Ferentari
Considéré aujourd’hui comme un quartier
économiquement et socialement difficile, une sorte de ghetto au sud-ouest de
Bucarest, le faubourg de Ferentari n’a pas toujours été une zone frappée de
problèmes. Son histoire fait l’objet d’un ouvrage paru récemment -
« Ferentari incomplet », coordonné par Andrei Răzvan Voinea, Dana
Dolghin et Gergely Pulay.
Christine Leșcu, 16.07.2023, 07:41
Considéré aujourd’hui comme un quartier
économiquement et socialement difficile, une sorte de ghetto au sud-ouest de
Bucarest, le faubourg de Ferentari n’a pas toujours été une zone frappée de
problèmes. Son histoire fait l’objet d’un ouvrage paru récemment -
« Ferentari incomplet », coordonné par Andrei Răzvan Voinea, Dana
Dolghin et Gergely Pulay.
Le quartier commence à se développer à
l’entre-deux-guerres, lorsqu’il n’est qu’une simple zone interstitielle de la
périphérie de Bucarest. L’historien Andrei Răzvan Voinea raconte : Dès le début, le quartier de Ferentari a dû faire avec un handicap de
développement, puisque l’avenue du même nom – Calea Ferentari – par exemple, ne
menait nulle part, en ce sens qu’elle s’arrêtait pratiquement dans un champ.
Ici, à Ferentari, il y a toujours eu un vignoble appartenant à la métropolie orthodoxe
et à plusieurs autres monastères. Petit à petit, ces vignobles ont été vendus,
des lotissements et des constructions ont fait leur apparition, ce qui l’a
transformé en une zone résidentielle plus ou moins officielle. Les loyers très
bas ont attiré de nombreux ouvriers, notamment ceux qui travaillaient dans les
entreprises industrielles sises sur la colline de Filaret, la première zone
véritablement industrielle de Bucarest. Ce fut le point de départ d’un
développement très, très lent. Avant 1940, le quartier était connu comme le
Champ de la Joie, car il était parsemé de nombreuses caves à vin, issues des
anciens vignobles, qui se sont transformées lentement mais surement en autant
de tavernes. À un moment donné, elles en étaient une centaine et la rue la plus
importante de l’époque s’appelait la Rue de la Joie. Il n’y avait même pas de
quartier. C’était tout simplement le Champ de la Joie, sous-développé avant
1940, ignoré par les autorités centrales, sans égouts, sans eau potable ni
électricité, et avec très peu d’interventions.
Également à
l’entre-deux-guerres, le quartier de Ferentari accueillait, en plus des
ouvriers de condition modeste, quelques entrepreneurs et leurs affaires.
Certains des plus aisés se sont fait construire des maisons d’une meilleure
qualité, même des villas dans les styles architecturaux les plus prisés à
l’époque, mais ces immeubles sont peu nombreux. L’historien Andrei Răzvan
Voinea en a documenté une partie:
Il y avait quelques petites affaires,
dont celles d’un entrepreneur juif, Littman, qui demande, en 1935, à
l’architecte Paul Rossini de lui dessiner cette magnifique maison dans un style
international très moderniste, en phase avec la mode européenne du moment. De
tels exemples ne sont pas nombreux. Il y aussi un autre immeuble, appelé Vila
Coca, au 43 rue Veseliei (de la Joie) ; là aussi, l’architecture est très
gracieuse, très équilibrée. Malheureusement, l’homme d’affaires Littman fut un
des Juifs tombés victimes de la rébellion légionnaire de la Garde de Fer de 1941,
qui avait aussi secoué le quartier de Ferentari.
La vraie
systématisation de cette zone a pourtant débuté après l’installation du régime
communiste, dans le but d’offrir aux travailleurs des conditions de vie
décentes, un objectif réalisé dans un premier temps. Des immeubles à étages, en
briques, appelés encore aujourd’hui « blocurie roșii/les immeubles
rouges », se sont dressés sur une sorte de terrain vague. De tels projets
ont été imaginés dès 1946, explique Andrei Răzvan Voinea: Ce terrain
vague a été racheté par un Institut des fonctionnaires publics pour y
construire des logements destinés aux fonctionnaires publics. En 1948, le
terrain passe à la mairie et change constamment de commanditaire. Mais un
projet très fonctionnaliste est mis en œuvre, ce qui se traduit par le lancement
de la construction de 20 immeubles à étages. L’architecte en est Gheorghe Popov
et les communistes inventent pratiquement l’habitation en commun. C’est un
espace imaginé entièrement en rupture avec le modèle de lotissements – maisons
et jardins individuels – à l’horizontale. Là, nous parlons d’un développement à
la verticale. Tous les immeubles ont quatre étages, sont séparés par des
parterres de végétation et dotés de nombreux services sociaux. Nous parlons de 20
tels immeubles, chacun habité par une trentaine de familles, donc environ 600
familles au total. Les immeubles avaient leur propre système de chauffage, une
école maternelle et une salle de cinéma se trouvaient à proximité. Lorsque les
immeubles ont été finis, l’on y a aussi ajouté une piscine publique, qui a
fonctionné jusqu’après 1990. Au début de l’avenue Ferentari, des commerces en
tout genre, l’échoppe d’un coiffeur-barbier se partageaient les clients.
C’était pratiquement une petite ville qui s’autogérait en quelque sorte.
La situation
a commencé à se dégrader vers le milieu des années 1960 et ça continue
aujourd’hui encore. L’historien Andrei Răzvan Voinea propose une explication: Que s’est-il passé après 1966? Après avoir érigé les immeubles rouges,
les communistes ne font plus grand-chose. Ils construisent encore une école
quelque part, dans Prelungirea Ferentari, un canal collecteur et l’éclairage
public attaché à ce morceau de canalisation. Mais ce ne sont pas des
interventions majeures, justes normales. En 1966, le plan de systématisation de
l’ensemble de cette zone voit le jour à l’Institut Proiect de Bucarest. C’est
un plan très sérieux, qui prévoit la construction d’immeubles à étages. Pour
cela, il fallait abattre le fonds d’habitations pavillonnaires, pour tout
remplace par de tels logements. Les communistes ont prêté beaucoup d’attention
à un début de renouveau urbanistique sur les terrains vagues. Malgré un
projet de démolition tous azimuts et de construction d’immeubles à étages tout
le long de l’avenue de la Victoire, le projet initial envisageait de construire
des immeubles le long de l’avenue Ferentari, mais cela se fait par îlots sans
lien direct avec l’avenue. Un autre projet était axé sur la construction de
studios et d’appartements d’un confort moindre, sinon carrément basique. En
fait, la caractéristique de faubourg de la périphérie était maintenue, les habitations
étant destinées à des gens venus à Bucarest pour trouver un emploi, qui louent
un studio à court terme, fondent une famille et déménagent ailleurs. On
constate encore une fois que Ferentari restait une zone interstitielle, de
transit, mais ce projet est finalement abandonné. L’on a construit au total
plus de 150 immeubles de studios et d’apparts deux pièces, habités par un tas
d’ouvriers des Usines Vulcan. Après 1973, la législation nationale change
elle-aussi. C’était de la folie.
Un plan complexe
de développement de cette zone est imaginé suite au terrible tremblement de
terre de 1977, mais rien n’est malheureusement mis en œuvre jusqu’à la chute du
régime en 1989. Vient ensuite la dégringolade de la transition des années 1990
et les pouvoirs publics se sont désintéressés du quartier où les problèmes
sociaux se sont graduellement amplifiés. (Trad. Ileana Ţăroi)