L’écrivain Mateiu Caragiale
Parmi les écrivains roumains excentriques comme personnalité et style littéraire, Mateiu Caragiale est peut-être celui qui a suscité le plus d’intérêt, ces dernières décennies. Né le 25 mars 1885 et éteint en janvier 1936, Mateiu Caragiale était le fils illégitime du grand dramaturge Ion Luca Caragiale, dont il a essayé de se démarquer, en tant qu’écrivain, toute sa vie. Si, dans ses pièces de théâtre, le père a décrit, avec réalisme et humour, les mœurs balkaniques de ses compatriotes, le fils, poète et romancier bohème, s’inspirait plutôt d’écrivains comme Barbey d’Aurevilly et Oscar Wilde.
Christine Leșcu, 19.04.2020, 00:14
Parmi les écrivains roumains excentriques comme personnalité et style littéraire, Mateiu Caragiale est peut-être celui qui a suscité le plus d’intérêt, ces dernières décennies. Né le 25 mars 1885 et éteint en janvier 1936, Mateiu Caragiale était le fils illégitime du grand dramaturge Ion Luca Caragiale, dont il a essayé de se démarquer, en tant qu’écrivain, toute sa vie. Si, dans ses pièces de théâtre, le père a décrit, avec réalisme et humour, les mœurs balkaniques de ses compatriotes, le fils, poète et romancier bohème, s’inspirait plutôt d’écrivains comme Barbey d’Aurevilly et Oscar Wilde.
L’historien littéraire Vasile Spiridon esquisse le portrait de Mateiu Caragiale. « Le père de Mateiu Caragiale, le dramaturge I.L. Caragiale n’a pas assumé officiellement la paternité de son fils, bien qu’il eût vécu, pendant un certain temps, en concubinage avec Maria Constantinescu, la mère de Mateiu. Celui-ci ne pardonnera jamais à son père de ne pas lui avoir donné pour mère au moins une comtesse, car il a toujours eu l’obsession des généalogies célèbres. Toute la vie, il a affiché un comportement aristocratique et il s’est construit un arbre généalogique fantasque, inventant, pour ses ascendants, des titres, des décorations et des emblèmes héraldiques. Pourtant, même s’il ne l’a pas reconnu, son père l’a accueilli dans sa famille et l’a élevé aux côtés de ses autres enfants. En 1904, Ion Luca Caragiale partait pour Berlin, où il allait s’établir définitivement. Il emmena Mateiu, pour que celui-ci puisse y étudier le droit. Pourtant, le fils n’était pas attiré par l’étude, il préférait se balader dans les parcs et les musées. Le fruit de cette période fut le récit « Remember ». Ensuite, son père le renvoya en Roumanie, pour étudier le droit à Bucarest. Pourtant, là non plus, Mateiu ne montra aucun intérêt pour les études. Il commença, en échange, à publier des articles dans différentes revues et des poèmes – dont une partie allaient être réunis plus tard dans le recueil « Pajere ». En 1923, Mateiu Caragiale épousa une riche héritière, Marica Sion, de 25 ans son aînée et propriétaire d’un domaine à Fundulea, à l’est de la capitale. Il allait s’y installer et arborer une prétendue bannière nobiliaire à l’entrée de la maison. Six ans plus tard, en 1929, paraissait enfin son roman «Craii de Curtea-Veche/Les Princes de l’Ancienne Cour », qu’il avait commencé en 1910 et auquel il avait travaillé de manière sporadique, mais intense. Il allait léguer à la littérature roumaine deux autres romans restés inachevés : « Sub pecetea tainei/Sous le sceau du secret » et «Soborul ţaţelor/ Le conseil des commères ».
Au moment de leur parution, « Les Princes de l’Ancienne Cour » ne jouirent pas d’un accueil très enthousiaste, pourtant, au XXe siècle, ce roman commença, de plus en plus, à séduire les lecteurs. Au début des années 2.000, dans la revue « Observator Cultural », les écrivains et les critiques le classaient parmi les meilleurs romans de la littérature roumaine. Si le livre de Mateiu Caragiale n’a pas été pris au sérieux à sa publication, c’est peut-être aussi à cause de la personnalité de son auteur et de ses manières de dandy désabusé et cynique.
Outre les écrits de Barbey d’Aurevilly et d’Oscar Wilde, certains personnages énigmatiques d’Edgar Alan Poe ont également influencé Mateiu Caragiale dans la création du héros de son récit « Remember » – Aubrey de Vere – estime Vasile Spiridon. « Il a eu des modèles, mais son inspiration, il la puisait surtout dans un passé énigmatique qu’il s’était créé lui-même. Il a été passionné d’héraldique toute sa vie. A 14 ans, il lisait l’Almanach de Gotha. Il a toujours été obsédé par une possible ascendance aristocratique, alors que son père le ramenait, lui, toujours, les pieds sur terre, en lui disant que tous les membres de la famille avaient le sommet de la tête aplati à cause des plats à tartes que leurs ancêtres avaient portés quand ils étaient des marchands de tartes en Albanie. D’ailleurs, Caragiale sénior a été un contre-modèle pour Mateiu. Les modèles de Caragiale Jr. auraient donc été livresques, mais ils ont également été une réaction au balkanisme de son père, qu’il haïssait avec une sincérité débordante. »
Pourtant, « Les Princes de l’Ancienne cour » évoquent une atmosphère typiquement bucarestoise et contribuent à la mythologie de cette ville des contrastes, où Mateiu était, en fait, chez lui. Vasile Spiridon.« L’écrivain Mateiu Caragiale a été redécouvert après 1970, bien qu’un club sélect d’admirateurs se fût déjà créé de son vivant, parmi lesquels figurait le poète Ion Barbu, qui le vénérait. Ce club n’était pourtant pas ouvert à tout un chacun. Pourquoi ? Parce que les écrits de Mateiu Caragiale sont très difficiles à lire, car ils abondent en termes archaïques et argotiques, que tout le monde ne peut pas comprendre. » Celui qui veut et peut déchiffrer ce langage, découvrira dans les écrits de Mateiu Caragiale non seulement un Bucarest mythique, mais aussi ce que la ville de jadis a conservé jusqu’à nos jours. (Trad. : Dominique)