La fabrique Guban et l’essor de l’industrie roumaine de la chaussure
Avant
la Grande Guerre et surtout à l’entre-deux-guerres, la Roumanie a eu ses
propres produits-vedette, produits dans des fabriques et des ateliers locaux,
les chaussures Guban en ayant été parmi les plus connus. Le prestige de la
marque a même résisté durant le régime communiste, ce qui a été quelque chose d’exceptionnel
avant 1989.
Steliu Lambru, 16.10.2021, 10:08
Avant
la Grande Guerre et surtout à l’entre-deux-guerres, la Roumanie a eu ses
propres produits-vedette, produits dans des fabriques et des ateliers locaux,
les chaussures Guban en ayant été parmi les plus connus. Le prestige de la
marque a même résisté durant le régime communiste, ce qui a été quelque chose d’exceptionnel
avant 1989.
Marius Cornea,
muséographe au Musée du Banat de Timişoara, raconte l’histoire des chaussures
et de la crème de cirage de la marque roumaine Guban : « Guban est une marque née du nom de Blaziu Guban, né en
1904, dans un village du comté de Bihor, dans l’Empire austro-hongrois. Il
était un enfant pauvre, adopté par une famille de la ville d’Oradea ; il
avait arrêté d’aller à l’école avant le collège, il avait travaillé dans une
porcherie et ensuite dans une fabrique de chaussures, à Oradea. C’est dans
cette fabrique qu’il se passionne pour le mélange des substances et des
matériaux. Blaziu Guban a inventé la crème de cirage Guban en 1935, lorsqu’il
habitait déjà à Timişoara. En 1932, le directeur d’une fabrique de chaussures
de cette ville avait invité le jeune Blaziu Guban à se joindre à son équipe.
1935 est donc l’année décisive pour la naissance de la marque Guban, mais ce
fut à peine en 1937 que lui et deux autres associés allaient enregistrer, au
Registre du commerce, la marque Guban sous le nom des Usines chimiques Guban
Timișoara. La crème de cirage garantissait l’entretien quotidien et une longue
vie des chaussures en cuir. Il faut savoir que, pour faire connaître son
produit, Blaziu Guban demande à une fabrique de Timișoara de lui livrer des
boîtes en métal, avec son nom gravé dessus, des boîtes de crèmes de cirage
qu’il offre aux autres salariés, aux amis ou à des connaissances, qui en ont
fait la publicité. »
Les générations de l’après-guerre
ont aussi beaucoup apprécié les souliers fabriqués par la marque de Timişoara,
aussi bien confortables qu’élégants, une association plutôt rare durant la
dictature.
Marius
Cornea ajoute des détail : « Certes, la Roumanie connaît la marque Guban principalement
pour la production de grosse série. Mais l’histoire de la fabrication ne
commence qu’en 1959. Au moment de la nationalisation des fabriques et des
autres entreprises en Roumanie, en 1948, Blaziu a été le seul patron de
l’ancien régime à avoir réussi, grâce à une relation directe avec Gheorghe
Gheorghiu-Dej, le leader communiste de l’époque, à garder sa fabrique jusqu’en
1952, quand il est obligé à céder à l’Etat l’entreprise et la marque. Il
obtient en échange la promesse de rester à vie à la tête de la fabrique, ce qui
est une immense exception dans l’histoire des fabriques roumaines de ces
temps-là. Il en sera donc le directeur jusqu’à son décès en 1978. »
C’est en 1959 que la fabrique de Timişoara produit les premiers
souliers, qui alliaient design élégant et confort et qui lance aussi le cuir
synthétique, imitation de peau de crocodile et de serpent, inventé par le fils
de Blaziu, Tiberiu. Ces souliers s’attirent rapidement l’appréciation non
seulement des Roumains lambda, mais aussi des vedettes internationales, raconte
le muséographe Marius Cornea : « Il y a eu une politique de marketing. Même
Nicolae et Elena Ceaușescu ont souvent préféré la fabrique Guban de Timișoara.
D’ailleurs, Elena Ceaușescu était bien connue pour sa passion pour les souliers
Guban couleur cognac ou vert, crème ou rose. La forme de montage pour les
souliers d’Elena Ceaușescu faisait partie d’une exposition permanente au Bastion
Maria Terezia de Timișoara, une exposition de présentation de toutes les
marques locales et ouverte aux délégations officielles dans les années 1970-80.
On pouvait y voir aussi les formes de montage pour les chaussures commandées
par des actrices célèbres, comme Sophia Loren et Gina Lollobrigida ou encore
celles des souliers de Gheorghe Gheorghiu-Dej et du poète Tudor Arghezi. »
Après 1989, la fabrique Guban de Timişoara, tout comme une grande
partie de l’industrie roumaine, a dû se réinventer, sans pour autant oublier
l’originalité de Blaziu Guban. (Trad. lleana Taroi)