Antim Ivireanul
C’est grâce au métropolite orthodoxe Antim Ivireanul que les traductions religieuses se multiplient au 18e siècle, alors que les messes en langue roumaine se répandent sur l’ensemble du territoire de cette principauté roumaine.
Steliu Lambru, 02.02.2020, 13:00
C’est grâce au métropolite orthodoxe Antim Ivireanul que les traductions religieuses se multiplient au 18e siècle, alors que les messes en langue roumaine se répandent sur l’ensemble du territoire de cette principauté roumaine.
Né en 1650 sur le territoire de la Géorgie actuelle, une région qui était sous occupation turque et persane à ce moment-là, Antim se consacre à la vie monacale. Devenu d’abord esclave et emmené à Constantinople dans sa jeunesse, une fois libéré, il se dédie aux activités culturelles : il apprend la sculpture en bois, la calligraphie, la peinture, la broderie et plusieurs langues : le grec, l’arabe et le turc.
C’est une époque où en Europe, on commence à traduire, peu à peu, les livres religieux dans les langues locales. Démarrée au cours des premières décennies du 16e siècle, la réforme religieuse luthérienne se donne alors pour mission d’émanciper les fidèles face aux prêtres, qui ne sont plus considérés comme les seuls interprètes des textes sacrés. Les traductions des livres religieux dans les langues locales servent exactement à cette fin, dans un esprit qui renie les langues sacrées.
Les mêmes tendances se manifestaient dans l’espace roumain, si bien qu’au début du 17e siècle, les textes sacrés circulaient déjà dans la langue locale. L’urgence n’était pas si grande pour les Grecs et les Slaves orthodoxes, car des livres de culte écrits en grec et en slavon, existaient depuis déjà des siècles. Mais pour les orthodoxes parlant le roumain, le besoin d’avoir accès à des textes religieux traduits fut constant.
C’est dans ce contexte que s’affirme Antim Invireanul. Il se fait remarquer au bon moment, estime notre invité, le traducteur Policarp Chitulescu. A son avis, c’est Antim Ivireanul qui établit la direction que la culture religieuse allait suivre dans l’espace roumain. Policarp Chitulescu précise :
« C’est à lui que l’on doit la victoire totale. C’est Antim Ivireanul qui a définitivement ouvert la voie à la célébration des messes religieuses en langue roumaine. Pourquoi était-il si important d’avoir des messes en roumain ? Imaginons que les Grecs d’aujourd’hui observent des messes en grec ancien et que le peuple qui parle le néo-grec ne comprend pas la cérémonie. J’ai été surpris de voir à Chisinau, en République de Moldova, des messes tenues en vieux slave, alors que les Roumains de ces églises ne comprennent pas ce qui est chanté, ni ce qui est dit. Même l’Evangile n’est pas lu en roumain. C’est pourquoi nous apprécions tellement les personnes qui ont fait des efforts pour que le message de l’Evangile ne soit plus transmis dans les langues sacrées, puisque tout le monde a le droit d’entendre la parole de Dieu dans sa propre langue. »
Le moine Antim Ivireanul se fait remarquer par ses supérieurs qui le recommandent pour ses connaissances culturelles. En pleine expansion des impressions de textes religieux, les princes roumains étaient à la recherche de personnes maîtrisant les langues étrangères et l’art de l’imprimerie afin de consolider leur pouvoir politique via l’institution de l’Eglise. Ce fut le cas du prince valaque Constantin Brancovan, qui a régné entre 1688 et 1714. Grand adepte de la culture religieuse, il embauche Antim Ivireanul en 1690 pour qu’il mette sur pied sa vision culturelle. Policarp Chitulescu raconte : « Le Saint Antim était un fin connaisseur de la langue grecque et de la langue roumaine. Il avait vécu à Jérusalem, où il était devenu moine, et fut envoyé à Iasi (dans la principauté de Moldavie) par un patriarche de Jérusalem. A Iasi, il a créé une imprimerie. C’est de Iasi que Branconvan a fait venir Antim Ivireanul. Il avait un penchant pour les langues étrangères, on dit qu’il connaissait l’arabe aussi, vu qu’il avait imprimé des livres en arabe. Mais aussi et surtout, il a fait la promotion des livres sacrés en langue roumaine. »
Devenu métropolite de la Valachie, la plus haute fonction ecclésiastique, Antim Ivireanul fait paraître, en 1706, à Râmnic, la première liturgie et le premier livre de prières en langue roumaine. Il continue ainsi le travail du métropolite de Moldavie, Dosoftei, qui avait fait paraître à Iasi, en 1679, le missel orthodoxe en roumain. Toutefois, ce texte-là avait beaucoup d’influences slavonnes et n’a pas circulé dans toutes les provinces habitées par les Roumains. En revanche, les traductions d’Antim Ivireanul jouissent d’un très grand succès, car elles sont rédigées dans une langue roumaine très proche de celle parlée et ils sont donc faciles à comprendre pour les Roumains de différentes régions. Le mérite d’Antim Ivireanul n’est pas seulement d’avoir fait des traductions en roumain, qui n’était même pas sa langue maternelle, mais aussi d’avoir adapté des mots du grec et du slavon à la langue roumaine. Par conséquent, ses livres ont été utilisés non seulement en Moldavie, mais aussi de l’autre côté des Carpates, en Transylvanie, qui à l’époque faisait partie de l’empire des Habsbourg.
Antim Invireanul est mort en 1716. Il est considéré par les historiens de la littérature comme une personnalité de la littérature roumaine ancienne. Il a imprimé des livres non seulement en roumain, mais aussi en slavon, grec et arabe. Il est l’auteur du Missel gréco-arabe, un des premiers livres au monde imprimés à l’aide de lettres mobiles et en plus avec des caractères arabes. Il a créé la première bibliothèque publique de Bucarest, au 18e siècle. Et c’est toujours lui qui a fait bâtir le monastère de « Tous les Saints » de Bucarest, qui aujourd’hui porte son nom. En 1992, Antim Ivireanul a été canonisé par l’Eglise Orthodoxe Roumaine. (Trad. Valentina Beleavski)