Le Poète Salamon Ernö (1912-1943)
La minorité hongroise a été une des minorités ethniques entrées dans la composition de la population de la Grande Roumanie après 1918. Les nouvelles élites intellectuelles magyares se sont ainsi exprimées à l’intérieur du nouveau cadre politique de la majorité roumaine. Salamon Ernö a été un des écrivains de langue hongroise devenus célèbres après 1945. Mort à seulement 31 ans, il est une des victimes de l’Holocauste des Juifs de la Transylvanie du Nord, annexée par la Hongrie le 30 août 1940.
Steliu Lambru, 11.11.2022, 14:34
Salamon Ernö est né le 15 mai 1912 à Gheorgheni, petite ville majoritairement magyare, mais cosmopolite, où vivaient aussi une minorité arménienne et un certain nombre de Juifs. Son père, travailleur forestier dans les fabriques éparpillées le long de la vallée de la rivière Mureș, et sa mère sont des gens de condition modeste. Le père meurt à un âge jeune, alors la mère souhaite pour son fils une carrière stable et des revenus assurés. L’écrivain Salamon Ernö s’est inspiré de la vie de ces ouvriers forestiers, tout en étant aussi influencé par les thèmes et les légendes du folklore magyar sicule.
L’historien Marius Popescu, du Centre d’études de l’histoire des Juifs de Roumanie « Wilhelm Filderman », s’est penché sur la brève vie de Salamon Ernö, qui a dédié son œuvre poétique à ces gens humbles : « Le leitmotiv d’un grand nombre de ses poèmes est justement cette vie rude des travailleurs des fabriques de charpente. Il décrit avec beaucoup de justesse les relations entre les travailleurs, là où ils logeaient. Nous y retrouvons la fraternité qui naissait entre des gens d’origines et de langues différentes – magyars, juifs, roumains, allemands. Le poète participera aux grèves de la vallée du Mureș, où il renforcera sa vision de la vie difficile des ouvriers, sujet ultérieur de ses poèmes. »
Se pliant sur le souhait de sa mère, Salamon Ernö commence des études de droits à Cluj, tout en restant attaché aux ouvriers, et participe en 1932 aux préparatifs des grèves. Arrêté et jeté derrière les barreaux à Târgu Mures, il fait une grève de la faim durant six jours. Il est vite remis en liberté et se rend à Brașov, où il travaille dans la rédaction du journal de langue hongroise « Foi brașovene/Des pages de Braşov ». Il y écrit des articles sur les grèves des ouvriers et assiste aux procès contre les communistes, dont Nicolae Ceaușescu, le futur leader autocrate de la Roumanie de 1965 à 1989. C’est aussi dans « Foi brașovene » que Salamon publie ses premiers poèmes. Il traduit des créations des auteurs roumains Tudor Arghezi et Mihail Sadoveanu, qu’il publie dans la revue « Korunk » (« Notre époque »). C’est dans la rédaction de « Korunk » que s’est formée la première génération d’écrivains de langue hongroise de Roumanie, dont Salamon Ernö.
Il aime le hongrois plus que tout, rappelle Marius Popescu : « Salamon Ernö a exprimé ainsi son amour de la langue hongroise, sa langue maternelle: « elle est belle et unique, ma langue maternelle. C’est pour cette raison qu’il m’est impossible de partir. Celui qui part sera bègue, il ne chantera plus jamais ». C’est très beau dit, très imagé aussi, et c’est valable pour chacun de nous et notre langue maternelle. »
Salamon Ernö a épousé une institutrice avec des sympathies politiques de gauche, comme lui. Un mariage réussi, puisqu’il considère sa femme comme sa muse et la mentionne dans ses vers. Mais sa vie prend un grand tournant, qu’il n’avait jamais imaginé, raconte l’historien Marius Popescu : « Salamon Ernö déménage à Târgu Mureș, où sa vie sera malheureusement marquée par les conséquences du Diktat de Vienne, d’août 1940, qui placent la ville sous occupation horthyste. Suite aux lois raciales, le poète perd son emploi, il est ensuite arrêté et puis mobilisé dans un détachement de travaux forcés, pour finir sur le front de l’Est. Pour les hommes juifs de la Hongrie de l’époque, le travail forcé signifiait le service dans l’armée, mais en tenue civile. Ils n’avaient pas le droit de porter des armes, ils utilisaient juste des pelles et des pioches pour des travaux très rudes. Ils étaient envoyés faire du déminage, pour ouvrir la route à l’armée hongroise. Ils étaient de la chair à canon, tout simplment. »
Salamon Ernö a été attaché à sa judaïté, bien qu’il ne l’aie dit explicitement dans ses écrits. Les lois raciales et les listes utilisées par les machines politiques et de guerre horthystes pour déporter les Juifs au front ou dans les camps d’extermination nazis l’ont poussé à suivre son destin, explique Marius Popescu : « Obligé à des marches interminables, à une vie tellement rude que peu d’hommes s’en sont sortis vivants, sa santé a commencé à se dégrader. Il a même attrapé le typhus. Il avait de grosses difficultés à se tenir debout, mais il ne s’est jamais séparé de ses livres. Il a été tué le 27 février 1943, durant le retrait de la zone du Don, en Ukraine, par deux soldats fascistes italiens. »
Le lycée construit en 1905 dans sa ville natale de Gheorgheni porte son nom depuis 1968. Son œuvre, incluant six volumes de poèmes, et le buste devant le bâtiment du lycée mettent aujourd’hui en lumière le souvenir de Salamon Ernö. (Trad. Ileana Ţăroi)