Le chemin de Constantin Brâncuși de Roumanie à Paris
... il s’est ouvert en fait à Hobița, un village du nord de l’Olténie historique où le sculpteur est né le 19 février 1876.
Alex Diaconescu, 04.03.2024, 13:01
Depuis les humbles débuts du fils d’un charpentier pauvre à l’affirmation parisienne d’une originalité artistique défiant les conventions de l’époque, le chemin de Constantin Brâncuși s’est ouvert en fait à Hobița, un village du nord de l’Olténie historique où le sculpteur est né le 19 février 1876. C’est de là qu’il partit, au début du XXème siècle, vers l’Occident européen, plus propice que sa Roumanie natale pour son art, nourri des traditions locales et du rapprochement de la nature. Avant le départ pour Paris, le parcours de Brâncuși a été assez sinueux: l’école primaire dans sa commune natale, ensuite l’apprentissage et les années à l’Ecoles des arts et métiers de Craiova, enfin l’Académie des Beaux-Arts de Bucarest, dont il obtint le diplôme de fin d’études en 1902. C’est à ce moment-là qu’il décida de partir à l’étranger, mais rien n’est parfaitement clair dans la biographie de Brâncuși.
La personnalité et la pensée du maître sont tout aussi peu connues, ce qui permet de reconstituer difficilement l’homme derrière l’artiste.
Un point de départ d’une telle démarche pourrait être le voyage qui l’avait sorti de l’anonymat, un voyage refait récemment par Sorin Trâncă, auteur du livre « Le Chemin de Constantin, l’évasion de Brâncuşi de Roumanie, une reconstitution / Drumul lui Constantin, Evadarea lui Brâncuși din România, o reconstituire ». Sorin Trâncă a très rapidement remarqué la précarité des données concernant ce voyage de Brâncuși: Moi, j’ai considéré qu’il était parti en 1903 pour arriver à sa destination en 1904. On ne sait quasiment rien du déroulement de ce voyage, ni de la durée. En 1910, l’écrivainAlexandru Vlahuță affirme que le voyage aurait duré quatre mois. D’autres disent huit mois, d’autres encore 14 ou 16 mois, ou même deux années, et ainsi de suite. Autant de choses peu claires, d’où mon désir d’essayer d’offrir une hypothèse valide. J’ai donc beaucoup lu, j’ai longuement analysé les arguments et les sources et je suis arrivé à la conclusion qu’il était parti à la fin du printemps 1903 pour arriver à Paris le plus probablement le 14 juillet 1904, lors de la Fête nationale de la France Son voyage a donc duré un peu plus d’un an, voire peut-être deux. Comme l’on ne connait pas la date précise, son voyage aurait pu commencer en fait en 1902 ou en 1903.
Il est arrivé en France le 14 juillet 1904
Selon Sorin Trâncă, le trajet de Brâncuși aurait débuté à Hobița et continué par Petroșani, pour passer ensuite par Hațeg en Transylvanie, qui faisait partie à l’époque de l’empire des Habsbourg, et entrer en Hongrie à Nădlac, traverser Budapest et entrer par Heidentor im Carnutum en Autriche, arriver à Vienne, Linz et Salzbourg pour entrer en Allemagne, passer par Munich, ensuite par Constance et directement en Suisse, où il paraît que Brâncuși est tombé malade à Bâle. Une fois arrivé en France, à Langres, le sculpteur monta à Paris en train, arrivant probablement dans la capitale française le 14 juillet 1904, puisqu’il se souvenait de la musique militaire et des honneurs militaires dont la France l’avait accueilli.
Mais quels ont été les moyens financiers et de transport de Brâncuși ?
Une question sans réponse évidente, affirme Sorin Trâncă: Nous connaissons quelques points importants, validés par les exégètes, par des gens qui ont connu l’artiste, tel que l’avocat et publiciste Petre Pandrea. En grand, nous savons qu’il était passé par Vienne, Budapest, Munich, Bâle, Zurich et Langres à l’entrée en France. A partir de là, j’ai purement et simplement complété une carte et construit un itinéraire m’appuyant sur l’hypothèse que Brâncuși avait fait ce voyage à pied. De nombreuses voix soutiennent cette théorie, du voyage à pied comme celui de Badea Cârțan. Moi, je ne partage pas cette idée. Je crois qu’il était parti comme le faisaient les paysans ou les ouvriers. (…) Après la fin de l’apprentissage, un ouvrier est obligé à parcourir ce chemin de l’approfondissement de sa formation, pour apprendre de nouveaux secrets du métier. Donc, notre paysan, Brâncuși, est parti voir le monde en tant qu’ouvrier, après son apprentissage à l’Ecole des Beaux-Arts de Bucarest, une très bonne école d’ailleurs.
Ce que l’on sait avec certitude c’est qu’à la fin de ces études, Constantin Brâncuși a participé à des concours de projets pour des monuments publics, mais toutes ses propositions ont été rejetées.
C’est peut-être ce rejet qui l’a poussé à quitter le pays, mais ce n’est qu’une hypothèse en l’absence d’un témoignage direct, affirme Sorin Trâncă: Tous les projets publics jamais présentés par Brâncuși ont été rejetés. Avec, tout de même, quelques exceptions près. L’une en est l’ensemble de Târgu Jiu, mais dans ce cas nous parlons d’une personne qui approche la soixantaine déjà. (…) Un âge où peu de monde pouvait encore corriger ses ouvrages. D’autres exceptions sont des monuments publics commandés par des particuliers, tels que les monuments funéraires du cimetière de la ville de Buzău. (…) Bien que je refuse d’accepter pour l’instant l’idée, soutenue par certains, que Brâncuși était fâché quand il quitta Bucarest pour aller à Paris, j’accepte la possibilité qu’il fût fâché contre l’esprit de médiocrité. (…) Il n’est pas un voyageur, au sens moderne du mot, autrement dit il partait parce pour son travail non pas pour s’amuser. (…) Pour revenir à son enfance, son départ à pied de Hobița à Paris, est, je crois, son cinquième, parce qu’entre ses 7 et 11 ans, il fait plusieurs fugues. Quand il avait environ 5 ans, il part aussi dans une bergerie, car il est l’enfant d’une famille nombreuse et pauvre. Il est donc envoyé à travailler dès son âge le plus tendre. La première fois, c’est dans une bergerie des Monts Parâng. Et c’est d’ailleurs la raison du fait que Brâncuși rate en quelque sorte l’école primaire.
Voulant être soi-même et poursuivre son chemin, Brâncuși réussira à Paris à mettre dans la sculpture les formes qu’il avait tant recherchées et à les faire aimer à travers le monde. (Trad. Ileana Ţăroi)