La vie sociale et politique à Sibiu au XVIe siècle
Parmi les bourgs fondés par les Saxons en Transylvanie à compter du XIIe siècle, deux se détachent allégrement du lot. Il s’agit, bien évidemment, des villes de Braşov et de Sibiu. La première, plus grande et plus peuplée, avec son air peut-être un plus pragmatique et dynamique – plus conservatrice, aussi -, semble avoir un réel penchant pour le commerce. De l’autre côté, la ville de Sibiu a depuis toujours été considérée comme le centre politique, administratif et intellectuel de référence des Saxons de Transylvanie. Mais Sibiu a lui aussi un penchant certain pour le commerce, avec le développement des relations économiques étendues vers l’Europe centrale et occidentale, mais aussi vers l’Est et le Sud du continent. Historiquement, les liens commerciaux qu’elle noue avec la Valachie, dont notamment avec les villes de Câmpulung-Muscel, Târgoviște et Pitești, mais aussi avec l’Empire ottoman, contribuent grandement à assurer durablement sa prospérité. Ville peuplée d’artisans et de commerçants, Sibiu avait instauré au Moyen Age une forme de gouvernance propre, à l’instar d’autres bourgs médiévaux européens, mais avec certains particularismes locaux. C’est au XVIe siècle que le caractère local de ce mode particulier de gouvernance se fait sentir le mieux, dans ce que l’on pourrait appeler un début de démocratie locale. Ainsi, les habitants de Sibiu élisaient, déjà à l’époque et par vote direct, tous les ans, leur maire, les magistrats locaux ainsi que leur représentant royal. Cette forme de démocratie locale et la législation qui s’ensuivait était connue sous le syntagme allemand de « gute Polizey », autrement dit la bonne gouvernance. Mária Pakucs-Willcocks, l’auteure du livre Sibiu au XVIe siècle. La gouvernance d’une ville transylvaine nous fait mieux connaître les arcanes et les subtilités de la démocratie sibienne d’antan. « Les élites politiques, économiques et administratives de Sibiu essayaient de concevoir une certaine vision de la ville, une vision que l’on pourrait considérer politique, voire idéologique, c’est-à-dire une série de normes et de valeurs, synthétisée dans l’expression « gute Polizey ». Ces valeurs ne sont peut-être pas intégrées et assimilées de façon unitaire par l’ensemble de la population de la ville, mais les statuts de cette dernière, inspirés par les statuts et les normes en vigueur dans les autres villes occidentales de l’époque, font bien état de cette volonté assumée de la bonne gouvernance. Il y a donc les élections qui, comme souvent, évidemment, permettent d’élire les membres des mêmes familles, qui font part de l’élite existante, des familles qui disposent des ressources et des relations nécessaires pour se consacrer à la vie politique, à la gestion de la cité. L’on peut parler ainsi d’une certaine forme de démocratie des nantis, des privilégiés, une démocratie quelque peu biaisée, mais à travers laquelle les élus gardaient néanmoins contact avec leur base électorale et ses représentants. Parce que, en même temps, il existait le corps de centumvirs, c’est-à-dire cent hommes, élus tous les ans, et représentants les artisans, les classes moyennes, pour parler dans le langage d’aujourd’hui. Une classe formée notamment d’artisans et de commerçants. »
Christine Leșcu, 09.12.2018, 11:41
Parmi les bourgs fondés par les Saxons en Transylvanie à compter du XIIe siècle, deux se détachent allégrement du lot. Il s’agit, bien évidemment, des villes de Braşov et de Sibiu. La première, plus grande et plus peuplée, avec son air peut-être un plus pragmatique et dynamique – plus conservatrice, aussi -, semble avoir un réel penchant pour le commerce. De l’autre côté, la ville de Sibiu a depuis toujours été considérée comme le centre politique, administratif et intellectuel de référence des Saxons de Transylvanie. Mais Sibiu a lui aussi un penchant certain pour le commerce, avec le développement des relations économiques étendues vers l’Europe centrale et occidentale, mais aussi vers l’Est et le Sud du continent. Historiquement, les liens commerciaux qu’elle noue avec la Valachie, dont notamment avec les villes de Câmpulung-Muscel, Târgoviște et Pitești, mais aussi avec l’Empire ottoman, contribuent grandement à assurer durablement sa prospérité. Ville peuplée d’artisans et de commerçants, Sibiu avait instauré au Moyen Age une forme de gouvernance propre, à l’instar d’autres bourgs médiévaux européens, mais avec certains particularismes locaux. C’est au XVIe siècle que le caractère local de ce mode particulier de gouvernance se fait sentir le mieux, dans ce que l’on pourrait appeler un début de démocratie locale. Ainsi, les habitants de Sibiu élisaient, déjà à l’époque et par vote direct, tous les ans, leur maire, les magistrats locaux ainsi que leur représentant royal. Cette forme de démocratie locale et la législation qui s’ensuivait était connue sous le syntagme allemand de « gute Polizey », autrement dit la bonne gouvernance. Mária Pakucs-Willcocks, l’auteure du livre Sibiu au XVIe siècle. La gouvernance d’une ville transylvaine nous fait mieux connaître les arcanes et les subtilités de la démocratie sibienne d’antan. « Les élites politiques, économiques et administratives de Sibiu essayaient de concevoir une certaine vision de la ville, une vision que l’on pourrait considérer politique, voire idéologique, c’est-à-dire une série de normes et de valeurs, synthétisée dans l’expression « gute Polizey ». Ces valeurs ne sont peut-être pas intégrées et assimilées de façon unitaire par l’ensemble de la population de la ville, mais les statuts de cette dernière, inspirés par les statuts et les normes en vigueur dans les autres villes occidentales de l’époque, font bien état de cette volonté assumée de la bonne gouvernance. Il y a donc les élections qui, comme souvent, évidemment, permettent d’élire les membres des mêmes familles, qui font part de l’élite existante, des familles qui disposent des ressources et des relations nécessaires pour se consacrer à la vie politique, à la gestion de la cité. L’on peut parler ainsi d’une certaine forme de démocratie des nantis, des privilégiés, une démocratie quelque peu biaisée, mais à travers laquelle les élus gardaient néanmoins contact avec leur base électorale et ses représentants. Parce que, en même temps, il existait le corps de centumvirs, c’est-à-dire cent hommes, élus tous les ans, et représentants les artisans, les classes moyennes, pour parler dans le langage d’aujourd’hui. Une classe formée notamment d’artisans et de commerçants. »
Cette architecture institutionnelle n’est pas l’apanage du seul Sibiu, car on peut la retrouver ailleurs, elle est commune à d’autres villes saxonnes de Transylvanie. Pourtant, la ville de Sibiu a bénéficié de l’apport de personnalités particulièrement remarquables. Un homme d’Etat qui a frappé les mémoires, et dont le nom est encore connu de nos jours – c’est celui d’une place de la ville -, est Huet. Nous avons voulu en savoir un peu plus, et nous avons interrogé Mária Pakucs-Willcocks pour comprendre en quoi M. Huet était un personnage hors normes. « Pour la ville de Sibiu de ce temps-là, Albert Huet était déjà un homme d’une excellente éducation, bénéficiant d’une formation intellectuelle d’exception. Albert Huet a été élu et réélu représentant royal de la ville Sibiu, de 1577 à 1607. C’est à lui que l’on doit cette formule de gute Polizey, qui ne s’est répandue dans le langage administratif qu’un siècle plus tard. Albert Huet avait offert aux Saxons de Transylvanie un instrument pour qu’ils puissent se reconnaître et se distinguer en tant que nation à part entière. Sa carrière politique n’a pas été de tout repos. Contemporain de Michel le Brave, voïvode de Valachie, Albert Huet a pris par exemple part à la Bataille de Giurgiu aux côtés du voïvode valaque. Il s’est érigé comme représentant, une sorte de père des Saxons de Transylvanie, cherchant à élargir le champ de leur autonomie et le maintien des privilèges politiques, administratifs, juridiques et économiques dont ces derniers bénéficiaient. Ce que l’on constate en revanche, c’est qu’à plus long terme, ces privilèges ont déterminé une sorte d’incapacité des Saxons à s’adapter aux changements ultérieurs du contexte politique. Sibiu était resté un bourg longtemps fermé aux autres nationalités, qui n’avaient pas le droit de s’y établir. Et bien évidemment, les Roumains n’étaient pas les seuls affectés par cette politique. En fait, les Saxons de Sibiu essayaient de limiter l’établissement de tout intrus dans la ville, et cette acception recouvrait un vaste éventail de situations individuelles : tous ceux qui n’étaient pas Saxons, luthériens et bourgeois étaient a priori exclus. Même les nobles. Pour un bourgeois saxon de Sibiu, accepter l’établissement d’un aristocrate dans sa ville était difficilement imaginable. Cette situation, cette règle de ne pas accorder le droit d’établissement et la citoyenneté de la ville à ceux qui n’étaient pas coulés dans un moule prédéfini, a perduré pendant des siècles et a constitué un problème ». Quoi qu’il en soit, en 1589, Sibiu s’était doté d’une véritable Constitution. « Je l’appelle ainsi, Constitution, explique Mária Pakucs-Willcocks. Le titre officiel de l’acte en question est celui de « Statuts de la ville ». C’est là qu’on voit se cristalliser cette idée de gute Polizey, de bonne gouvernance. C’est là qu’étaient définies les règles et les principes qui régissaient la conduite politique et le fonctionnement administratif de la ville. Le principe du consensus y est central, même si ce principe n’est pas l’apanage exclusif de Sibiu. Toutefois, à Sibiu, cette idée de consensus recouvre et régit plusieurs aspects de la vie de la communauté : l’intérêt commun, la paix commune, les relations entre les gouvernants et les gouvernés, l’obéissance à l’autorité. Dans ce contexte, qu’est-ce que le bien commun ? Il s’agit pratiquement d’un contrat qui fait que les gouvernés obéissent à l’autorité pour autant et aussi longtemps que l’autorité agisse dans l’intérêt de tous. Et c’est bien cette poursuite de l’intérêt commun qui doit assurer la paix et la prospérité de la communauté. »
Par cette recherche du consensus, par l’exercice d’une pratique démocratique naissante ou encore par sa constitution ancienne, la ville de Sibiu a contribué de manière remarquable à l’enrichissement de la culture politique de la Roumanie d’aujourd’hui, dont l’Etat, dans sa forme contemporaine, vient de fêter ses cent années d’existence.
(Trad. Ionut Jugureanu)