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Il était une fois Bucarest – La « braga » et les « bragagii »

« Ieftin ca braga/Aussi peu cher que la braga » est une phrase toujours utilisée en roumain, dans un langage familier, pour désigner des produits ou des services très accessibles en terme de prix à tout un chacun. L’origine de cette phrase est liée à une boisson rafraîchissante orientale, appelée « boza » dans les langues slaves et turque, que les Roumains avaient plébiscitée pendant des siècles pour son goût aigre-doux, avec une petite touche alcoolisée. La braga était préférée par les catégories de population moins aisées et notamment par les habitants de Bucarest, qui la sirotaient bien fraîche, même glacée, afin de faire face à la canicule estivale. Souvent, ils l’accompagnaient des célèbres « covrigi » – espèce de bretzels – que l’on peut toujours acheter dans les rues de la capitale. Pourtant, si la production et la consommation des covrigi n’ont pas connu de syncopes, la braga, elle, est devenue une rareté, surtout durant la dernière partie de la période communiste.

Il était une fois Bucarest – La « braga » et les « bragagii »
Il était une fois Bucarest – La « braga » et les « bragagii »

, 18.12.2022, 07:17

« Ieftin ca braga/Aussi peu cher que la braga » est une phrase toujours utilisée en roumain, dans un langage familier, pour désigner des produits ou des services très accessibles en terme de prix à tout un chacun. L’origine de cette phrase est liée à une boisson rafraîchissante orientale, appelée « boza » dans les langues slaves et turque, que les Roumains avaient plébiscitée pendant des siècles pour son goût aigre-doux, avec une petite touche alcoolisée. La braga était préférée par les catégories de population moins aisées et notamment par les habitants de Bucarest, qui la sirotaient bien fraîche, même glacée, afin de faire face à la canicule estivale. Souvent, ils l’accompagnaient des célèbres « covrigi » – espèce de bretzels – que l’on peut toujours acheter dans les rues de la capitale. Pourtant, si la production et la consommation des covrigi n’ont pas connu de syncopes, la braga, elle, est devenue une rareté, surtout durant la dernière partie de la période communiste.

Ce n’est que récemment, depuis juste quelques années, que la fabrication de cette boisson a repris, et les peu de « bragagii » – fabricants de braga – encore en vie ont ressorti les vieilles recettes pour les partager avec les nouveaux venus dans le métier.

Dragoș Bogdan, qui est un d’entre eux, connait parfaitement l’histoire de la consommation de braga dans les Principautés roumaines : Il y avait jadis cette phrase – « aussi peu cher que la braga », qui se référait au prix très bas du produit, que tout un chacun pouvait acheter, mais aussi à la popularité de la boisson, très présente sur les foires, par exemple. Dans les campagnes, les bragagii arpentaient les villages en portant de gros seaux remplis de leur rafraichissement, sans se faire payer à chaque fois. Ils marquaient sur le chambranle de la porte d’entrée les verres de braga ingurgités par les enfants, qui jouaient dans la rue, et puis ils revenaient une semaine ou une dizaine de jours plus tard pour encaisser le sous dû par le père des enfants. La braga était tellement bon marché et consommée en une quantité telle, que le bragagiu était un habitué de la maison. Les temps modernes ont mis la braga en compétition avec les boissons rafraîchissantes qui apparaissent vers la fin du XIXème et le début du XXème siècle. Celles-ci étaient préparées dans de petites fabriques, à partir des recettes de boissons rafraîchissantes que nous connaissons si bien. Mis dans des bouteilles individuelles de capacité différente, ces rafraîchissements, que la main humaine n’avait pas touchés, ont poussé les fabricants à se faire de la pub, s’appuyant sur l’argument du respect des exigences de sécurité alimentaire. Cela explique peut-être pourquoi la braga a commencé à perdre du terrain devant les nouveaux-venus et à passer dans l’ombre. Cela est d’autant plus visible à Bucarest, y compris à cause de sa nouvelle qualité de capitale de la Grande Roumanie, que l’élite de l’époque veut transformer en une capitale d’un niveau européen. Une décision qui a non seulement enrichi la ville de bâtiments imposants et majestueux, mais qui a aussi voulu « nettoyer » les rues d’une partie des commerces ambulants. Les bragagii allaient donc migrer en quelque sorte vers la périphérie, devenant des habitués des faubourgs, qu’ils n’ont plus quittés. A la fin de la deuxième guerre mondiale et après l’installation du régime communiste en Roumanie, lorsque tout ce qui était commerce et production devient propriété de l’Etat, certains bragagii n’ont pas voulu se joindre aux coopératives ni aux fabriques de l’industrie alimentaire d’Etat, continuant à fabriquer leur braga de façon plus ou moins licite.

Vers la fin des années 1980, la braga avait pratiquement disparu de Bucarest, où seulement les anciens bragagii la préparaient encore pour la famille et les ami. L’on avait cependant plus de chances de la savourer à Galați, Brăila, Turnu Severin et Giurgiu, des villes de régions danubiennes multiethniques, qui avaient entretenu des échanges culturels plus intenses avec les anciennes provinces de l’Empire ottoman.

Mais comment prépare-t-on la braga ? Dragoș Bogdan répond à la question : En fait, tous les bragagii préparent à peu près la même chose, c’est-à-dire une boisson fermentée à base de céréales cuites à l’eau et mélangées ensuite avec du sucre ou du miel. Le mélange est filtré juste ce qu’il faut et puis il est laissé fermenter pendant quelques jours. La boisson doit être aigre-douce et un peu pétillante aussi. Mais chaque bragagiu a sa propre recette. Pourquoi ? Parce que c’est selon le goût de chacun. Si je constate que le produit final est meilleur en ajoutant ou en retirant un ingrédient ou en modifiant la quantité, je vais le préparer ainsi. Donc, les recettes de braga ne sont pas très strictes, mais le goût est à peu près le même, quel que soit le bragagiu. De toute façon, ils ne sont plus nombreux à travers le pays (…), mais ce qui est important c’est ce qui rapproche et ce qui différencie les variantes de la variante de base. Cela ne fait qu’enrichir l’héritage.

Dragoș Bogdan veut partager sa passion pour la bragă et a ouvert sa propre « bragagerie/bar à braga » dans une zone historique de Bucarest, où il veut aussi renouer avec la gastronomie orientale prisée autrefois par les habitants de la capitale : Cette relation s’est construite dans le temps, parce que la braga a besoin de temps pour s’adapter et se faire connaitre, et plus on la connait plus on a des interrogations et des questions à poser. En 2013-2014, j’ai fait une recherche à travers les pays des Balkans qui avaient fait partie de l’Empire ottoman. J’ai cherché des recettes de Braga, des façons de la consommer, et j’ai constaté que là où elle existait, même si je ne connaissais pas la langue des lieux, les gens me traitaient comme si j’étais un frère ou quelqu’un de proche, avec lequel ils ont beaucoup de choses à partager. Je me suis donc rendu compte que la braga est un véhicule capable de nous transporter partout dans les Balkans et de nous rapprocher les uns des autres. Plus tard, en 2016, j’ai décidé d’ouvrir ma propre bragagerie, qui existe toujours, et d’y vendre ma propre production de bragă.

Pour l’instant, c’est aussi l’un des peu nombreux endroits de Bucarest où l’on peut boire de la bragă artisanale, en espérant de pouvoir bientôt utiliser la phrase « ieftin ca braga/aussi peu cher que la braga » au sens très concret. (Trad. Ileana Ţăroi)

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