La rue Brezoianu, à Bucarest
Une rue du centre ville de la capitale qui doit son nom au boyard Pătrașcu Brezoianu, qui a reconstruit au début du XVIIIème siècle l’église qui portera son nom.
Christine Leșcu, 15.09.2024, 10:27
La rue Brezoianu est une des artères urbaines les plus anciennes et les plus importantes de Bucarest. Avec un bout au centre-ville historique de la capitale roumaine, elle croise le premier boulevard de la ville – l’actuel boulevard Elisabeta, longe le parc Cișmigiu et se déroule parallèlement à Calea Victoriei – l’avenue de la Victoire, tout en étant l’une des rues les mieux conservées du point de vue historique et architectural. Son histoire commence au XVIIIème siècle – lorsque, en 1703, le boyard Pătrașcu Brezoianu se voit offrir par le prince Constantin Brâncoveanu un terrain pour y construire des maisons. La modernisation de la zone débute au milieu du XIXème siècle, avec l’assainissement d’un marais et l’aménagement du jardin public ou parc Cișmigiu. Pourtant, le boyard fondateur a été oublié par la mémoire des lieux, son nom étant pris pour celui d’un acteur, Iancu Brezeanu, explique Oana Marinache, historienne de l’art.
« C’est une des erreurs les plus rencontrées dans le registre officiel des rues. Les souvenirs de plusieurs personnalités se sont probablement superposés et ont créé ce rapprochement erroné. Il s’agit d’abord d’un acteur, Ion (Iancu) Brezeanu, et d’une autre personnalité de notre culture, un enseignant et réformateur du système d’enseignement, qui s’appelait Ion Brezoianu. Et pour que l’histoire ne soit pas trop simple, je rappellerais le vrai personnage du début, le boyard, Pătrașcu Brezoianu, qui a reconstruit au début du XVIIIème siècle l’église qui portera son nom. Donc, si les l’acteur et le réformateur ne possédaient pas nécessairement de maison dans cette zone, celui qui aurait effectivement dû donner son nom à cette rue est le boyard Pătrașcu Brezoianu. Il a fait reconstruire le lieu de culte à proximité de l’actuel bâtiment de la Sala Palatului (la Salle du Palais), mais la systématisation et les bombardements subis par cette zone vers la fin de la deuxième guerre mondiale ont entraîné la destruction de l’église. En règle générale, ces anciennes mahalale (faubourgs) de la partie centrale de notre ville se constituaient sur des terrains en location sur contrat à très long terme, à proximité d’un lieu de culte. Nous savons qu’une église en bois y avait existé, mais qu’elle avait disparu dans la tourmente des temps incertains des XVIIème et XVIIIème siècle, pour être reconstruite en pierre en 1710. Cette église a résisté debout jusque vers 1959, donc à l’époque communiste, mais il est certain que le grand tremblement de terre de 1940 et les bombardements de 1944 l’avaient fortement touchée, la laissant dans un très mauvais état.
Une rue emblématique du laboratoire architectural que fut Bucarest
A la différence du lieu de culte autour duquel la mahala s’était constituée, de nombreux bâtiments classés ont survécu jusqu’à nos jours dans la rue Brezoianu. C’est le cas du Palais Vama Poștei (la Douane de la Poste), imaginé par l’architecte Statie Ciortan et sis dans la rue Lipscani, à l’endroit précis où s’ouvre la rue Brezoianu. Ou encore le Palais Universul, siège du quotidien homonyme de l’entre-deux-guerres, dessiné par l’architecte Paul Smărăndescu, qui se dresse au croisement avec une autre rue, jadis occupée par des rédactions de journaux. Ces bâtiments et d’autres aussi y ont survécu, en dépit de l’infrastructure problématique des lieux, souligne Oana Marinache.
« Puisque c’est une rue plutôt longue et parallèle avec Podul Mogoșoaiei ou l’actuelle Calea Victoriei, habitée par de nombreuses grandes personnalités issues de familles de boyards et bordée de monuments architecturaux du milieu du XIXème siècle, la rue Brezoianu a toujours bénéficié de l’attention de autorités locales, prêtes à moderniser, à refaire, à paver et aligner les lieux. À différentes époques, la rue commençait au croisement avec la rue Lipscani (dans le vieux centre) et débouchait sur l’artère qui porte le nom du prince Știrbei Vodă. La zone avait aussi un problème lié au jardin public de Cișmigiu et à l’ancien marais, c’était le problème récurrent des inondations, des mauvaises odeurs, des refoulements dans les sous-sols des immeubles. Il existe des lettres d’époques envoyées aux autorités par les habitants aisés de la zone, menés par le peintre Tătărăscu, dont la maison avoisinait la rue Brezoianu. Sa voix était importante dans la communauté locale et elle se faisait constamment entendre demander aux autorités de trouver une solution pour éliminer le dénivelé de la rue et les inondations, qui s’accompagnaient de mauvaises odeurs et de maladies.
De nos jours, ces problèmes n’existent plus et les traces du passé sont bien conservées dans la rue Brezoianu, tout près du Cercle Militaire National, de la chocolaterie Capșa et de l’ancien Palais Royal et actuel Musée National d’Art. (Trad. Ileana Ţăroi)