Quel avenir pour la République de Moldova?
Les contestations en Justice de la candidate vaincue, la réformatrice pro-européenne Maia Sandu, doublées par les protestations de rue de la société civile dénonçant à l’unisson la fraude du scrutin présidentiel – tout cela n’a pas permis au socialiste russophile Igor Dodon de savourer sa victoire aux élections présidentielles tenues en République de Moldova le 30 octobre dernier.
Bogdan Matei, 02.12.2016, 13:03
Les contestations en Justice de la candidate vaincue, la réformatrice pro-européenne Maia Sandu, doublées par les protestations de rue de la société civile dénonçant à l’unisson la fraude du scrutin présidentiel – tout cela n’a pas permis au socialiste russophile Igor Dodon de savourer sa victoire aux élections présidentielles tenues en République de Moldova le 30 octobre dernier.
A 41 ans, Igor Dodon devient le président de la République de Moldova, un économiste qui a creusé son chemin dans la vie politique dans l’ombre de l’ancien leader communiste Vladimir Voronine, avant de se disputer avec celui-ci les faveurs de Moscou et de fonder son propre parti socialiste. A noter que pour la première fois, ces 20 dernières années, la population moldave a élu directement son chef d’Etat, qui jusqu’ici était élu par le Parlement.
Selon l’OSCE, qui avait surveillé la campagne électorale et le vote, le financement des candidats n’a pas été transparent. En même temps, de nombreux électeurs n’ont pas pu voter en raison des bulletins de vote insuffisants. A leur tour, les observateurs internes dénoncent le fait que le droit de vote des ressortissants moldaves vivant à l’étranger a été bloqué. S’y ajoute le fait que dans la région séparatiste de Transnistrie, des électeurs sympathisants d’Igor Dodon ont été transportés vers les bureaux de vote, de manière organisée, par des dizaines de bus.
Suite au scrutin, Igor Dodon a repris les thèmes phare de sa campagne électorale dans une interview pour le journal russe Izvestia, une publication célèbre depuis l’époque soviétique. Parmi ces sujets mentionnons: la réorientation de Chisinau vers l’Union Russie – Biélorussie – Kazakhstan, l’organisation d’un référendum pour annuler l’accord d’association et de libre-échange avec l’UE ou encore la promesse de faire sa première visite en tant que chef d’Etat à Moscou.
A Bucarest, le professeur Iulian Chifu, président du Centre pour la prévention des conflits « Early Warning » et ancien conseiller présidentiel, explique la situation en République de Moldova voisine dans une interview pour Radio Roumanie: «En ce qui concerne la République de Moldova, effectivement, on est dans une autre réalité. Il s’agit d’un Etat qui était de toute façon tiraillé entre l’Est et l’Ouest. Donc l’élection d’Igor Dodon n’est pas la meilleure nouvelle pour Bucarest, vu son passé et ses affirmations pendant la campagne électorale. Mais il s’agit du bon voisinage, d’un pays voisin et il s’agit aussi d’un gouvernement et d’un parlement qui restent pro-européens, même si le président Dodon souhaite avoir des élections anticipées et s’emparer complètement du pouvoir. Nous devrons examiner et suivre la manière dont les politiques des deux pays vont s’arranger. Mais tant qu’il existe de la continuité pour les grands acteurs, il est peu probable d’avoir de très grands changements.»
Les experts cités par Radio Roumanie Chisinau mettent en garde contre le fait que l’élection d’Igor Dodon pourrait causer des turbulences dans la politique étrangère du pays. De même, sur le plan intérieur, celui-ci sera mis dans l’impossibilité de réaliser ses promesses électorales, vu que le soutien financier vient toujours de l’Occident – à savoir du FMI, de la Banque Mondiale, de l’UE et de la Roumanie voisine. Ce qui n’a pourtant pas empêché Igor Dodon d’avoir, au fil du temps, une rhétorique anti-roumaine virulente. Par exemple, il a menacé de rendre illégales les formations qui militent pour l’union avec la Roumanie, de retirer la nationalité moldave accordée à différents ressortissants roumains et même de changer le drapeau moldave, presque identique au drapeau roumain.
Comment ce discours est-il reçu à Bucarest ? Explication avec Octavian Ţîcu, commentateur politique de Chisinau: « Son discours nationaliste moldave ne sera pas accepté à Bucarest. Je pense que c’est là une entrave pour le Parti des Socialistes et pour Igor Dodon, qui, vu cette impossibilité de mener à bien les promesses de la campagne électorale, se retrouveront dans un processus de déclin, tout comme cela est arrivé au Parti des Communistes. »
Pour sa part, le président roumain Klaus Iohannis s’est limité à annoncer dans un communiqué le fait d’avoir « pris acte du vote exprimé par les citoyens de la République de Moldova » et de plaider pour la stabilité intérieure et la poursuite des réformes et du parcours européen du pays voisin. A son tour, le gouvernement de Bucarest espère que les institutions moldaves coopéreront pour poursuivre la route de Chisinau vers l’Europe. Aucun des deux communiqués ne mentionne le nom d’Igor Dodon. Klaus Iohannis se contente du syntagme « le nouveau président de la République de Moldova », estimant que son homologue devra faire preuve de sagesse et d’équilibre au cours de son mandat.
Pour sa part, le professeur Iulian Chifu met en lumière la soif de pouvoir des socialistes ex-communistes dirigés par le nouveau chef d’Etat moldave : « A l’heure actuelle, à regarder strictement sa position de président, il est évident que le pouvoir de Dodon est limité par la Constitution. Mais il ne faut pas oublier une chose très importante. Le parti d’Igor Dodon est toujours le plus grand de République de Moldova ; c’est le plus grand parti de l’opposition, dont la popularité est à la hausse depuis que M Dodon a remporté les élections présidentielles. C’est là le plus grand pouvoir d’Igor Dodon. Il est une sorte de Vladimir Voronine soutenu par un grand parti, mais qui n’a pas encore accès au pouvoir. Par conséquent, comme tout homme politique, avec des instincts de politicien, il aura intérêt à accaparer tout le pouvoir en République de Moldova. »
Sur un ton plus sarcastique, d’autres commentateurs affirment que tout politicien habile souhaiterait plutôt partager le pouvoir et donc la responsabilité aussi dans un pays comme la République de Moldova, considéré comme le pays le plus pauvre d’Europe par tous les classements spécialisés. (Trad. Valentina Beleavski)