La princesse de Transylvanie
La vie privée des princes régnants et des membres de la noblesse est plus
difficile à reconstituer, car rarement mentionnée dans les documents officiels
ou les chroniques. Ce sont les documents privés, comme par exemple les lettres
ou les journaux personnels, qui nous servent de sources principales, y compris
dans le cas des épouses des puissants des époques révolues, des femmes qui,
dans les coulisses, ont parfois remplacé leurs conjoints, réussissant même à
avoir une forte influence sur l’évolution des événements.
Christine Leșcu, 02.01.2022, 14:46
La vie privée des princes régnants et des membres de la noblesse est plus
difficile à reconstituer, car rarement mentionnée dans les documents officiels
ou les chroniques. Ce sont les documents privés, comme par exemple les lettres
ou les journaux personnels, qui nous servent de sources principales, y compris
dans le cas des épouses des puissants des époques révolues, des femmes qui,
dans les coulisses, ont parfois remplacé leurs conjoints, réussissant même à
avoir une forte influence sur l’évolution des événements.
Tel fut le cas d’Anna Bornemisza, épouse de
l’avant-dernier prince souverain de Transylvanie, Mihail Apafi I (Apafi Mihály
en hongrois), dont la riche correspondance qui nous est parvenue nous permet de
reconstituer aussi la situation dramatique de la principauté au cours de la
seconde moitié du XVIIe siècle. Anna Bornemisza provenait d’une vieille famille
de la noblesse transylvanienne, mais elle était aussi apparentée à des boyards
de Valachie. La famille Apafi était très proche de la
famille Brâncoveanu (Brancovan) et détenait des propriétés dans Ţara
Făgărașului (le Pays de Făgăraş), dont Cetatea (la Citadelle) Făgărașului, où
le couple princier avait longtemps habité. Mihail Apafi I a régné entre 1661 et
1690, une époque trouble de l’histoire de la Transylvanie.
La professeure des universités Șarolta Solcan fait une brève présentation
de l’épouse du prince : « Anna Bornemisza provenait d’une
famille noble d’Oradea. C’est pourquoi elle ne s’était pas sentie en sécurité
parmi la haute aristocratie de Transylvanie et s’était entourée de personnes
proches ramenées d’Oradea, dont Mihail Teleki, le fils de sa cousine et futur
chancelier de la principauté après 1680. Anna Bornemisza s’est trouvée à la tête de la principauté à partir de 1661 jusqu’à sa mort
en 1688, accompagnant son époux, le prince Mihail Apafi I. Elle s’est beaucoup
impliquée dans les affaires à la tête du pays, dans la gestion des domaines
princiers, car le prince s’occupait de ses passions: la lecture, la
philosophie, la collection d’horloges. Ses contemporains lui ont d’ailleurs
beaucoup reproché cette attitude, lui disant qu’il aurait fait un meilleur
prêtre, ainsi que l’implication de la princesse dans les affaires politiques.
Malgré les critiques, Anna Bornemisza s’est avérée dès le début une forte personnalité de la scène politique des
pays roumains ».
Anna Bornemisza a payé la rançon demandée par les Tatares de Crimée pour
libérer le prince en 1660, capturé à la suite d’une campagne militaire
désastreuse en Pologne. Et c’était encore elle qui le remplaçait à la tête de
la principauté, lorsque Mihail Apafi I était absent, pour guerroyer ou plonger
dans l’univers des livres.
Șarolta Solcan continue de raconter la biographie d’Anna Bornemisza : « Elle serait née autour de 1636, mais il est certain
qu’elle avait épousé le futur prince Mihail Apafi I le 10 juin 1653, et que sa
vie a été pleine de soucis. Apafi I a eu un long règne, qui a duré jusqu’en
1690 et qui a été parsemé de nombreuses tensions pour le couple. Ce fut une
époque de confrontations armées entre les Empires ottoman et autrichien pour
s’emparer de la Hongrie et les parties belligérantes demandaient souvent le
soutien de la Transylvanie, menaçant le pays et son prince ».
Au plan personnel, la princesse de
Transylvanie a toujours vécu en craignant pour la vie de son époux et en
prenant soin de ses enfants, dont certains, de nature plus fragile, étaient
morts en bas âge. D’ailleurs, ces craintes constantes, le contexte belligérant
de la Transylvanie de l’époque et les épidémies fréquentes lui ont causé une
profonde dépression. Les documents de ces temps-là mentionnaient « un
trouble de la tête » de la princesse, qui avait fait une obsession contre
les sorcelleries et les sorciers. Cette obsession d’être la cible de sorcelleries
allait finir par déclencher une chasse aux sorcières, accompagnée de procès en
justice dans la Transylvanie de la dernière partie du XVIIe. En 1682, l’état de santé de la princesse s’effondre et elle devient
quelqu’un de complètement abîmé dans sa tête et dans son âme, selon un de ses
contemporains. Anna Bornemisza est morte en 1688, étant d’abord enterrée à
l’intérieur de l’église de Mălâncrav (dans l’actuel département de Sibiu), érigée
par sa famille, et ramenée, vers la moitié du XXe siècle, dans l’église
réformée de la ville de Cluj.
La professeure des universités Șarolta Solcan conclut le récit de la vie d’Anna Bornemisza : « C’était une femme dotée
d’une force de caractère exceptionnelle, malgré une grande fragilité physique,
qui s’est battue contre une mentalité hostile aux femmes, qui leur refusait le
droit de participer à la prise de décisions politiques. Une mentalité tellement
enracinée dans la société, qu’elle était assumée même par des femmes. La fille
d’un noble transylvanien clamait d’ailleurs que la direction d’un pays n’était
pas faite pour la tête d’une femme ».
Une opinion qu’Anna Bornemisza ne partageait pas
du tout. (Trad. Ileana Ţăroi)