Le roi Carol II et Elena Lupescu
Roi de Roumanie entre 1930 et 1940, Carol II est encore de nos jours un personnage historique controversé. D’une part, en 1938, il interdit les partis politiques et impose un régime autoritaire appelée « la dictature carliste ». En 1940 il est obligé d’abdiquer, après le démembrement de la Grande Roumanie, la Bessarabie étant cédée à l’URSS et la Transylvanie à la Hongrie dirigée par Horthy. D’autre part, Carol II a encouragé le développement culturel et économique du pays. Pourtant, l’aspect de sa biographie qui a suscité le plus de clichés, de racontars et de controverses reste sa relation sentimentale avec Elena Lupescu.
Christine Leșcu, 26.05.2019, 13:20
Roi de Roumanie entre 1930 et 1940, Carol II est encore de nos jours un personnage historique controversé. D’une part, en 1938, il interdit les partis politiques et impose un régime autoritaire appelée « la dictature carliste ». En 1940 il est obligé d’abdiquer, après le démembrement de la Grande Roumanie, la Bessarabie étant cédée à l’URSS et la Transylvanie à la Hongrie dirigée par Horthy. D’autre part, Carol II a encouragé le développement culturel et économique du pays. Pourtant, l’aspect de sa biographie qui a suscité le plus de clichés, de racontars et de controverses reste sa relation sentimentale avec Elena Lupescu.
Victime de campagnes successives de dénigrement menées par les gouvernements libéraux des années ’20, par l’extrême-droite représentée par la Légion de l’Archange Michel et, enfin, par le régime communiste, il est difficile de connaître aujourd’hui la vraie personnalité d’Elena Lupescu, son rôle dans la politique de l’époque et la véritable nature de sa relation avec Carol II. Quelques faits historiques sont certains. En 1921, le prince héritier Carol, fils du roi Ferdinand et de la reine Marie, épouse contre son gré, pour des raisons d’Etat, la princesse Hélène de Grèce, un enfant étant né de cette union. En 1925, Carol renonce au trône pour aller vivre à Paris avec sa maîtresse, Elena Lupescu, fille d’un pharmacien juif converti à la religion chrétienne orthodoxe et ex-épouse d’un officier appelé Ion Tâmpeanu. Suite à cet exil volontaire, c’est Mihai, le fils mineur de Carol, qui hérite de la couronne, après la mort de son grand-père, le roi Ferdinand, en 1927.
La situation allait pourtant changer 5 ans plus tard, lorsque Carol revient en Roumanie, envoie en exil la princesse Hélène, dont il avait divorcé, et récupère son trône. A la différence d’Edouard VIII de grande Bretagne, auquel il était apparenté et qui avait renoncé au trône pour épouser Wallis Simpson, une Américaine divorcée, Carol II décide de régner, avec Elena Lupescu à ses côtés, même si elle restait dans l’ombre. Ce fut le début d’une période de grandes transformations pour la Roumanie : le développement culturel et économique sans précédent dans l’histoire du pays fut doublé de troubles et de changements politiques et sociaux, culminant par l’essor de l’extrémisme de droite et l’instauration de la dictature carliste.
Autour du roi s’est coagulé un groupe de favoris, que la presse de l’époque désignait par le terme de « camarilla » et qui était dominé, paraît-il, par Elena Lupescu. Elle a d’ailleurs été maintes fois le bouc émissaire du mécontentement général – politique et non seulement. Quelle est la vérité derrière les campagnes de dénigrement dirigées contre elle dans le passé et les clichés à travers lesquels nous nous imaginons de nos jours cette femme, surnommée à l’époque « Duduia » – « la Mam’zelle » ? Un livre vient de paraître qui tente d’apporter une réponse à cette question : « Le Roi et la Mam’zelle. Carol II et Elena Lupescu, au-delà des racontars et des clichés » écrit par Tatiana Niculescu et paru aux Editions Humanitas. Ce livre est une double biographie – celle d’Elena et de Carol II – mais aussi et surtout une biographie de leur relation qui, une fois le livre parcouru, se présente aux yeux des lecteurs comme une histoire d’amour, profonde et authentique. En outre, en lisant les lettres qu’ils avaient échangées, en découvrant des documents d’époque pas encore étudiés – entre autres le certificat d’études d’Elena Lupescu – ou en analysant la manière dont le couple avait été surveillé par la police et les services secrets un peu partout où il allait, on voit leurs personnalités se libérer des clichés et s’humaniser. Surtout « la Mam’zelle » nous apparaît avec ses qualités et ses défauts, que l’on rencontre si souvent chez nombre de nos semblables.
Alina Pavelescu, directrice adjointe des Archives nationales de Bucarest, nous parle des aspects moins connus de la biographie d’Elena Lupescu présentés dans le livre: « J‘ai souri en lisant qu’à l’internat, Elena Lupescu excellait en « intuition », discipline où elle décrochait les meilleures notes. Le langage parfois vulgaire des lettres d’amour qu’Elena et Carol II échangeaient et les platitudes qu’ils se disaient font également sourire. Il appelait Elena « ma fille » et elle appelait Carol par toute sorte de diminutifs hilaires, ce qui peut paraître amusant, de nos jours. Pourtant, il paraît qu’ils se faisaient un plaisir de parodier ainsi le style des personnages de Caragiale. Et le fait d’avoir choisi d’exprimer leur amour dans un style pas du tout sophistiqué a-t-il rendu leurs sentiments moins légitimes ? Pas du tout. En fin de compte, en parlant de ces deux personnages, on peut dire que, pour Elena, Carol a été l’homme de sa vie et pour Carol, Elena a été la femme de sa vie. Cette histoire d’amour entre le roi Carol II et Elena Lupescu ne doit pas nécessairement être lue dans un registre politique. Je doute que le destin de la Roumanie ait été différent si Elena Lupescu n’avait pas existé dans la vie de Carol II ou qu’il ait été un meilleur roi. »
Par ailleurs, les contradictions qui se font jour dans la personnalité du roi Carol II se retrouvent chez nombre de représentants de la jeune génération de l’entre-deux-guerres, notamment ceux nés après 1900. Alina Pavelescu : « Carol II était le représentant de cette génération de jeunes qui s’étaient affirmés après la Première Guerre mondiale, une génération que Mircea Eliade décrivait, dans la presse de l’époque, comme une génération touchée par les égarements d’extrême droite, mais qui a été l’enfant de la Grande Guerre. Cette génération était l’enfant d’un trauma historique majeur et elle souhaitait rompre avec les moules du vieux monde. Or, c’est ce que Carol II a fait, d’une manière plutôt douteuse. Il a rompu avec les moules du vieux monde. Il a détruit l’image de la monarchie, mettant souvent la monarchie roumaine et la famille royale dans des situations difficiles – ce dont on ne doit certainement pas le féliciter. Pourtant, un autre côté de son caractère se laisse entrevoir. S’il n’avait pas été roi, il aurait peut-être été un personnage beaucoup plus sympathique. Il n’aurait peut-être pas marqué de son nom le démembrement de la Grande Roumanie héritée de ses parents, ce qui a fait de lui un roi lamentable. Qui sait ? »
Après avoir abdiqué, en 1940, Carol II a pris la route de l’exil, accompagné par Elena Lupescu. Leur long périple au Brésil et au Mexique s’est achevé au Portugal. Ils se sont mariés en 1947 au Brésil, mais ils se sont établis à Estoril, au Portugal, où l’ex-roi est mort en 1953. Son épouse allait s’y éteindre en 1977. (Trad. : Dominique)