Le style méditerranéen dans l’architecture de Bucarest
Après une architecture dominée, notamment à Bucarest, par le style
néo-roumain, entre la fin du XIXème siècle et les premières décennies du XXème,
les années 1930 ont débuté sous le signe d’une plus grande diversité. Les
architectes ont commencé à montrer leur talent de créer dans des styles plus
divers et les hôtels particuliers affichent des formes modernistes, cubistes ou
Art Déco. C’est ainsi qu’entre 1930 et 1947, un courant, appelé au début
« mauresque-florentin- brancovan » en raison de sa ressemblance avec
ces trois styles, se manifeste dans les grandes villes et surtout à Bucarest et
Constanţa. Bien que préféré par de nombreux architectes, qui l’ont beaucoup
utilisé dans la construction d’immeubles privés de la capitale, il a fini par
être complètement ignoré après 1950. L’architecte Mădălin Ghigeanu s’est penché
sur les édifices représentatifs de ce style, sa démarché ayant produit
l’ouvrage « Le courant méditerranéen dans l’architecture roumaine de
l’entre-deux-guerres », publié aux éditions Vremea. L’auteur a découvert
que ledit style était importé en Roumanie depuis le nord de l’Amérique, plus
précisément de Californie et de Floride, par le biais des magazines illustrés
et du cinéma. Aux Etats-Unis, il était apparu sous l’influence de
l’architecture coloniale hispanique, qui, elle, avait repris le style de la
péninsule ibérique et ses éléments mauresques. L’architecte Mădălin Ghigeanu
raconte l’expression de ce style en Roumanie: La morphologie du
style est bien connue. Tout d’abord, l’élément le plus important et le plus
connu est le plâtre, ce stucco ou calcio vecchio. Ce traitement appliqué à la
façade est aussi bien esthétique que fonctionnel, car il résiste aux écarts de
température. Ensuite, dans une première phase, on retrouve la toiture en tuiles
canal et en pente légère, et, plus tard, des éléments gotiques. Les éléments
typiques de la région d’Andalousie sont eux-aussi importés au cours de cette
première phase. Ils proviennent d’une architecture hispanique dite mudéjare, d’après
les constructeurs arabes qui resteront en Espagne au lendemain de la
Reconquista. Une forme plus épurée fait son apparition ultérieurement,
introduisant des éléments de la région italienne de Toscane et de la
Renaissance italienne, le rez-de-chaussée est surélevé tandis que les étages
sont traités de façon plus simple. La dernière phase, qui est aussi la plus
élaborée de ce style méditerranéen, s’accompagne des éléments de décoration les
plus intéressants, de type gothique vénitien. Donc l’évolution de la
morphologie stylistique commence avec le style des maisons hispaniques traditionnelles,
imaginé en Amérique, et s’arrête au gothique vénitien. Il faut remarquer le
fait que ce style arrive chez nous dans les années 1930, lorsqu’il était déjà
épuisé en Amérique.
Christine Leșcu, 29.01.2023, 10:00
Après une architecture dominée, notamment à Bucarest, par le style
néo-roumain, entre la fin du XIXème siècle et les premières décennies du XXème,
les années 1930 ont débuté sous le signe d’une plus grande diversité. Les
architectes ont commencé à montrer leur talent de créer dans des styles plus
divers et les hôtels particuliers affichent des formes modernistes, cubistes ou
Art Déco. C’est ainsi qu’entre 1930 et 1947, un courant, appelé au début
« mauresque-florentin- brancovan » en raison de sa ressemblance avec
ces trois styles, se manifeste dans les grandes villes et surtout à Bucarest et
Constanţa. Bien que préféré par de nombreux architectes, qui l’ont beaucoup
utilisé dans la construction d’immeubles privés de la capitale, il a fini par
être complètement ignoré après 1950. L’architecte Mădălin Ghigeanu s’est penché
sur les édifices représentatifs de ce style, sa démarché ayant produit
l’ouvrage « Le courant méditerranéen dans l’architecture roumaine de
l’entre-deux-guerres », publié aux éditions Vremea. L’auteur a découvert
que ledit style était importé en Roumanie depuis le nord de l’Amérique, plus
précisément de Californie et de Floride, par le biais des magazines illustrés
et du cinéma. Aux Etats-Unis, il était apparu sous l’influence de
l’architecture coloniale hispanique, qui, elle, avait repris le style de la
péninsule ibérique et ses éléments mauresques. L’architecte Mădălin Ghigeanu
raconte l’expression de ce style en Roumanie: La morphologie du
style est bien connue. Tout d’abord, l’élément le plus important et le plus
connu est le plâtre, ce stucco ou calcio vecchio. Ce traitement appliqué à la
façade est aussi bien esthétique que fonctionnel, car il résiste aux écarts de
température. Ensuite, dans une première phase, on retrouve la toiture en tuiles
canal et en pente légère, et, plus tard, des éléments gotiques. Les éléments
typiques de la région d’Andalousie sont eux-aussi importés au cours de cette
première phase. Ils proviennent d’une architecture hispanique dite mudéjare, d’après
les constructeurs arabes qui resteront en Espagne au lendemain de la
Reconquista. Une forme plus épurée fait son apparition ultérieurement,
introduisant des éléments de la région italienne de Toscane et de la
Renaissance italienne, le rez-de-chaussée est surélevé tandis que les étages
sont traités de façon plus simple. La dernière phase, qui est aussi la plus
élaborée de ce style méditerranéen, s’accompagne des éléments de décoration les
plus intéressants, de type gothique vénitien. Donc l’évolution de la
morphologie stylistique commence avec le style des maisons hispaniques traditionnelles,
imaginé en Amérique, et s’arrête au gothique vénitien. Il faut remarquer le
fait que ce style arrive chez nous dans les années 1930, lorsqu’il était déjà
épuisé en Amérique.
Sous le règne de Carol II, les membres de la maison royale
roumaine se sont fait construire plusieurs palais dans ce style, l’architecte
préféré étant Alexandru Zaharia, proche du roi. Parmi ces édifices, on retrouve
le Palais Elisabeta, érigé au nord de la capitale, à proximité du parc
Herăstrău et du Musée du village, pour la princesse Elisabeta (Élisabeth), une
des sœurs du roi Carol II et ancienne reine consort de Grèce. Mădălin Ghigeanu
ajoute des détails: Donc, la première surprise est de constater
que ce palais est méditerranéen, construit dans le style archiconnu, rappelant
les maisons américaines qui ont une tour circulaire à l’entrée. C’était une
mode, mentionnée même par le critique d’art Petru Comarnescu, dans son livre de
voyages en Amérique. Il y remarque cette tour circulaire, sans aucune fonction
autre qu’esthétique. Et les autres ornements n’ont aucun lien avec les styles
brancovan ou néo-roumain. C’est un style commandé par la princesse Elisabeta,
qui impose sa préférence pour cette architecture que la reine Marie n’aimait
pas. D’ailleurs, la reine s’y était rendue une seule fois, accompagnée par sa
fille, la princesse Ileana. Elle avait visité le rez-de-chaussée et n’avait pas
souhaité monter à l’étage, disant que c’était quelque chose d’impensable.
Pourquoi cette débandade de symboles héraldiques? Parce que c’était une des
caractéristiques du style méditerranéen: les gens de Californie s’arrogeaient
toutes sortes de titres de noblesse et de symboles héraldiques. Le palais suit
donc les indications de la princesse Elisabeta, le projet appartenant
entièrement à l’architecte Constantin Ionescu. Les travaux débutent à l’automne
1936 et avancent à une vitesse exceptionnelle, l’édifice étant inauguré en
décembre 1937.
Un autre bâtiment méditerranéen, appelé « le
bloc (l’immeuble) florentin », est situé au cœur même de la ville de
Bucarest, caché malheureusement par des « blocs » communistes
construits derrière l’ancien palais royal. Trouver le nom de l’architecte et
des premiers propriétaires a été quelque chose de compliqué, impliquant un
effort de documentation considérable. Mădălin Ghigeanu raconte ce qu’il a
appris sur l’architecte Alexandru Iliescu: Ce fut une surprise, il a été un
architecte extraordinaire, qui a créé d’autres projets de type méditerranéen.
L’Immeuble florentin est un choc, une des constructions les plus intéressantes
de Bucarest, qui met en valeur le coin. L’édifice est beau, recherché,
désinvolte, avec un balcon ouvert sur deux directions, avec une colonne et des arcades
cintrées. Aujourd’hui, cette architecture est unique, puisque, dans les projets
de résistance, tous les ingénieurs choisissent de consolider fortement les
coins. Le propriétaire en est une autre surprise: il était le fils du ministre
des affaires étrangères bulgare, Hagianoff, propriétaire du manoir de Manasia.
Même les Bulgares en ont été surpris d’apprendre qu’ils avaient laissé eux
aussi à Bucarest des traces dont ils sont fiers, tout comme nous le sommes du
Palais de la reine Marie, à Balcic.
Aujourd’hui, les maisons du courant
méditerranéen témoignent de la diversité des styles dans l’architecture de
Bucarest à l’entre-deux-guerres. (Trad. Ileana Ţăroi)