commerçants s’étaient multipliés à
travers le temps. Les Juifs ont choisi de s’y installer et, dans certains cas,
ils ont réussi à raviver l’activité dans les endroits frappés par la pauvreté.
Irina Nemțeanu raconte: Nous parlons des grands bourgs de
Moldavie, auxquels le contexte politique et surtout économique a attaché une
nouvelle dimension à partir du début du XIXème siècle. Je pense à Iași, Roman,
Dorohoi, et autres tels centres. Mais nous parlons aussi de bourgades, petites
agglomérations qui ont commencé à se développer justement dans ce contexte
économique modifié et qui se sont formées en assumant un rôle commercial à
proximité de communes déjà présentes sur les domaines de boyards moldaves. Il y
a plein d’exemples en ce sens: Podu Iloaiei, Frumușica dans le département d’Iași,
Ștefănești, Berești. Un tas d’exemples qui témoignent en fait d’un phénomène
présent sur tout le territoire, mais qui s’est aussi développé en fonction de
certaines périodes historiques et des vagues d’immigration ayant marqué ces
communautés, principalement formées de petits commerçants, dont de très
nombreux Juifs.
Les maisons et les échoppes juives de la
région respectaient le modèle archiconnu des habitations de commerçants de
partout: soit le commerce au rez-de-chaussée et l’habitation familiale à
l’étage, soit la boutique à l’avant et les pièces habitées par la famille à
l’arrière.
Irina
Nemțeanu ajoute d’autres détails sur les caractéristiques des quartiers juifs
de ces bourgs : On ne peut pas parler d’une architecture
juive, mais il existe des éléments communs au niveau de la région. Ce qui est
évident c’est l’intention de systématiser certaines fonctions autour d’une
artère commerciale très solide, ainsi qu’une intention de cacher le côté
communautaire et religieux. Ce dernier aspect est aussi lié à l’État-hôte qui
impose des règles d’intégration à ces communautés. Par ailleurs, du moins
jusqu’au milieu du XIXème siècle, les communautés préféraient probablement
cacher leurs lieux de culte. C’est ce qui explique le fait que, le plus
souvent, les synagogues ne sont pas visibles, (…) étant cachées derrière les
maisons et les échoppes, qui avaient donc une double fonction. C’est la raison
pour laquelle, cette caractéristique spatiale des communautés juives a réussi à
résister notamment à la périphérie des villes jusqu’au début du XXème siècle.
Comment la cohabitation des Juifs
avec la population majoritaire s’est-elle déroulée, compte tenu de cette
démarche de cacher les aspects religieux de la vie de la communauté? L’architecte
Irina Nemțeanu explique : Ce sont deux choses différentes. Il s’agit,
d’une part, du fait que ces communautés habitaient dans des bourgs où l’habitat
était visiblement diffus, mixte, il y avait donc des relations avec d’autres
groupes allogènes ou autochtones, dans une sorte de mosaïque culturelle.
D’autres parts, dans les bourgades, justement le simple fait que ces
communautés étaient, en quelque sorte, majoritaires créait l’impression d’une
agglomération quasi juive. Ce n’était pas une intention planifiée, mais le
résultat de l’installation de gens ayant un certain passé culturel commun.
À présent, le visage de ces anciens
bourgs commerciaux de Moldavie a beaucoup changé, de nombreuses maisons de
familles juives ayant disparu à travers le temps. Celles qui sont encore debout
devraient être mieux conservées et mises en valeur, tout comme le contexte
historique et ethnique qui les a vues naître. (Trad. Ileana Ţăroi)