Le quartier Uranus de Bucarest
Le plus regretté par les habitants de la capitale, le quartier Uranus a été démoli pour faire de la place à l’actuel Palais du Parlement et aux bâtiments adjacents. Ce périmètre comprenait plusieurs quartiers de petites dimensions qui faisaient partie de la vieille ville de Bucarest, situé au sud de la rivière Dâmboviţa. C’est ici, soit vers les collines du sud-ouest de la Capitale, que la ville s’est étendue depuis la zone du palais princier et du Centre historique d’aujourd’hui. Ce fut une zone propice à la construction de bâtiments officiels, vu qu’au 18e siècle, le sommet d’une des collines a été choisi pour y ériger une nouvelle Cour princière. Celle-ci a été malheureusement détruite par un incendie et des bâtiments militaires ont été construits à sa place. La plus importante construction de ce genre a été l’Arsenal de l’armée, érigé après 1863. C’est pourquoi cette colline, appelée Dealul Spirii (la Colline de Spirea), fut rebaptisée la Colline de l’arsenal. C’est ici qu’est né le quartier Uranus, déjà esquissé sur un plan détaillé de la ville de Bucarest datant de 1847.
Christine Leșcu, 20.05.2018, 13:50
A l’époque, les constructions occupaient la moitié Est du périmètre, alors que l’autre moitié était toujours couverte de vignes. Passionné par les reconstructions digitales, mais aussi par l’histoire de la capitale, l’architecte Costin Gheorghe évoque l’histoire du quartier Uranus. « Les maisons sont apparues, pour la première fois, éparpillées au milieu des vignes, souvent les rues étaient sans issue. L’architecture était celle de la région de Valachie, avec des fondations en pierre, un rez-de-chaussée surélevé et un étage. Les maisons étaient construites soit en torchis soit en briques et leur aspect extérieur était similaire, étant presque toutes munies d’une véranda. Le quartier s’est fortement développé après 1900 et des bâtiments de style néo-roumain sont apparus pendant l’entre-deux guerres, sur des terrains encore non construit. Plusieurs véritables joyaux de l’architecture néo-roumaine n’ont fait que compléter le quartier. »
Voici donc une association simple, mais caractéristique pour une ville tellement riche en contrastes que Bucarest : des maisons respectueuses de l’architecture rurale cohabitaient avec des villas plus ou moins somptueuses, dans des faubourgs qui, avec leurs propres magasins, troquets et cinémas, étaient de véritables villes dans la ville. Le quartier a préservé son aspect jusqu’à la fin des années 1970, lorsque les premières rumeurs relatives à d’éventuelles démolitions se font entendre. Costin Gheorghe : « Vers la fin des années 1970 et notamment après le tremblement de terre de 1977, la réorganisation de la ville a été amplement évoquée. Le premier concours de projets a été lancé vers 1979. Des dizaines de projets visant à systématiser le quartier furent imaginés et les premières démolitions ont démarré au début des années 1980. Tout ce qui était construit sur la Colline de l’Arsenal a été démoli et nivelé, pour faire de la place au sous-sol de la Maison du people. Les communiqués officiels parlaient d’une initiative qui visait à nettoyer la zone, à la rendre plus salubre et plus unitaire. En fait, les autorités de l’époque ont essayé d’effacer carrément l’histoire et la spécificité des lieux, qui étaient le noyau de la ville. Une nouvelle ville devrait être érigée sur les ruines de la Capitale. »
La systématisation du vieux quartier était centrée sur l’actuel palais du Parlement, mais aussi sur d’autres bâtiments officiels et immeubles à plusieurs étages qui entouraient cette construction monumentale, formant un ensemble unitaire. S’y ajoute le prolongement de plusieurs boulevards avoisinants, les chantiers allant continuer après 1989 aussi. La systématisation a impliqué la démolition totale de toutes les constructions existantes sur un rayon de plusieurs kilomètres et le déménagement des habitants dans d’autres quartiers. Ces gens perdaient ainsi non seulement leurs maisons familiales, mais aussi leurs racines. Détails avec Costin Gheorghe :« L’ancien Arsenal de l’Armée se trouvait sur l’emplacement actuel de l’aile du Palais du Parlement qui accueille le siège du Musée d’art contemporain de Roumanie. Un autre monument remarquable a été l’église Spirea Veche, qui se trouvait là où l’on a aménagé le parking du Sénat. Quatre autres églises ont été démolies et une autre a été déplacée. Du monastère Mihai Voda, situé sur le terrain occupé actuellement par le parc Izvor, seule l’église et le clocher ont survécu, étant déplacés derrière les ministères de la place Constitutiei. Plusieurs établissements scolaires à l’architecture néo-roumaine ont également été démolis, comme ce fut le cas de l’école Romanescu. La Maison du Peuple proprement-dite, l’actuel Palais du Parlement, n’a pas nécessité la démolition de trop d’immeubles particuliers, parce qu’elle a été érigée sur l’emplacement de l’ancien Arsenal, où il n’y avait pas beaucoup de constructions. Très peu de rues de l’ancien quartier Uranus se trouvent sous le Palais. Par exemple, la fabrique de pain Steagul Rosu (le Drapeau rouge) se trouvait au coin nord-ouest. Le vieux visage du quartier Uranus a récemment été refait par un projet initié par Costin Gheorghe et appelé « Bonnes salutations depuis Uranus ».
Il s’agit d’une exposition virtuelle de photographies d’époque et de dessins réalisées par un ancien habitant du quartier – Traian Badulescu Senior. C’est grâce à lui et à cette reconstruction numérique que le quartier Uranus peut être découvert par les jeunes générations. (Trad.Alex Diaconescu)