Le metteur en scène Liviu Ciulei
Liviu Ciulei est un des metteurs en scène roumains qui ont réussi, à la fin des années 1950 et au début
des années 1960, à sortir le spectacle de théâtre de sous l’influence néfaste
des commandements rigides et artificiels du réalisme socialiste. Il fut aussi
un des plus talentueux. Réalisateur de film en égale mesure, Liviu Ciulei a réintroduit
la dimension esthétique dans le cinéma et le théâtre, une démarche due aussi à
sa formation académique, faite à l’époque de l’entre-deux-guerres. Il est né en
juillet 1923 à Bucarest dans une vieille famille d’intellectuels. Son père, qui
s’appelait aussi Liviu Ciulley, avait été un fameux ingénieur en bâtiment,
collaborateur des principaux architectes impliqués dans construction de la
ville de Bucarest moderne. Pour respecter le désir de son père, Liviu Ciulei a fait
d’abord des études d’architecture pour s’inscrire après au Conservatoire d’art
dramatique. Au théâtre, il a commencé par se faire remarquer en tant qu’acteur,
mais son talent d’architecte s’est exprimé dans les décors qu’il a réalisés
pour un grand nombre de ses productions.
Christine Leșcu, 06.11.2022, 05:33
Liviu Ciulei est un des metteurs en scène roumains qui ont réussi, à la fin des années 1950 et au début
des années 1960, à sortir le spectacle de théâtre de sous l’influence néfaste
des commandements rigides et artificiels du réalisme socialiste. Il fut aussi
un des plus talentueux. Réalisateur de film en égale mesure, Liviu Ciulei a réintroduit
la dimension esthétique dans le cinéma et le théâtre, une démarche due aussi à
sa formation académique, faite à l’époque de l’entre-deux-guerres. Il est né en
juillet 1923 à Bucarest dans une vieille famille d’intellectuels. Son père, qui
s’appelait aussi Liviu Ciulley, avait été un fameux ingénieur en bâtiment,
collaborateur des principaux architectes impliqués dans construction de la
ville de Bucarest moderne. Pour respecter le désir de son père, Liviu Ciulei a fait
d’abord des études d’architecture pour s’inscrire après au Conservatoire d’art
dramatique. Au théâtre, il a commencé par se faire remarquer en tant qu’acteur,
mais son talent d’architecte s’est exprimé dans les décors qu’il a réalisés
pour un grand nombre de ses productions.
La critique de théâtre Miruna Runcan explique
qu’est-ce qui a poussé Liviu Ciulei à assumer aussi la mise en scène: Puisque nous sommes habitués à son image à l’âge mûr, il est, pour
nous, un patriarche du théâtre et du cinéma de Roumanie. En fait, il a été un
jeune très agité, dans le meilleur sens du mot. Il voulait toucher à tout et ça
lui réussissait. Il s’est voulu réalisateur et il collabore en tant
qu’acteur avec les réalisateurs des
années 1950, dans des bides de propagande de l’époque, des films qu’on ne voit
plus aujourd’hui. Mais il est l’assistant de Victor Iliu dans la réalisation du
film « Moara cu Noroc/Le Moulin de la Bonne chance », où il imagine
aussi les décors. Il y apprend beaucoup du métier et ça lui donne le courage de
se tourner vers le cinéma. Ce fut une heureuse rencontre. Et ensuite il réalise
le film « Valurile Dunării/ Les vagues du Danube », très apprécié au Festival
de Karlovy Vary. Mais il a toujours affirmé que son intérêt pour le cinéma
avait été inférieur à celui pour le théâtre.
Après « Valurile Dunării »,
réalisé en 1960, c’est à peine en 1965 qu’il sort « Pădurea spânzuraților/La
Forêt des pendus », adaptation cinématographique du roman homonyme de
Liviu Rebreanu et première production roumaine présentée au Festival de Cannes,
où Liviu Ciulei remporte d’ailleurs le prix de la meilleure réalisation. Cependant,
entre 1960 et 1965, il a cultivé le théâtre, remportant son premier succès en 1961,
lorsqu’il a mis en scène la pièce « Comme il vous plaira » de William
Shakespeare. En 1963, il prend la direction du Théâtre Bulandra de Bucarest, où
il a créé une troupe exceptionnelle et des spectacles qui deviendront célèbres
parmi les amoureux de la scène.
Miruna Runcan décortique le style de Liviu
Ciulei : Je ne sais pas si l’on peut parler d’un
style particulier, Ciulei avait plutôt une méthodologie de travail
perfectionniste. Il a parfois été accusé d’être baroque, mais ce n’est pas vrai
pour tous ses spectacles et, en général, il a évolué vers une simplification de
l’espace. Il a créé de nombreux spectacles importants. Par exemple, celui avec
« L’Opéra de quat’sous » de Brecht, dans lequel Toma Caragiu réussissait
un rôle magnifique. Plus tard, quand, malgré ses nombreux contrats aux
États-Unis, il mettait en scène, de temps à autre, des pièces à Bulandra, il a
créé un spectacle inoubliable et un des derniers à Bucarest, avec « La
Tempête », de Shakespeare. Un chef-d’œuvre absolu avec George Constantin dans
le rôle de Prospero, un spectacle pas du tout baroque, bien le contraire. Par
contre, le perfectionnisme était quelque chose d’essentiel. Si un acteur ne
faisait que traverser la scène, eh bien, il fallait que ce soit parfait.
Par ses succès, Liviu Ciulei s’était attiré
l’attention indéfectible de la Securitate, la police politique communiste,
raconte Miruna Runcan: Ciulei a été surveillé depuis 1955, lorsqu’un
premier dossier a été ouvert à son nom, et jusqu’à la chute du communisme. La
chose la plus dégoûtante a probablement été le fait que certains de ses propres
collègues ou des gens de théâtre l’ont surveillé et rapporté aux agents de la Securitate
et à la direction de la section du parti communiste. Juste quelques uns de ses
spectacles ont eu de gros problème de
censure, car il avait beaucoup de tact dans les relations avec les autorités, sinon il n’aurait pas
survécu près de dix ans en tant que directeur de théâtre, depuis la mort de
Lucia Sturdza Bulandra jusqu’en 1972, lors du scandale de la pièce « Le
Révizor » de Gogol. En revanche, en tant que directeur, il a dû défendre
tout un tas de spectacles secoués par la censure ou qui s’étaient attiré les
foudres de la presse et des autorités. Il a été un ami très fidèle et a eu une
relation absolument extraordinaire avec son confrère plus jeune et bien plus
turbulent Lucian Pintilie.
D’ailleurs, ce fut Pintilie le metteur
en scène du « Révizor » de Gogol, un spectacle qui a fini par être
interdi par les autorités communistes. De toute façon, après 1971, en Roumanie,
l’atmosphère s’est assombrie de plus en plus, ce qui a poussé Liviu Ciulei à
quitter le pays en 1980, comme l’avaient fait de nombreux intellectuels et
artistes, ajoute Miruna Runcan:
On lui a conseillé de partir à
l’étranger. Nous devons préciser le contexte et dire que le nationalisme
communiste s’installe en fait en Roumanie à partir de 1971. Cela s’est traduit
par un renforcement de la censure et par la domination de l’idéologie du
protochronisme ou nationaliste, que les artistes importants n’agréaient pas.
Alors certains d’entre eux quittent tout simplement le pays, ils s’évadent en
profitant d’un voyage d’études ou touristique. D’autres, notamment les plus
importants, reçoivent de tels conseils de partir de la part des gens du parti
ou de l’État. « Écoutez, le parti vous approuvera des contrats et vous
pouvez partir où vous voulez, où vous avez un contrat, et essayer de travailler
à l’étranger. » Liviu Ciulei a raconté ça dans plusieurs interviews, après
1990.
Après avoir quitté la Roumanie, Liviu Ciulei a
travaillé dans plusieurs pays européens, aux États-Unis, au Canada et en Australie. Il a été le
directeur artistique de la compagnie théâtrale Tyrone Guthrie de Minneapolis et depuis 1986 il a enseigné l’art théâtral à l’Université Columbia ainsi qu’à
l’Université de New York. Il est revenu en Roumanie après la chute du
communisme en 1989. Liviu Ciulei est mort en octobre 2011. (Trad. Ileana Ţăroi)