La Bibliothèque du monastère de Sinaia
Dans l’espace médiéval roumain, l’érudition et tout ce qui était liée à l’enseignement ainsi qu’à l’écriture et à l’impression de livres étaient concentrés à l’intérieur et autour des monastères. Ce fut le cas du monastère Sinaia, sis dans la station montagnarde homonyme de la Vallée de la Prahova. Avec son architecture impressionnante, ce lieu de culte orthodoxe s’est aussi fait remarquer par son association avec une importante famille princière et érudite des Cantacuzène.
Christine Leșcu, 14.07.2024, 09:18
Dans l’espace médiéval roumain, l’érudition et tout ce qui était liée à l’enseignement ainsi qu’à l’écriture et à l’impression de livres étaient concentrés à l’intérieur et autour des monastères. Ce fut le cas du monastère Sinaia, sis dans la station montagnarde homonyme de la Vallée de la Prahova. Avec son architecture impressionnante, ce lieu de culte orthodoxe s’est aussi fait remarquer par son association avec une importante famille princière et érudite des Cantacuzène. D’ailleurs, le fondateur du monastère, érigé entre 1690 et 1695, est le spătar (boyard commandant militaire) Mihail Cantacuzino, le même qui a fait construire le premier hôpital civil de Bucarest, l’Hôpital Colţea.
Un lien entre le monastère de Sinaia et les bibliothèques modernes de Valachie
Ce que l’on sait moins c’est le lien qui a existé entre ce monastère et les bibliothèques modernes de Valachie, un lien dont parle Simona Lazăr, chercheuse et bibliothécaire au Centre culturel « Carmen Sylva » de Sinaia.
Simona Lazăr : « L’année 1695, année de la consécration du monastère, a aussi été celle de la fondation de la première bibliothèque de Sinaia. Le stolnic (boyard chargé de gérer les cuisines et les repas du prince) Constantin Cantacuzino, grand érudit de son temps et frère de Mihail Cantacuzino, a fait don au monastère du livre qui porte aujourd’hui encore le numéro d’inventaire 1. C’est l’Evangile en grec et en roumain » imprimé à Bucarest en 1693. Le monastère détient à présent quatre exemplaires de cet ouvrage, qui a une particularité, à mon avis. Il réunit les quatre frères Cantacuzino. Comment ? Eh bien, le don a été fait par le stolnic Cantacuzino au monastère érigé par son frère, le spătar Mihail Cantacuzino, il a été imprimé en 1693 dans l’imprimerie créé presqu’une décennie auparavant par son frère, Șerban Cantacuzino, prince régnant de Valachie, et il a été ultérieurement traduit par un autre frère, Iordache Cantacuzino. Le monastère détient des livres écrits en langue roumaine avec l’alphabet cyrillique. Il détient aussi des livres en grec et même en allemand. L’ouvrage le plus ancien est une édition du Nouveau Testament, publiée à Leipzig en 1564. Il y a ensuite un Antologhion (le Recueil de textes religieux) de Câmpina datant de 1643 et un recueil de textes de loi de 1652, imprimé à Târgoviște. Vient ensuite la Bible de Bucarest en 1688, également connue sous le nom de Bible de Șerban Cantacuzino, puisque c’est lui qui en a disposé et surveillé l’impression. La bibliothèque du monastère s’est agrandie à travers le temps. La plupart des ouvrages étaient des livres de culte, pour le service religieux. »
L’amour du livre est une autre caractéristique de la famille Cantacuzino
D’ailleurs, l’amour du livre est une autre caractéristique de la famille Cantacuzino, qui a produit de nombreux princes régnants de Valachie et qui a marqué l’histoire politique et culturelle jusqu’à l’époque contemporaine, rappelle Simona Lazăr.
« Mais pour comprendre comment il est possible que quatre frères aiment à ce point les livres, il faudrait connaître plusieurs choses sur leur enfance. Leur père, le postelnic (boyard chargé de gérer les audiences princières) Cantacuzino, avait créé, dans la maison familiale, une petite bibliothèque pour son propre plaisir et pour l’éducation de ses enfants. Ils ont compris l’importance des livres et c’est là que leur formation a commencé. Et je dirais aussi que c’est là qu’avait été plantée la graine de cette bibliothèque de Sinaia. Il faudrait aussi ajouter qu’au moins deux des frères, Constantin et Mihail, ont fait des études dans la ville italienne de Padoue. C’est là que Constantin Cantacuzino a commencé à se passionner des livres, ce qui l’a poussé à créer, par la suite, sa propre bibliothèque au monastère de Mărgineni. En plus, nous, les bibliothécaires, devons à Constantin Cantacuzino le fait qu’il a ramené de Padoue une science de la description bibliographique des livres, telle qu’elle était au XVIIème siècle. Bien-sûr qu’un tas de choses ont changé avec le temps, mais la façon dont aujourd’hui l’on dresse un catalogue des livres déposés dans un espace commun appelé bibliothèque, qu’elle soit privée, publique ou d’un monastère, eh bien, cela a commencé en Valachie grâce à Constantin Cantacuzino. »
Un fonds de livre ancien qui s’élargit
Le monastère fondé à Sinaia par le spătar Mihail s’élargit, entre 1842 et 1846, avec une église plus grande et deux ailes de cellules monacales. Son visage actuel date des années 1897 – 1903, lorsque Nifon Popescu en a été le supérieur et l’Éphorie des Hôpitaux civils entreprend de gros travaux de rénovation, sous le règne du roi Carol I. C’est d’ailleurs la période la plus faste de la bibliothèque du lieu de culte, qui enrichit son patrimoine dans une conjoncture que Simona Lazăr décrit pour RRI.
« Le monastère a enrichi son fonds de livre ancien à l’époque de Carol I, quand le lieu de culte faisait partie des 19 ermitages et monastères gérés par l’Ephorie des Hôpitaux civils ; c’est ici que débutait l’effort de mettre au point le premier musée monacal, dont l’inauguration remonte à l’année 1895, lorsque le monastère comptait deux siècles d’existence. C’est donc vers 1890 que le supérieur du monastère est chargé de parcourir les paroisses de la région et de collecter objets de culte, vêtements ou encore livres anciens pour constituer le musée. »
Malheureusement, sur les ordres des autorités communistes du pays, l’année 1948 ouvre une période soi-disant de « dé-fascisation » de la bibliothèque du monastère, de nombreux livres ont disparu de Sinaia sans laisser des traces jusqu’à nos jours. (Trad. Ileana Ţăroi)