Alexandrina Cantacuzène et les débuts du féminisme roumain
Caractérisé, à ses débuts, durant la seconde moitié du 19e siècle, par la présence de plusieurs associations plutôt caritatives et féminines que féministes, le mouvement démancipation des femmes a pris de lampleur en Roumanie au début du 20e siècle. Alexandrina Cantacuzène demeure une des figures emblématiques de ce mouvement. Personnalité controversée et pittoresque en même temps, pleine dénergie et dinitiative, elle appartenait à la classe des boyards, mais elle a compris quelle devait soutenir surtout léducation des filles pauvres et leur formation professionnelle. Monica Negru, directrice adjointe des Archives nationales de la Roumanie, résume en quelques mots la vie dAlexandrina Cantacuzène.
Christine Leșcu, 23.06.2019, 12:24
Caractérisé, à ses débuts, durant la seconde moitié du 19e siècle, par la présence de plusieurs associations plutôt caritatives et féminines que féministes, le mouvement démancipation des femmes a pris de lampleur en Roumanie au début du 20e siècle. Alexandrina Cantacuzène demeure une des figures emblématiques de ce mouvement. Personnalité controversée et pittoresque en même temps, pleine dénergie et dinitiative, elle appartenait à la classe des boyards, mais elle a compris quelle devait soutenir surtout léducation des filles pauvres et leur formation professionnelle. Monica Negru, directrice adjointe des Archives nationales de la Roumanie, résume en quelques mots la vie dAlexandrina Cantacuzène.
« Elle est née en septembre 1876. Son père était le lieutenant Theodor Pallady, participant à la guerre dIndépendance, alors que sa mère, Alexandrina Kretzulescu, appartenait une grande famille de boyards. Alexandrina Kretzulescu a épousé un homme politique conservateur, Grégoire G. Cantacuzène. Ministre et sénateur à plusieurs reprises, celui-ci descendait de lillustre famille des Cantacuzène. Ils ont eu 3 fils. Cette alliance avec les Cantacuzène non seulement lui a valu un haut statut social, mais lui a aussi fourni des moyens financiers pour accomplir ses rêves. Elle a soutenu le mouvement démancipation des femmes roumaines, finançant, par exemple, par ses propres moyens, 33 écoles et envoyant 5.000 livres en Bessarabie. En mai 1910, elle a accordé son soutien à un groupe de militantes pour les droits des femmes et a fondé par la suite la Société orthodoxe nationale des femmes roumaines (SONFR), à la tête de laquelle elle sest trouvée à partir de 1918. Cette société a contribué à la création dassociations culturelles, décoles et de logements sociaux à Bucarest et dans dautres villes du pays. Pendant lentre-deux-guerres, Alexandrina Cantacuzène a fondé et coordonné plusieurs organisations féminines. »
Durant les années de la Première Guerre mondiale, Alexandrina Cantacuzène a choisi de rester à Bucarest pendant loccupation allemande. Présidente de la Croix rouge roumaine, elle a veillé au bon fonctionnement dun hôpital, offrant assistance aux blessés et aux prisonniers de guerre. Même après la fin de la guerre, Alexandrina Cantacuzène est restée attachée aux victimes de la conflagration. Alina Pavelescu explique:
« Alexandrina Cantacuzène et les membres de la Société orthodoxe des femmes de Roumanie ont été les principales promotrices de la collecte de fonds nécessaires à la construction du Mausolée de Mărășești, un monument dédié aux héros de la première guerre mondiale. Au musée du Mausolée on peut voir une photo dAlexandrina Cantacuzène entourée des responsables présents à linauguration du monument. Et ce nest pas tout. Le terrain sur lequel le Mausolée a été construit avait appartenu à la famille Negropontes et il a été offert en donation en vertu des relations damitié quAlexandrina Cantacuzène entretenait avec cette famille. Durant la Première Guerre mondiale, les femmes de Roumanie ont dailleurs prouvé leur engagement civique et leur capacité à répondre aux besoins dune société en pleine crise. »
Cest là une des caractéristiques du mouvement féministe roumain, qui est un peu différent des mouvements similaires de lépoque en Occident. Les militantes féministes de Roumanie ne protestaient pas dans la rue, comme les suffragettes britanniques, habillées de pantalons et exigeant bruyamment le droit de vote. Selon Alina Pavelescu, la personnalité dAlexandrina Cantacuzène a marqué de son sceau le mouvement féministe de Roumanie.
« Le mouvement féministe de Roumanie na pas suivi le modèle occidental. Il ressemble plutôt à la biographie et à la personnalité dAlexandrina Cantacuzène qui la dailleurs parrainé longtemps, sous différentes formes. Elle a fait beaucoup de choses dans sa vie et elle a également été un personnage controversé, comme on dirait de nos jours. En 1929 elle a créé un groupe de femmes considéré être et accusé à lépoque dêtre le premier parti politique féministe de Roumanie. En même temps, elle se prononçait pour un rôle traditionnaliste de la femme dans la société. Elle a créé plusieurs écoles pour la formation professionnelle des jeunes filles, mais elle soulignait toujours lidée que la femme doit apprendre à être bonne ménagère, à bien cuisiner et à devenir le soutien moral de la famille en préservant la tradition religieuse. Alexandrina était très attachée à cette tradition religieuse et elle était en général plutôt élitiste dans ses manifestations féministes. Ses options politiques nont pas été non plus très libérales et démocratiques, son nationalisme layant même conduite, à la fin des années 30, à un rapprochement de la Légion de larchange Michel. Un de ses fils a même été tué dans un camp de travaux forcés, avec dautres jeunes adeptes de la Garde de fer, sur lordre du roi Carol II. Ce qui, durant la dernière période de sa vie, la déterminée à promouvoir des idées tout à fait condamnables sur leugénie et le racisme. Heureusement pour elle, elle est morte en 1944, ce qui lui a évité de connaître les prisons communistes, à lâge de la vieillesse. A travers elle, on découvre le mouvement féministe de Roumanie, un mouvement tout à fait original, un mélange de féminisme occidental où se retrouve le militantisme des suffragettes et de traditionalisme quand il sagit du rôle de la femme dans la société. »
Une anthologie rédigée par Monica Negru et publiée aux Editions « Cetatea de Scaun » sous le titre: « Alexandrina Cantacuzène et le mouvement féministe dans lentre-deux-guerres » jette une nouvelle lumière sur la vie et lactivité de cette femme remarquable. (Trad. : Dominique)