L’architecte Horia Creangă
Parmi les architectes dits modernistes, deux noms se détachent du lot : celui de Marcel Iancu/Janco, artiste plasticien avant-gardiste qui a fait sa carrière en Israël, après avoir imaginé plusieurs hôtels particuliers à Bucarest ; et puis, celui de Horia Creangă, auteur de bâtiments – repères, érigés sur les principales artères de la capitale de la Roumanie. Apparenté au grand auteur de prose classique roumaine, Ion Creangă, larchitecte Horia Creangă a réussi à moderniser un important boulevard, ainsi que la banlieue industrielle de la capitale, à lentre-deux-guerres.
Christine Leșcu, 12.07.2020, 13:10
Parmi les architectes dits modernistes, deux noms se détachent du lot : celui de Marcel Iancu/Janco, artiste plasticien avant-gardiste qui a fait sa carrière en Israël, après avoir imaginé plusieurs hôtels particuliers à Bucarest ; et puis, celui de Horia Creangă, auteur de bâtiments – repères, érigés sur les principales artères de la capitale de la Roumanie. Apparenté au grand auteur de prose classique roumaine, Ion Creangă, larchitecte Horia Creangă a réussi à moderniser un important boulevard, ainsi que la banlieue industrielle de la capitale, à lentre-deux-guerres.
Ana-Maria Zahariade, professeure à lUniversité darchitecture de Bucarest et co-autrice de louvrage « Horia Creangă. Une monographie », résume la biographie du maître. «Né en 1892, il a été le petit-fils de lécrivain Ion Creangă. Sa famille, qui nétait pas aisée, faisait partie de la petite bourgeoisie bucarestoise. Cest ce qui la poussé, à la fin de la Grande Guerre, à exposer, à lAthénée roumain, plusieurs aquarelles, quil a vendues afin de payer des études à lEcole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, un établissement plébiscité par les jeunes architectes roumains de lépoque. De nombreux jeunes choisissaient de parachever leurs connaissances professionnelles à Paris, malgré louverture, en 1892, de la première école roumaine darchitecture. A la fin des études, Horia Creangă se fait embaucher au cabinet darchitecture de son professeur de lUniversité. Dans la capitale française, il est accompagné par son épouse, Lucia Dumbrăveanu-Creangă, une des premières femmes-architectes roumaines. Ensemble, ils ouvriront leur propre cabinet, en Roumanie, que rejoint aussi larchitecte Ion Creangă, le frère de Horia. Le cabinet finit par avoir du succès, Horia Creangă ayant loccasion de rencontrer beaucoup de gens à la Direction des Nouveaux travaux de la Mairie de Bucarest, où il travaille aussi ; ces personnes vont devenir ses clients. »
De nature réservée, Horia Creangă naimait pas parler de sa vie privée, mais son travail darchitecte est bien connu et un bon nombre de ses ouvrages sont toujours debout. Un de ses premiers projets a été la maison construite dans la ville de Deva (centre-ouest de la Roumanie) pour lhomme politique Petru Groza, devenu, après 1945, premier ministre et ensuite haut fonctionnaire du régime communiste. Au début des années 1920, Horia Creangă construit pour sa famille une villa de style cubiste et commence ensuite à collaborer avec de grandes compagnies privées et des industriels, qui ont été les bénéficiaires de la plupart de ses projets bucarestois, souligne Ana-Maria Zahariade. « Son premier grand projet, dune importance et dune beauté exceptionnelles, a eu un énorme écho aussi à létranger, puisquil a été publié dans la revue parisienne « LArchitecture ». Il sagit de limmeuble ARO. Lhistoire a commencé lors de la réunion avec les membres de la société ARO, qui allaient lui faire confiance longtemps après 1929, quand Horia Creangă gagnait un concours organisé par eux. Le bâtiment ARO, appelé Patria à lépoque communiste, mais aussi post-communiste et affichant, aujourdhui, un état de dégradation honteux, ce bâtiment donc a été le premier de style moderniste érigé sur le nouveau tronçon, en travaux à lépoque, du boulevard appelé alors « Brătianu », lactuel « Magheru ». On a parlé longuement de cette construction considérée comme une sorte de gratte-ciel qui choquait les contemporains. Elle a continué de les choquer, mais les habitants de la capitale ont fini par laimer. On y trouvait aussi une magnifique salle de cinéma, un bar et un restaurant. A lentre-deux-guerres, la salle de cinéma avait accueilli des spectacles exceptionnels, donnés par de grands artistes, tels le violoniste Yehudi Menuhin ou la chanteuse roumaine Maria Tănase. Cétait un lieu représentatif de la société roumaine moderne et progressiste daprès la Grande Guerre. Plus tard, Horia Creangă a construit, sur le même boulevard, un autre immeuble, appelé « Malaxa-Burileanu » et qui est aussi debout, mais quasi méconnaissable. Le projet initial, à larchitecture très élégante, a lui aussi été présenté dans une importante revue étrangère. Aujourdhui, nous savons que larchitecte Horia Creangă a imaginé 78 projets, dont la plupart ont été construits. »
La liste de ses projets inclut le bâtiment du Théâtre Giulești, qui abrite à présent lOpéra-comique pour enfants, les usines Malaxa, rebaptisées « Le 23 Août », dans la banlieue est de la capitale, et les Halles Obor. Dans les années 1920-30, tous ces bâtiments constituaient des nouveautés innovantes aussi bien en Roumanie quen Europe. Horia Creangă a été attiré par la simplicité et lélégance des lignes du courant moderniste. Il avait le don dextraire lessentiel des choses et datteindre ainsi ce sommet de lélégance quil cherchait et aimait, qui était son idéal professionnel, considère Ana-Maria Zahariade, qui résume le dernier chapitre de la vie de larchitecte Horia Creangă, mort en 1943. « Il a eu droit à une reconnaissance rapide de la part de la profession, mais cela est peut-être difficile à prouver. La principale revue spécialisée de lépoque, la revue « Arhitectura », publiée par la Société des architectes, ne soutenait pas le modernisme, dont les projets ny étaient pas tellement présents. Horia Creangă est tout de même reconnu, puisque son cabinet darchitecture sest développé et recevait des commandes. De nombreux jeunes très doués y ont commencé de belles carrières, comme ce fut le cas de Haralamb Georgescu, très apprécié ensuite aux Etats-Unis. La renommée de Horia Creangă est presquentièrement due à ses projets, car il na pas enseigné, son cabinet étant une école parallèle à lécole officielle. Dailleurs, la faculté privilégiait le style appelé national ou néo-roumain. Horia Creangă a rencontré le succès en travaillant surtout pour des clients particuliers. Par exemple, la société ARO était une entité privée. Il obtient aussi lappréciation des autorités, étant impliqué dans des projets pour la municipalité de Bucarest. En tant que directeur du département des expositions, il participe à lorganisation des expositions nationales de la fin des années 1930. Il a donc travaillé sur des projets à financement public, preuve de cette appréciation officielle acquise par le style moderniste, avec le temps. »
Sis dans le périmètre central de Bucarest et à présent abandonné, le bâtiment ARO-Patria, louvrage le plus connu, probablement, de larchitecte Horia Creangă, se dégrade avec chaque jour qui passe, ayant un besoin urgent de travaux de consolidation. (Trad. : Ileana Ţăroi)