Dame Elena Cantacuzino
Mentionnées juste de passage dans les documents d’époque, rarement citées dans les livres d’histoire, retenues à peine par la mémoire collective, les épouses, les mères et les filles des princes régnants et des boyards roumains des temps passés occupent, depuis peu, le devant de la scène. Les historiens ont découvert des contributions importantes de certaines de ces femmes à la vie politique, culturelle et spirituelle de leur époque.
Steliu Lambru, 19.12.2021, 13:39
Mentionnées juste de passage dans les documents d’époque, rarement citées dans les livres d’histoire, retenues à peine par la mémoire collective, les épouses, les mères et les filles des princes régnants et des boyards roumains des temps passés occupent, depuis peu, le devant de la scène. Les historiens ont découvert des contributions importantes de certaines de ces femmes à la vie politique, culturelle et spirituelle de leur époque.
Dame Elena Cantacuzino (Cantacuzène), qui a vécu au XVIIe siècle, en est un tel exemple. Fille du prince régnant de Valachie Radu Șerban, elle a été la mère du prince régnant Șerban Cantacuzino, de l’écuyer érudit Constantin Cantacuzino et du porte-épée Mihail Cantacuzino (fondateur de l’hôpital Colțea, premier établissement hospitalier laïque de Bucarest) et la grand-mère du prince régnant Constantin Brâncoveanu. Avec sa fille, Stanca, mère de Constantin Brâncoveanu, et avec son fils Mihail Cantacuzino, elle est allée en pèlerinage à Jérusalem, ce qui était quelque chose d’exceptionnel à son époque. Là-bas, elle s’est rendue sur le lieu de la Crucifixion du Christ, où elle a déposé un disque en or, sur lequel était gravé le nom de son fils, Vodă (Prince) Șerban Cantacuzino, l’objet faisant actuellement partie du trésor du Patriarcat de Jérusalem. La religion semble donc avoir été un élément important de la vie d’Elena Cantacuzino, aux côtés de la culture et de l’éducation. La preuve de l’accent qu’elle mettait sur la place de l’enseignement dans l’éducation générale des enfants est le fait qu’elle avait encouragé son fils et futur écuyer Constantin Cantacuzino à aller étudier à l’Université de Padoue.
Sorin Iftimi, muséographe au Complexe national muséal Moldova de la ville d’Iași, nous donne d’autres détails biographiques d’Elena Cantacuzino, née en 1611 : « Elle était la fille de Radu Șerban Vodă, ancien capitaine de l’armée du prince Mihai Viteazul (Michel le Brave), qui allait monter lui-même sur le trône valaque. En fait, elle est née à Suceava, pas à Bucarest, en 1611, la première année de règne de son père. (…) Elena a grandi en exil, à la cour impériale de Vienne. (…) Elle est rentrée en Valachie, avec toute sa famille, pendant le règne de Matei Basarab. Elle avait environ 17 ans lorsqu’elle a épousé le favori du prince, le sage maréchal de la cour Constantin Cantacuzino, avec lequel elle a eu 11 ou 12 enfants, dont les réputés frères Cantacuzino, qui ont marqué l’histoire de la Valachie au XVIIe siècle. On peut donc dire que Dame Elena Cantacuzino a contribué à l’histoire, en donnant naissance aux principaux acteurs de l’histoire de la Valachie à cette époque-là. Parmi eux, on distingue le prince Șerban Vodă Cantacuzino, fondateur du Palais de Cotroceni et patron de l’impression de la première traduction intégrale en roumain de la Bible, à Bucarest, en 1688, ainsi que l’écuyer princier Constantin Cantacuzino, qui acquis son érudition à Constantinople et à Padoue. »
Le voyage d’Elena Cantacuzino à Jérusalem, entre 1682 et 1684, a eu lieu après l’assassinat de son époux, Constantin Cantacuzino, victime d’un complot initié par d’autres boyards. Le pèlerinage semble avoir été un témoignage de la dévotion sincère de cette femme qui a réussi à faire innocenter post-mortem son époux dont les assassins ont été condamnés à la peine capitale ou au bagne, mais qui a demandé aux autorités de l’époque de commuer la peine de mort prononcée contre l’ennemi de sa famille en l’obligation d’entrer dans les ordres. Au sein de sa famille, Dame Elena Cantacuzino a préservé son statut de gérante de la fortune familiale, qui était considérable. C’est un fait établi que le prince régnant Șerban Cantacuzino avait hérité de sa mère un grand domaine privé, qui comprenait quelque 70 villages en Moldavie, ainsi que d’autres biens et demeures, qu’il avait voulu partager avec ses frères selon ses souhaits. Il lui a pourtant été impossible de passer outre la volonté de sa mère.
Le muséographe Sorin Iftimi raconte : « Il est intéressant de constater que, même si Șerban Cantacuzino était devenu prince et maître du payx, sa mère garde son statut de chef de la famille, de la Maison Cantacuzino. C’est elle qui détenait le contrôle de la fortune familiale et qui établissait les règles de partage des propriétés. (…) Șerban Cantacuzino a dû donc attendre jusqu’à la mort de sa mère, avant de pouvoir disposer de cette fortune. Le 2 mars 1687, Dame Elena Cantacuzino a rendu son âme à l’âge de 76 ans, dans sa maison de Bucarest. Le patriarche du Saint Sépulcre, Dositei Nottara, qui habitait plutôt à Constantinople et dans les Principautés roumaines, s’était trouvé à son chevet. Elle repose dans la crypte de l’église Mărgineni, aux côtés de son époux. »
Cette histoire a aussi un post-scriptum. Après la mort de sa mère, Șerban Cantacuzino a réussi à faire valoir son point de vue concernant la fortune familiale, en falsifiant le testament de Dame Elena. Des recherches historiques récentes ont prouvé ce fait, qui nous éclaire davantage sur les intrigues politiques et familiales pratiquées à l’aube de la modernité de l’espace roumain. (Trad. Ileana Ţăroi)