Pistes pour l’abandon du charbon
Corina Cristea, 10.12.2021, 08:49
La
stratégie énergétique de la Roumanie, qui peut s’enorgueillir de compter
environ 40% d’énergie verte dans son mix énergétique actuel, table à la fois
sur une augmentation des besoins en énergie et sur l’augmentation de la part de
l’énergie renouvelable dans son mix énergétique, compte tenu des objectifs
fixés par le Pacte vert européen pour 2030 et 2050. Ce qui a fait dire, en
octobre dernier, à Virgil Popescu, le ministre de l’Energie de Bucarest, que « La
stabilité énergétique et la décarbonation sans l’énergie nucléaire semblent impossibles.
C’est pourquoi la Roumanie va construire de nouvelles capacités nucléaires, avec
ses partenaires américains, canadiens et français, sur le site de Cernavodă. En
même temps, nous accordons une attention accrue à la technologie PRM, aux petits réacteurs modulaires ».
En
effet, la Roumanie compte inclure les réacteurs basés sur la technologie PRM dans
son système national de production d’énergie avant 2028 et souhaite participer
à la production de petits réacteurs modulaires dans la région, ainsi qu’à la
préparation des ressources humaines nécessaires. À terme, la Roumanie compte exploiter
cette nouvelle technologie dans d’autres pays de la région, comme l’avait
indiqué, toujours au mois d’octobre passé, l’administration présidentielle de
Bucarest.
A
l’heure qu’il est, un accord en la matière a déjà été signé avec les
États-Unis, qui voient dans cette nouvelle technologie un moyen privilégié d’obtenir
la diminution des gaz à effet de serre, un avis partagé par la Roumanie.
Cependant, l’UE n’a pas encore clairement rangé l’énergie nucléaire dans le
rayon des énergies propres et rechigne à lui octroyer des crédits.
Le
professeur Ionuţ Purica, expert en énergie nucléaire, évoque, sur Radio
Roumanie, les avantages de ces petits réacteurs modulaires : « Ces
réacteurs peuvent être regroupés, de manière à couvrir le besoin énergétique ou
un pique soudain dans la demande, en démarrant un à un, successivement, ou en
s’arrêtant de même, successivement, dès que l’on dispose, à un certain endroit,
d’un certain nombre de réacteurs reliés au système énergétique national. Par
ailleurs, à la différence des réacteurs conventionnels, les petits réacteurs
modulaires, sont fabriqués en usine et transportés sur le site d’implantation.
Leur mise en service est donc très rapide. Enfin, la sécurité d’exploitation se
retrouve renforcée par rapport aux réacteurs classiques. Le combustible n’est
pas baladé dans la nature. Le réacteur peut être repris complètement, chargé en
combustible frais et renvoyé sur son site. Cela renforce la sécurité et diminue
les risques en matière d’attaques terroristes. »
À
l’heure actuelle, un certain nombre de projets de développement de petits
réacteurs modulaires sont à l’étude, nous assure le professeur Ionuț Purica.
Les Etats-Unis, quant à eux, utilisent cette technologie depuis les années 1960
déjà, ce genre de réacteurs étant en exploitation sur des sites isolés
notamment, en Antarctique par exemple, où ils fournissent les bases
scientifiques américaines en électricité et en chauffage. À l’heure actuelle,
les Russes aussi sont en train d’installer de tels réacteurs sur des barges qui
parcourent les fleuves en Sibérie, où ils fournissent en électricité les villes.
Un tel réacteur serait, en effet, capable d’alimenter toute une agglomération
urbaine pendant cinq ans.
Un
tout autre son de cloche du côté des militants écolos de Bucarest pourtant. Que
fait-on de la décentralisation énergétique, se demandent-ils. Pourquoi ne pas
continuer à encourager les gens à poursuivre l’installation de panneaux
photovoltaïques, d’éoliennes et de pompes à chaleur là où c’est possible,
pourquoi n’allons-nous pas plus loin dans le domaine l’énergie verte ? Telles
sont les questions que mettent en avant les écologistes devant la nouvelle
stratégie énergétique du gouvernement, tout en rappelant que la Roumanie
dispose d’un bassin fluvial important, qui aurait vocation à être mieux
exploité. Car, selon eux, si le nucléaire pourrait, certes, servir durant une
certaine période de transition énergétique, ce n’est certainement pas une
solution durable. Qui plus est, développer aujourd’hui le nucléaire aura sans
doute pour effet de ralentir les investissements dans les énergies
renouvelables.
Un
équilibre devrait être trouvé entre les positions des uns et des autres, affirme
le président de l’Université écologique, Mircea Duțu : « Il est certain que
ce moment de crise énergétique que l’on traverse, et qui est en partie provoqué
par la transition verte, est spéculé, une fois de plus, par l’industrie
nucléaire, qui tente ainsi de se refaire une virginité. Rappelons-nous les
années 1960, lorsque la pénurie d’électricité et les grandes coupures
d’électricité, comme celle qui marqua la ville de New York au mois de novembre
1965, ont constitué le prétexte pour convaincre la population d’accepter le
développement de l’énergie nucléaire, dans certaines limites. Dans les années
1970, il y a eu cette crise pétrolière, qui nous avait fait voir le spectre de
l’épuisement du pétrole et du charbon, et cela a été encore une bouffée
d’oxygène pour l’industrie nucléaire. A l’heure actuelle, cette même industrie
essaie de spéculer les difficultés énergétiques liées à l’abandon des énergies
fossile pour s’ériger comme une solution envisageable devant l’opinion publique.
La vérité est, comme souvent, entre les deux. Dans quel sens ? Voyez-vous, d’un
point de vue stratégique et politique, l’énergie nucléaire a du mal à figurer dans
le rayon des énergies propres. Mais qu’en est-il de ces nouveaux développements
? Eh bien, le risque d’accidents nucléaires décuple. L’histoire des accidents
nucléaires majeurs enregistrés jusqu’à présent pointe l’erreur humaine comme
cause principale. Or, cette technologie sera opérée par différentes équipes et par
différentes personnes, ce qui ne fait qu’accroître le risque d’accidents potentiels.
Et le fait que l’intervention de l’homme dans le fonctionnement de la
technologie est moindre, n’empêchera pas les effets désastreux d’un accident
éventuel, des effets terribles à l’échelle locale et nationale. »
Un
sondage YouGov, publié au mois d’octobre, réconforte ce sentiment de méfiance.
En effet, 66% des Roumains refuseraient l’installation d’une centrale nucléaire
dans leur quartier, alors que le soutien public aux énergies renouvelables s’avère
extrêmement élevé. (Trad. Ionuţ Jugureanu)