La bibliothèque publique de Constanţa
Christine Leșcu, 08.04.2022, 12:19
C’est en 1878 que la partie nord de la
Dobroudja intégra le royaume de Roumanie et que débuta le processus de son
occidentalisation. L’apparition d’institutions politiques modernes dans la
province fut accompagnée par la naissance d’institutions culturelles, telles que
la bibliothèque publique. Sa création est liée à la personnalité d’un des
hommes de culture et publicistes les plus influents de la ville de C: Petru
Vulcan (1866 – 1922). Son nom a bien évidemment été évoqué lors du 90e
anniversaire de la Bibliothèque départementale « Ioan N. Roman » de
Constanța, en 2021.
La bibliothécaire Corina Apostoleanu fait un résumé de la
biographie de Petru Vulcan : Petru Vulcan est arrivé en Dobroudja au bout
d’un périple très intéressant, quasi aventureux. Petru Vulcan a des origines
aroumaines, de l’extérieur du territoire actuel de la Roumanie, mais il finit
par être très attaché à la ville de Constanța et à la province de Dobroudja. Il
devient fonctionnaire public dans une ville-port dont l’évolution commençait à peine
et qui ne ressemblait pas à celle que nous connaissons aujourd’hui. Là, il
imagine un projet très ambitieux, celui de fonder une revue littéraire et
culturelle en langue roumaine, la première jamais publiée sur le territoire de
la Dobroudja. Une revue dont le nom sera « Ovidiu », pour célébrer la
latinité qu’il entend promouvoir et un personnage extrêmement important pour le
monde culturel de la province. L’ancienne administration ottomane des lieux
n’avait jamais mis en valeur la personnalité du poète romain Publius Ovidius
Naso/Ovidiu/Ovide. Petru Vulcan se propose aussi de créer un cercle littéraire,
un deuxième projet très audacieux dans une ville où la population d’origine
roumaine était peu nombreuse, où le système d’éducation manquait à l’appel et
où les intellectuels se comptaient sur les dix doigts de la main. Vu le
contexte, Petru Vulcan considère qu’il faut mettre en œuvre aussi un troisième
projet, celui d’une bibliothèque universelle.
La
bibliothèque de Petru Vulcan n’allait pas résister trop longtemps, à une époque
où les livres étaient des objets de luxe et la vie culturelle moderne faisait
ses premiers pas, raconte Corina Apostoleanu : L’inauguration de la
bibliothèque a été fastueuse, au cours d’un grand événement public sur la Place
de l’Indépendance, l’actuelle Place Ovidiu de Constanţa. Malheureusement, le
projet est plutôt fragile et la bibliothèque s’effondre. Les membres du groupe
sont souvent en désaccord, mais la revue réussit à survivre jusqu’en 1910, avec
ou sans Petru Vulcan. Mais entre la fin du XIXe siècle et les années 1930,
lorsque la bibliothèque moderne fait effectivement son apparition, l’on assiste
à plusieurs tentatives d’activité culturelle sous la forme de cercles de
lecture de diverses catégories professionnelles : fonctionnaires, ouvriers
portuaires, juristes, enseignants et autres. Il y avait aussi des bibliothèques
scolaires, rattachées aux établissements d’enseignement plus importants. Tout
cela s’inscrit sur le chemin déjà imaginé par Petru Vulcan et qui mène à la
création de la bibliothèque publique de la ville. Si l’on regarde de plus près,
l’on constate que les enseignants avaient mis de la pression sur les pouvoirs
locaux, clamant le besoin d’avoir une bibliothèque dans leur ville.
Les pouvoirs
locaux ne signeront l’acte fondateur de la bibliothèque départementale de
Constanța qu’en juillet 1931, ajoute Corina Apostoleanu : Pourquoi notre bibliothèque porte le nom de « Ioan
N. Roman »? Parce qu’il était un des intellectuels les plus réputés de la
ville à l’époque. Ioan N. Roman était avocat et poète, qui publiait ses poèmes
sous le nom de plume Rozmarin/Romarin, car il était impossible qu’un avocat
sérieux publie sous son vrai nom. Il est mentionné dans de nombreuses
publications de Dobroudja, mais il meurt en 1931. La bibliothèque publique sera
installée dans une des maisons d’Ioan N. Roman, louée par la mairie. Le premier
bibliothécaire, sans salaire, a été Carol Blum, autre intellectuel remarquable
de Constanţa, enseignant et latiniste passionné de l’œuvre d’Ovide. Dans les
années 1950, Carol Blum partira en Israël, où son activité de recherche est
reconnue, l’Académie israélienne l’accueillant parmi ses membres. La bibliothèque
commence à avoir une identité bien définie et à former ses collections, grâce à
des dons et d’achats importants d’ouvrages. Elle se dote d’un règlement et met
au point des horaires d’ouverture et de lecture, devenant une institution
moderne.
L’installation
du régime communiste en 1947 ouvre une nouvelle étape d’existence de la
bibliothèque départementale de Constanța, une étape marquée par la censure et
par l’interdiction d’accès du public à une partie importante des collections de
livres. Après 1990, la bibliothèque perd son siège, le bâtiment ayant été
rétrocédé à l’archevêché de Constanţa, mais elle emménage dans un nouveau
bâtiment, spécialement dessiné et construit pour elle, une première en Roumanie.
(Trad. Ileana Ţăroi)