Tests de stress aux frontières ukrainiennes
Corina Cristea, 17.12.2021, 17:30
La
concentration des forces russes à la frontière ukrainienne est surveillée de
près, faisant craindre aux observateurs que Moscou se prépare à lancer une
attaque à grande échelle, peut-être en janvier prochain. La Russie a déjà raffermi
sa présence militaire dans la région, à grand renfort de chars et d’environ 100.000
soldats, et ce déploiement semble se poursuivre sur le terrain, tandis que la
situation diplomatique se dégrade de plus en plus.
Ce
que nous n’avons pas fait en 2014, nous sommes prêts à le faire maintenant, a toutefois
prévenu le président américain, Joe Biden, lorsqu’il avait évoqué la
possibilité d’une nouvelle invasion russe en Ukraine, similaire à celle qui a
entraîné l’annexion illégale de la Crimée, en 2014. Dans une vidéo conférence
déroulée sous haute surveillance entre les présidents russe et américain, le dernier
n’a pas hésité à avertir son homologue que si la Russie envahissait à nouveau
l’Ukraine, les alliés américains et européens répondraient par des mesures
économiques fortes.
Qui plus est, Washington se montrait prête à fournir l’équipement
militaire indispensable à la défense de l’Ukraine et à renforcer la position de
ses alliés, situés sur le flanc est de L’OTAN. En revanche, Vladimir Poutine ne
cesse de répéter que son armée ne menace personne, tout en exigeant des
garanties de la part de l’OTAN qu’elle arrête de s’étendre davantage à l’Est,
et donc à l’Ukraine. Moscou accuse l’Alliance Nord-Atlantique de faire de son
mieux pour détruire l’architecture de sécurité en Europe, notamment en
déployant son bouclier antimissile en Roumanie et en Pologne, et en étendant
son infrastructure militaire jusqu’aux frontières de la Russie. Invitée sur les
ondes de Radio Roumanie, la professeure Alba Popescu, de l’Université de
Défense nationale, évoque la situation géopolitique dans la région : « En
fait, la question première est de pouvoir localiser cette région d’un point de
vue géographique, dans ce que l’on appelle l’isthme pontique-baltique,
considéré par certains géographes comme la véritable frontière de l’Europe. Il
s’agit de cette frontière qui sépare les rives sud de la mer Baltique des rives
nord de la mer Noire, entre la porte de Moravie et les montagnes du Caucase, un
espace tampon d’un point de vue géopolitique, et qui sépare désormais la
Fédération de Russie d’une part, et les puissances dominantes de l’Europe atlantique
de l’autre. Une zone géographiquement dominée par des plaines, délimitant la
frontière occidentale de la Fédération de Russie. C’est là que le problème
commence, et pour la Russie c’est son talon d’Achille. C’est un espace à grande
valeur géostratégique, car ce territoire peut se transformer soit en barrière,
soit en passoire, facilitant ou, au contraire, entravant les flux migratoires entre
l’Europe et l’Asie, entre le nord et le sud. Il s’agit donc, d’un espace pivot,
comme on l’appelle en géopolitique et en géostratégie, un hub et un lien d’un
point de vue géoéconomique, géopolitique, l’espace géostratégique peut-être le
plus sensible de l’Eurasie. »
La
Russie exige que l’OTAN exclue à l’avenir tout élargissement de ses structures
à l’Est, ainsi que le déploiement d’armements à proximité de ses frontières,
des armes qui pourraient menacer sa sécurité, et tout cela pour éviter une
surenchère dangereuse. La position russe est sans doute en lien avec son
obsession de maintenir une région de sécurité à ses frontières, comme l’explique
la professeure des universités Alba Popescu « La Russie considère qu’elle a le droit d’exiger cette
zone de sécurité autour de ses frontières, cet anneau composé d’États et de
masses d’eau qui entourent son immense territoire. Les Russes considèrent cet
anneau de sécurité comme un espace d’importance vitale, stratégique,et où leur influence devrait demeurer prépondérante.
De la sorte, tout ce qui s’approche de leurs frontières est considéré comme une
menace directe. Pour eux, cet anneau de sécurité représente une ligne rouge. Et,
voyez-vous, dans cet anneau l’on retrouve l’Ukraine, les États transcaucasiens,
la Moldavie et la Biélorussie. Tous ces Etats font partie de sa région de
sécurité rapprochée. Par conséquent, lorsque la Russie constate une tentative
de ces États de rompre avec la sphère d’influence russe et de rejoindre la
sphère d’influence occidentale, elle réagit tout de suite. Elle a déjà réagi de
manière violente à ce genre de tentatives, dès les années 90, tout de suite
après le démantèlement de l’empire soviétique. La Russie avait ainsi orchestré
des conflits, produit ces conflits gelés et périodiquement réchauffés, comme on
l’a vu, par exemple en Ukraine, en Géorgie aussi, dans le Haut Karabakh, et
ainsi de suite. Les choses sont fluides dans cette région. Et tout a à voir
avec cet impératif de la Russie, un impératif stratégique, déjà historique, de
dominer la région, de la maintenir sous sa coupe, un impératif inscrit dans son
ADN depuis l’époque du tsar Pierre le Grand. Aujourd’hui, cela se matérialise dans
les actions de type hybride que la Fédération de Russie mène tout au long de la
ligne imaginaire qui relie la mer Baltique à la mer Noire. Or, la Roumanie est
directement concernée, car elle se trouve sur la frontière sud de la région visée,
alors que dans la région baltique les cibles sont différentes. L’on retrouve là
les États baltes, la Pologne et la Suède. C’est bien dans cette crainte de la
Russie de voir lui échapper ce qu’elle considère comme sa zone de sécurité
rapprochée que je vois l’explication de son comportement menaçant, et qui
devient de plus en plus agressif. »
Selon la professeure Alba Popescu, de l’Université de Défense
nationale, le conflit ukrainien et les tensions aux frontières de l’Ukraine
risquent cependant de perdurer. La Russie n’aurait pas intérêt à faire éclater
la guerre, pas plus qu’à se lancer dans une approche de détente. La Russie
aurait au contraire intérêt à garder l’Ukraine dans cette zone grise, à
l’instar de toute la région. Pour sa part, l’Alliance nord-atlantique semble
réserver une fin de non-recevoir aux prétentions russes. Selon Jens
Stoltenberg, secrétaire-général de l’OTAN, « le fait de simplement
soulever une telle question devrait nous faire réagir et accroître notre
vigilance. Parce que l’idée même des sphères d’influence, acquiescer que la
Russie puisse décider au nom de ses voisins, au nom d’Etats tiers souverains, est
totalement inacceptable ». Une position qui fera sans doute plaisir aux
principaux concernés. (Trad. Ionut
Jugureanu)