L’aménagement de la rivière Dâmbovița
Steliu Lambru, 20.02.2022, 13:54
La ville de Bucarest est traversée sur
22 km, du nord-ouest au sud-est, par la rivière Dâmbovița, encadrée au nord par
son affluent Colentina et au sud par la rivière Argeș. Le lit de la Dâmbovița,
qui prend sa source dans les forêts du massif montagneux de Făgăraș, est long
de 237 km, avec une dénivellation de 1 757 mètres. Après avoir traversé la
capitale roumaine, la Dâmbovița se jette dans la rivière Argeș, à hauteur de la
commune de Budești. Elle a donné son nom à un département du pays, « Dâmbovița »,
dont le chef-lieu est la ville de Târgoviște, ancienne capitale médiévale de la
principauté de Valachie.
Le plus ancien document officiel, qui mentionne Bucarest,
date de la moitié du XVe siècle, à l’époque du prince Vlad Țepeș (l’Empaleur).
Les habitants de la bourgade, appelée aussi la Citadelle de la Dâmbovița dans
les documents administratifs, se servaient de l’eau de la rivière pour cuisiner
et se laver. Les premières fontaines publiques, ainsi que les premiers réseaux
d’adduction d’eau potable sont apparus durant le règne du prince Alexandru
Ipsilanti, vers la fin du XVIIIe siècle. La population locale se faisait
approvisionner par les fameux « sacagii », les porteurs d’eau, qui
arpentaient les rues de Bucarest. Outre les difficultés d’approvisionnement,
les habitants devaient aussi faire face aux caprices de la Dâmbovița, qui
inondait les quartiers périphériques et faisait naître des marécages lorsque
les pluies étaient trop abondantes.
La création de l’État roumain moderne en 1859 et l’établissement de sa
capitale à Bucarest lance le processus de transformation et d’apprivoisement de
la Dâmbovița. Pour contenir les désagréments de la nature, les ingénieurs
roumains ont imaginé des projets d’aménagement, en s’inspirant de ce qui avait
été fait à Paris, Londres et Berlin. Les premières tentatives d’endiguer le
déchaînement des eaux remontent à l’époque du prince Alexandru Ipsilanti, en
1775, lorsqu’un canal fut construit pour limiter l’ampleur des inondations. Le
fond du lit de la rivière fut nettoyé en 1813, pendant le règne du prince Ioan
Caragea. Mais les véritables transformations furent lancées après 1878, année
de l’indépendance de la Roumanie. A partir de 1880, l’ingénieur et architecte Grigore
Cerchez met en œuvre ses projets de correction et d’approfondissement du lit de
la rivière, de consolidation et d’augmentation de la hauteur des berges, de
construction de ponts et de plantation
d’arbres.
Cependant, le projet d’aménagement le plus ample a vu le jour
après le tremblement de terre du 4 mars 1977, lorsque Nicolae Ceaușescu a donné
l’ordre que le centre ville de Bucarest change complètement de visage.
L’historien Cezar-Petre Buiumaci, du Musée de la ville, a rappelé
les aspects essentiels du fameux projet. « Le
grand projet de transformation du centre-ville, démarré par Ceaușescu après le
séisme du 4 mars 1977, a aussi inclus l’aménagement de la rivière Dâmbovița. Le
projet du grand Centre Civique de la capitale, dont les premières ébauches
apparaissent après le tremblement de terre, a été une intervention brutale et
sans précédent, qui a imposé la démolition du centre, quasi exclusivement
résidentielle, de la ville. La destruction des habitations a eu pour résultat
le problème des logements nécessaires pour accueillir les familles dont les
maisons n’existaient plus. Bucarest devenait un immense chantier, car en plus du
centre, des travaux de construction avaient lieu dans d’autres quartiers, pour
bâtir les nouveaux immeubles d’appartements (les blocs) où allaient loger tous
ceux dont les maisons avaient été démolies. Parmi eux, le nouvel ensemble de
blocs Crîngași-Constructorilor-Giulești, qui devait accueillir 45 000 personnes.
Le réaménagement de la rivière Dâmbovița à travers la capitale se déroulait en
parallèle. »
Ceaușescu reprenait aussi des idées plus
anciennes, d’une Dâmbovița navigable et intégrée dans un autre projet encore
plus ample, de faire de Bucarest une ville-port sur le Danube, via un canal,
explique Cezar-Petre Buiumaci. « L’idée
de cet aménagement, que l’on avait voulu inclure dans le projet du Canal Bucarest-Danube,
était apparue bien avant, au XIXe siècle, et elle refaisait surface
périodiquement. C’est pour mettre en œuvre ce projet que l’on a construit les
lacs de retenue Ciurel et Văcărești, dont la mission était d’augmenter le
volume d’eau et de créer des conditions de navigation. Sauf que la géographie
des lieux ne le permettait pas et l’idée de la navigation dans la ville a été
abandonnée, n’étant maintenue que dans la zone Vitan-Cățelu. »
La nouvelle Dâmbovița avait un nouveau
visage. Pour éliminer définitivement le danger des inondations, mais aussi pour
la rendre utiles aux irrigations, la rivière a été scindée par un premier
barrage à 20 km après sa source et par un deuxième à 80 km avant son entrée
dans Bucarest. Un troisième barrage se trouvait à Bucarest même, là où s’est
formé le Lac Morii (du moulin). Un bras a été creusé avant l’entrée de la Dâmbovița
dans la ville, en direction du sud, pour rediriger un éventuel surplus d’eau
vers la rivière Ciorogârla. Deux canaux collecteurs d’eaux usées ont été
construits sous le lit urbain de la Dâmbovița.
Les ponts ont été reconstruits, certains même repositionnés,
tandis que les berges ont été bétonnées, raconte l’historien Cezar-Petre
Buiumaci. « L’aménagement de la
Dâmbovița a été un projet complexe, dont non seulement le lit a été redessiné,
mais aussi les réseaux entiers qui le croisaient, les installations de maintien
d’un débit relativement constant. Outre les nouveaux ponts et les passerelles
qui permettaient de traverser la rivière, sur les segments de délimitation de
biefs, l’on a réalisé des aménagements pour les loisirs : plusieurs pontons et
accès à la surface de l’eau. Dans cette même catégorie, on retrouve aussi
l’aménagement de la plage artificielle dans l’enceinte de la piscine de Crângași,
tout près du lac Ciurel. »
L’histoire du visage actuel de la
Dâmbovița à Bucarest est relativement récente, mais elle s’appuie sur une
démarche vieille d’au moins 200 ans. (Trad. Ileana Ţăroi)