Le médecin Iuliu Barasch
Né en 1815 dans une famille juive de la ville de Brodi, dans lancienne province de Galicie, austro-hongroise à lépoque et ukrainienne de nos jours, Barasch a fait des études de médecine à Berlin et Leipzig.
Christine Leșcu, 19.11.2023, 10:30
Le médecin Iuliu Barasch est
un de ces étrangers venus dans les Principautés roumaines pour aider les
efforts locaux de modernisation desdites entités étatiques. Né en 1815 dans une
famille juive de la ville de Brodi, dans l’ancienne province de Galicie,
austro-hongroise à l’époque et ukrainienne de nos jours, Barasch a fait des
études de médecine à Berlin et Leipzig. Mais il a choisi de pratiquer sa
profession dans l’espace roumain, où il s’est aussi fait remarquer par d’autres
activités : il a soutenu l’apparition des institutions de médecine
modernes, il a vulgarisé les sciences à travers le journalisme, il a imprimé
des manuels, tout en étant enseignant, il a ouvert un dispensaire, plus tard
transformé en hôpital pour enfants, fondant ainsi la pédiatrie en Roumanie,
enfin il a soutenu la communauté juive locale. Il a aussi été médecin de
quarantaine dans le port de Călărași sur le Danube entre 1843 et 1847, et dans
le département de Dolj de 1847 à 1851.
Malgré toute son activité et ses
réussites professionnelles et sociales, Iuliu Barasch est peu connu du grand
public et même des scientifiques. Cependant, ses ouvrages commencent à être
traduits en roumain et publiés, puisque écrits pour la plupart en allemand. L’historien
Ștefan Petrescu dresse un aperçu de la carrière du médecin Iuliu Barasch: Que savons-nous sur Barasch? Eh bien, c’était quelqu’un de polyvalent,
un homme intéressé par la médecine, mais aussi par de nombreux autres domaines.
Il était un encyclopédiste, qui aurait pu suivre n’importe quelle carrière. Ses
parents auraient voulu qu’il soit rabbin, mais ce n’était pas son rêve. Ils
l’ont aussi voulu commerçant et l’ont même envoyé en Moldavie pour s’y faire la
main, mais cela n’a rien donné. Alors, ils l’ont envoyé faire des études et là,
il a trouvé sa voie. Pour cela, il a choisi l’espace allemand ; après la
période des études, Iuliu Barasch est rentré à la maison, faisant preuve de persévérance
dans sa carrière. Mais il a également écrit, il a été un homme de lettres et de
livres, non pas seulement un médecin. Il a été quelqu’un d’impliqué dans la vie de la cité,
intéressé par le sort des Juifs à une époque où tout le monde parle de leur
émancipation dans les Principautés roumaines. Et Barasch se trouve à la tête de
ce mouvement, à un moment historique parfait : la révolution de 1848, et
ensuite l’Union de 1859. C’est le règne de Cuza, un moment propice pour les
Juifs, et Barasch est présent, mais il ne vit pas longtemps. Il s’éteint à
l’âge de 40 ans, après des années de travail intense. Il a été médecin et
enseignant dans des écoles publiques, ce qui était exceptionnel pour un Juif.
Il a enseigné au lycée Saint Sava de Bucarest.
Iuliu Barasch a fait tout cela en
relativement peu de temps, car il est mort en mars 1863, à seulement 47 ans. À
l’époque, pour se moderniser, la société roumaine avait besoin de gens comme
lui et il le savait, s’étant mis au service notamment de la Valachie, dans ses
efforts de rattraper les écarts par rapport à l’Occident européen. Il a
d’ailleurs parlé très positivement de la principauté en tant que correspondant
local d’un journal de langue allemande. De l’avis de l’historien de la médecine
Octavian Buda, bien que très tard, Iuliu Barasch a fait entrer dans les
principautés roumaines un esprit apparenté aux Lumières, qui y manquait: Dans la presse de vulgarisation, il a publié la série
« Natura » – une référence, en matière d’histoire et de vulgarisation
de la science, et une publication en synchronie avec ce qu’il y avait dans
l’espace occidental à l’époque. Iuliu Barasch fait aussi des efforts louables
d’écrire en roumain, il est très
attentif aux achats d’équipement médical et de traitements modernes, étant
visiblement l’un des premiers à se rendre compte de la réalité déconcertante du
choléra. Il a soupçonné une transmission différente de celle par contact direct.
Deux théories s’opposaient à ce sujet. La première privilégiait le mécanisme de
transmission par un contact direct entre un malade et un individu sain. La
seconde théorie s’appuyait sur l’idée d’un air fétide, qui produit une
infection et qu’il faut fuir par tous les moyens. Barasch réussit donc à
analyser ces éléments, sans chercher à disqualifier d’emblée certaines
pratiques populaires comme étant aberrantes, irrationnelles et primitives, ce
qui me semble une démarche typique d’un illuministe non-radical. Il considère
qu’il existe une expérience collective que l’on peut utiliser, mais pour
construire tout-de-même un discours médical rationnel, de cause à effet, et qui
cherche à structurer une politique sanitaire qui se traduit par prévention et
éducation. Chose absolument remarquable. Iuliu Barasch appartient à cet esprit des
Lumières juif, dont le chef-de-file est Moses Mendelssohn en Occident. Il
arrive par une filière kantienne, puisqu’il va à Leipzig afin d’assister aux
cours d’un successeur d’Immanuel Kant à Königsberg. Voilà, donc, la filière
intellectuelle de Barasch ; ensuite, il rencontre à Berlin les coryphées
de la médecine. Un de ses camarades d’études universitaires est considéré comme
le fondateur de la pathologie moderne, grand nom de l’anthropologie
internationale de la fin du XIXe siècle. (…) Il est pourtant venu en Roumanie
et nous pouvons nous poser la question d’une condition professionnelle ratée.
Encore une fois, la réponse à cette question n’est pas facile, car sa dissertation
de licence est un remarquable travail de systématisation de la dermatologie
moderne, un des premiers travaux de ce genre. Iuliu Barasch aurait pu rester
dans l’espace occidental, engagé dans cette science en train de se structurer
qu’était la dermatologie à l’époque et aujourd’hui son nom serait mentionné
dans tous les ouvrages classiques d’histoire de la dermatologie.
La maison d’édition Corint a récemment commencé à décrypter l’époque et la biographie de Iuliu Barasch, publiant la traduction en roumain d’une partie de ses articles écrits en allemand dans un volume intitulé Iuliu Barasch. Médecine pionnière en Valachie/Medicina de pionierat in Tara romaneasca. (Trad. Ileana Taroi)