Les décorations roumaines
Steliu Lambru, 10.05.2020, 13:10
Les Etats, les institutions et les organisations ont
toujours utilisé les ordres, les décorations et les médailles pour montrer leur
reconnaissance envers ceux qui leur rendent service. L’Etat roumain ne fait pas
exception à cette règle, les distinctions qu’il a accordées aux plus méritants
de ses serviteurs étant étudiées par la phaléristique. Cette science auxiliaire
de l’histoire nous dit que les décorations roumaines sont rangées dans
plusieurs catégories : les nationales, les commémoratives, les militaires
en temps de paix, les militaires en temps de guerre, les civiles par domaines
d’activité et les enseignes honorifiques.
La première distinction roumaine est créée dans la
seconde moitié du 19e siècle, après l’union des Principautés
roumaines de Valachie et de Moldavie, en 1859, pour fonder la Roumanie. L’Etat
roumain tente d’instituer les premiers ordres et décorations à l’époque du
premier prince régnant de Roumanie, le colonel Alexandru Ioan Cuza. En 1860, le
prince Cuza créa la médaille « Pro Virtute Militari » pour
récompenser les sapeurs-pompiers qui avaient tenu tête à l’armée ottomane sur
la Colline de Spirea (Dealul Spirii) le 13 septembre 1848. En 1864, Cuza avait
aussi voulu créer l’« Ordinul Unirii / l’Ordre de l’Union » pour
marquer le 5e anniversaire de
l’Union des Principautés, mais il finit par abandonner l’idée pour ne pas
provoquer de tensions dans la relation avec l’empire ottoman. Deux autres
médailles, « Virtutea militară / La Vertu militaire » et « Devotament
și Curaj / Dévouement et Bravoure », récompensaient les faits d’armes sur les
champs de bataille sanglants de la Guerre d’indépendance de 1877-1878. En 1864,
deux années avant son abdication, le prince Alexandru Ioan Cuza a créé l’Ordre
national de « L’Etoile de la Roumanie / Steaua României », qui
deviendra la plus haute distinction de l’Etat roumain.
Floricel Marinescu, expert en ordres et médailles, a
expliqué pourquoi le règne de Cuza avait été une époque des débuts et des
tâtonnements : « Puisque la
création d’ordres est une prérogative des Etats souverains, la Roumanie n’a eu
d’ordre national qu’après avoir proclamé son indépendance, en mai 1877. Les
tentatives du prince régnant Alexandru Ioan Cuza de créer un tel ordre
s’étaient heurtées à l’opposition de la Porte ottomane et de l’Empire
autrichien, qui y voyaient un gain de droits d’Etat souverain que le statut
international de la Roumanie ne prévoyait pas. Les décorations commandées par
Cuza sont restées dans son palais, sans jamais être attribuées à qui que ce
soit. »
Ce fut le prince Carol Ier de
Hohenzollern-Sigmaringen, successeur de Cuza, qui a donné de la substance à
l’Etat roumain. Par conséquent, ce fut pendant son règne que les attributs de
la souveraineté roumaine commencèrent à se manifester, pour se voir confirmer
après la Guerre d’indépendance de 1877-1878. Bien que mis par la puissance
ottomane suzeraine dans l’impossibilité d’instituer des décorations, Carol allait
jouer ses cartes avec intelligence et suivre la voie vers l’indépendance
désirée par les Roumains. Ainsi assumait-il les démarches de son prédécesseur,
Al. I. Cuza, de créer des distinctions, pour les transformer en réalité. « Virtutea
Militară / La vertu militaire » en fut un exemple.
La proclamation de l’indépendance, le 10 mai 1877,
brisa les barrages et donna naissance au premier ordre national roumain, « Steaua
României / L’Etoile de la Roumanie », avec cinq grades: chevalier, officier,
commandeur, grand officier et grande croix. « Steaua României » trouvait
son origine dans l’ordre de l’Union, que le prince Al. I. Cuza n’avait pas
réussi à imposer en tant que distinction officielle de l’Etat roumain moderne. De
nouvelles décorations, liées notamment à la guerre, sont créées après l’indépendance
: la Croix « Trecerea Dunării / La traversée du Danube », la Croix
commémorative « Elisabeta / Elisabeth », qui portait le nom de la
reine Elisabeta, épouse du roi Carol Ier, surnommée « la mère
des blessées », la médaille « Apărătorii Independenţei/ Les
Défenseurs de l’indépendance », la médaille « Serviciul Credincios /
Service fidèle ». Il faut rappeler que la Russie, grande alliée de la Roumanie
pendant la guerre contre l’Empire ottoman, a récompensé les militaires roumains
de décorations telles « La médaille commémorative russe de la guerre de 1877-1878
» et la Croix « Saint Georges ». Dans le même temps, les militaires
russes avaient reçu la décoration roumaine la « Croix de la traversée du
Danube ». Dans la catégorie des distinctions professionnelles, il y avait
la médaille « Răsplata Muncii pentru Învăţământ / La récompense du travail
pour l’enseignement », décernée aux enseignants, et puis la médaille « Răsplata
Muncii pentru Biserică / La récompense du travail pour l’Eglise », créée
en 1906 pour récompenser les membres du clergé.
En 1903, apparaissait la médaille « Bărbăţie şi
Credinţă / Témérité et Loyauté », pour les policiers. En 1912 et 1913,
étaient instituées les médailles « Meritul Comercial şi Industrial / Le
mérite commercial et industriel», « Răsplata Serviciului Militar / La
récompense du service militaire » pour les militaires réembauchés, « Avântul
Ţării / L’essor du pays » pour les militaires ayant participé à la
deuxième guerre balkanique de 1913 et la Croix « Meritul Sanitar / Le
mérite sanitaire ».
Floricel Marinescu considère que la multiplication des
décorations roumaines après l’indépendance du pays s’est transformée en un
véritable système de distinctions : « Avec le temps, d’autres ordres s’y
ajoutent : en 1881 « Coroana României / La Couronne de la Roumanie »,
en 1906 l’ordre « Carol Ier ». Comme c’est le cas de la
majorité des ordres dans le monde, le nombre des personnes récompensées est
strictement limité. Des ordres, des médailles et des croix ont aussi été créés
pendant la Première Guerre mondiale ainsi que pendant le règne du roi Carol,
qui ont mis en place un système parfaitement structuré, capable de récompenser
tous les types d’activité. Toutes ces décorations ont été supprimées en 1948,
juste après l’abolition de la monarchie. »
Après la Deuxième Guerre mondiale, la Roumanie a
adopté le système soviétique de décorations, à commencer par la forme des
enseignes et leurs noms jusqu’au nombre illimité de personnes récompensées. La
valeur des décorations a ainsi diminué à cause du grand nombre de personnes
décorées, de la composante idéologique et de la propagande. Les plus
importantes distinctions de la Roumanie communiste ont été l’ordre « Steaua
Republicii Socialiste România / L’Etoile de la République socialiste de Roumanie
» et l’ordre « Erou al Muncii Socialiste al Republicii Socialiste România /
Héros du travail socialiste de la République socialiste de Roumanie ». Ces
décorations ont, elles aussi, disparu avec la chute du régime communiste en
décembre 1989. Le système national de décorations est apparu en 1997, reprenant
aussi, partiellement, le système d’avant 1989. (Trad. : Ileana Ţăroi)