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Eli Lotar

Moins connu en Roumanie que son père, le remarquable poète Tudor Arghezi, le photographe et cinéaste français d’origine roumaine Eli Lotar commence à se faire connaître du grand public de son pays natal. Eli Lotar a hérité de son père l’originalité et la créativité ; la relation, parfois tendue, avec son géniteur allait l’influencer, alimentant son esprit d’aventure. Eliazar Lotar Theodorescu est né en 1905, à Paris, où sa mère, enseignante, Constanţa Zissu, s’était retirée pour éviter les commérages sur la légitimité et la paternité de son enfant. Le père de celui-ci, le futur poète Tudor Arghezi, à l’époque âgé de 25 ans, était moine.

Eli Lotar
Eli Lotar

, 27.10.2019, 13:54

Renonçant à la vie monacale, Arghezi se rend lui aussi à Paris, où il épouse la mère d’Eliazar, mais le mariage n’est pas fait pour durer. Arghezi reconnaît son fils et, après la Seconde guerre mondiale, on les retrouve ensemble à Bucarest où Eliazar commence à manifester son caractère rebelle. Andreea Drăghicescu, commissaire du Musée national de la littérature, continue l’histoire de sa vie : « Il a tenté à plusieurs reprises de quitter le pays. Avant de s’établir définitivement à Paris, il fait plusieurs fugues, se rendant chez sa mère, Constanța Zissu. Son père, qui, en 1916, avait épousé Paraschiva en secondes noces, le ramène à chaque fois au sein de la famille. Eli Lotar passe son adolescence à Bucarest, dans la famille de son père. Il fait des études au lycée Sfântul Sava (Saint Sava). Lors d’une de ses fugues, Eliazar arriva jusqu’à Chișinău. A chaque nouvelle fugue, son père passait des annonces dans les journaux de l’époque pour le retrouver. Une de ces annonces, parue dans le quotidien « Adevărul » (La Vérité), était formulée de la façon suivante : « Eliazar, passe un coup de fil pour que l’on sache où tu es et retourne tout de suite à la maison. » Signé : Papa. En 1924, le fils rebelle retourne à Paris. »

Les tentatives de reconstituer la relation entre le père et le fils mettent en évidence certaines ressemblances de caractère entre les deux : à 11 ans, Arghezi avait lui-même fait une fugue. Il est possible que certaines tensions aient marqué la relation d’Eli Lotar avec son père, ou bien que le jeune Eli ne se soit pas adapté à la nouvelle famille de Tudor Arghezi, où deux autres enfants étaient nés entre temps. Andreea Drăghicescu. «Une lettre envoyée par Arghezi à son fils en 1940 nous fait néanmoins penser qu’Eliazar avait été assez proche de la famille paternelle, y compris de ses demi-frères, Baruțu et Mitzura – je cite : « As-tu jamais compté combien d’heures il y a dans 15 ans ? Eh bien, pendant tout ce temps-là, j’ai pensé à toi. Ton frère et ta sœur ont grandi en jouant autour de la table avec ton fantôme, avec ton absence : quand vient-il ? viendra-t-il à Pâques ou à la Trinité? – auraient demandé les deux enfants. En vrai Parisien, tu connaissais l’expression et tu n’es plus revenu. Chaque année j’ai voulu faire monter tout le monde en voiture et aller à Paris. Mon fils, ma fille et ma femme ont vécu avec cette illusion que je n’ai pas pu réaliser. Mon rêve a été, depuis toujours, de trouver refuge en France et, si tu avais été un peu plus patient, nous aurions pu le faire ensemble. Peut-être n’est-il pas encore trop tard. Une autre théorie voit Eli Lotar comme un représentant de la Bohème et, en même temps, de la fuite perpétuelle. On l’associe à la génération des années ’30. De nombreux représentants de cette génération se sont dirigés vers Paris, justement parce qu’ils cherchaient leur place dans le monde ; ils étaient en quête d’un espace occidental, moderne, ils rêvaient d’une autre culture roumaine, moins folklorique et moins tributaire aux idéaux archaïques de l’orthodoxie. Les spécialistes oscillent entre ces deux explications. Eli Lotar était un bohème et, dès ses premières années à Paris, il a essayé de gagner sa vie en faisant beaucoup de choses, des métiers étrangers à la vocation qui allait le consacrer à Paris, où il est devenu un des plus importants photographes et cinéastes de l’époque. »

En 1926, Eli Lotar a rencontré Germaine Krull. Ensemble, ils ont développé un nouveau style photographique, d’avant-garde. Peu à peu, il entre dans le milieu du cinéma, tout d’abord comme photographe de plateau, ensuite comme assistant réalisateur. Dans les années ’30, il épouse Elisabeth Makosvka, peintre et photographe d’origine polonaise. Et c’est toujours à la même époque qu’ayant adhéré aux doctrines de gauche, il se rend en Espagne, où il est le directeur d’image du seul documentaire réalisé par Luis Buñuel, « Terre sans pain ». Son intérêt pour la problématique sociale ne l’a jamais quitté ; un peu plus tard, en 1945, il réalise « Aubervilliers », un documentaire poétique sur les conditions de vie dans les habitations misérables de cette ville de la banlieue parisienne. Andreea Drăghicescu. « La carrière d’Eli Lotar est très diverse. Il travaille avec Jacques Prévert et avec Luis Buñuel et il a connu Giacometti. Il participe à nombre de projets cinématographiques, pas nécessairement comme réalisateur, mais parfois comme directeur d’image ou comme opérateur. Il écrit des articles, qu’il publie dans les revues de l’époque et même des reportages sur les réalités de son temps. »

En Roumanie, Eli Lotar n’est revenu qu’en 1956, après 32 années d’absence. Il est mort en 1969 à Paris. Le public roumain commence à le découvrir, grâce à une exposition réalisé ce printemps, par la collaboration du Centre Georges Pompidou et du Musée du Jeu de Paume de Paris et du Musée national de la littérature roumaine de Bucarest. (Trad. : Dominique)

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