Ancienne demeure de marchand à Bucarest
Bien que la ville de Bucarest soit vieille de plusieurs siècles, la première attestation documentaire de son existence remontant à 1459, la plupart de ses bâtiments anciens conservés jusqu’à nos jours – et dont la plupart sont devenus ses emblèmes – datent de la seconde moitié du 19e siècle. Pourtant, sur l’une des rues les plus anciennes de Bucarest, l’avenue Șerban-Vodă, est encore debout une demeure de marchand érigée, selon les spécialistes, autour de 1790. Cette « Demeure de marchand » ou « Maison Voina », comme on l’appelle aussi, d’après le nom de son dernier propriétaire, est très particulière : non seulement elle est la seule maison datant du 18e siècle préservée à Bucarest, mais dans son architecture, des influences balkaniques s’ajoutent aux éléments de style roumains traditionnels. L’importance de cette maison est rehaussée par l’importance historique de la rue sur laquelle elle est située : l’Avenue Șerban-Vodă (Avenue du voïvode Șerban).
Christine Leșcu, 18.10.2020, 13:05
Bien que la ville de Bucarest soit vieille de plusieurs siècles, la première attestation documentaire de son existence remontant à 1459, la plupart de ses bâtiments anciens conservés jusqu’à nos jours – et dont la plupart sont devenus ses emblèmes – datent de la seconde moitié du 19e siècle. Pourtant, sur l’une des rues les plus anciennes de Bucarest, l’avenue Șerban-Vodă, est encore debout une demeure de marchand érigée, selon les spécialistes, autour de 1790. Cette « Demeure de marchand » ou « Maison Voina », comme on l’appelle aussi, d’après le nom de son dernier propriétaire, est très particulière : non seulement elle est la seule maison datant du 18e siècle préservée à Bucarest, mais dans son architecture, des influences balkaniques s’ajoutent aux éléments de style roumains traditionnels. L’importance de cette maison est rehaussée par l’importance historique de la rue sur laquelle elle est située : l’Avenue Șerban-Vodă (Avenue du voïvode Șerban).
Iozefina Postăvaru, historienne de l’art à l’Institut national du patrimoine, nous invite à une incursion dans le passé: Le voïvode Radu Șerban, qui a régné entre 1602 et 1611, donna un ordre concernant l’aménagement de la ruelle qui débutait à l’Ancienne Cour (soit la Cour Princière de l’actuel centre historique de Bucarest) et qui se dirigeait vers le sud, vers la ville de Giurgiu. De là, on continuait jusqu’à Constantinople. Il a donc donné l’ordre que cette ruelle soit pavée en bois. En raison de cette mesure d’urbanisme exceptionnelle, l’avenue fut baptisée du nom du prince régnant : l’avenue Șerban Vodă (avenue du voïvode Șerban). Plus tard, pendant la période phanariote, elle allait pourtant être rebaptisée «Podul Beilicului ». C’est par là que passaient les missions diplomatiques de Constantinople (c’est-à-dire Istanbul) qui se dirigeaient vers Bucarest et plus loin encore, vers l’Europe. C’est par là que passaient surtout les cortèges qui arrivaient pour investir les princes régnants phanariotes – en fait pour les investir ou les détrôner, selon le cas. Ces processions étaient soigneusement préparées, selon un rituel fastueux. Nous pouvons nous imaginer les habitants de la cité y assister avec enthousiasme et accompagner le prince régnant jusqu’à la Cour Princière, surtout qu’à ces occasions des pièces de monnaie étaient jetées à la foule.
Cet autre nom de l’avenue, « Podul Beilicului » signifie approximativement « Le Pont des Beys ». « Bey » était le titre donné par l’Empire Ottoman, puissance suzeraine de la principauté de Valachie, au gouverneur d’une province – et c’était le cas des princes régnants de Bucarest. Pour entrer dans la capitale, ceux-ci empruntaient la route construite par Radu Șerban, le long de laquelle, différents quartiers ou banlieues firent leur apparition au fil du temps. Dans cette zone de collines couvertes jadis de forêts et de vignobles allait naître, suite aux défrichages et aux distributions de terres, une nouvelle couche sociale dont faisaient partie aussi les propriétaires de la « Demeure de marchand ». Iozefina Postăvaru: C’est une zone mixte. Sur cette avenue importante, les propriétés des boyards alternaient avec celles des petits boyards et avec les maisons des artisans et des marchands. La nouvelle couche sociale dont je parle, la bourgeoisie émergente, devenait dominante et elle était essentiellement constituée de bâtisseurs. Certains d’entre eux, les princes régnants eux-mêmes les avaient fait venir, notamment pour ériger différents édifices religieux. Ces artisans allaient créer une véritable école dans leur domaine – et cela reste vrai pour les autres métiers aussi. La nouvelle couche sociale était constituée entre autres de marchands et d’artisans, en général de personnes qui avaient un métier et qui n’étaient pas de simples agriculteurs ou maraîchers.
En étudiant des documents sur la ville de Bucarest, on constate que la « Maison Voina » a subi de nombreuses modifications, pour lesquelles ses propriétaires avaient demandé l’avis favorable de l’administration de la ville. Par exemple, autour de 1890, l’extérieur de la maison a été modifié pour être adapté au style architectural en vogue à l’époque. Vue depuis la rue, cette maison ne se distingue donc pas d’autres bâtiments du quartier : sobrement décorée d’éléments néoclassiques, sa façade correspond au style spécifique du 19e siècle en Valachie. Pourtant, lorsqu’on franchit la porte d’entrée, ce que l’on découvre est complètement différent. Iozefina Postăvaru explique.: Quand on pénètre dans la cour, on fait un retour surprenant et fascinant dans le temps. On est plongé plus d’un siècle en arrière, car la partie de la maison vue depuis la cour est restée inchangée depuis les années 1790. Il s’agit de deux façades entourées d’une véranda, dont les arcs trilobés reposent sur des colonnes en bois aux capitaux sculptés. Vue de ce côté-là, la maison ressemble à l’Auberge de Manuc du centre historique de la ville. Ce type de demeure est propre à l’architecture traditionnelle ou vernaculaire balkanique, mais aussi à la synthèse qui s’est fait jour après le développement en Valachie du style brancovan, car ses arcs trilobés soutenus par des colonnes appartiennent au style né pendant le règne de Constantin Brancovan. En 1950, la maison a été nationalisée, accueillant des ateliers d’artisans – entre autres un atelier de tapisserie. Elle n’a été nullement entretenue et, dans les années ’90, elle a été laissée complètement à l’abandon.
Depuis le début des années ’90, la « Maison de Marchand », avenue Șerban-Vodă, qui avait déjà été classée monument historique depuis longtemps, est administrée par l’actuel Institut national du patrimoine. Restaurée en 1998, la construction a encore besoin de travaux d’entretien. Dans un proche avenir, elle accueillera un Centre d’information et de promotion du patrimoine culturel. (Trad. : Dominique)