L’UE resserre ses rangs
« La Commission européenne a le devoir de protéger les compagnies européennes. C’est le moment d’agir » – déclarait le président de cet organisme, Jean-Claude Juncker, avant le lancement du processus de la loi dite « de blocage » contre les effets extraterritoriaux des sanctions américaines sur les entreprises européennes souhaitant investir en Iran.
Corina Cristea, 08.06.2018, 14:35
« La Commission européenne a le devoir de protéger les compagnies européennes. C’est le moment d’agir » – déclarait le président de cet organisme, Jean-Claude Juncker, avant le lancement du processus de la loi dite « de blocage » contre les effets extraterritoriaux des sanctions américaines sur les entreprises européennes souhaitant investir en Iran.
Il s’agit d’un règlement européen datant de 1996, créé à l’origine pour contourner les sanctions américaines sur Cuba et qui a fini par être neutralisé, ce désaccord ayant été résolu par voie diplomatique. Cette loi refait maintenant surface, après la sortie des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, et elle doit être adaptée avant le 6 août, date de l’entrée en vigueur des premières sanctions récemment décidées par Washington. La loi dite « de blocage » permet aux entreprises et aux instances européennes de ne pas se soumettre aux règlements concernant des sanctions adoptées par de tiers pays. Elle annule les effets dans l’UE de toute décision de justice étrangère fondée sur ces sanctions : en somme, aucune entreprise européenne ne pourra être poursuivie dans l’UE pour avoir dérogé aux sanctions américaines. Il s’agit de protéger les compagnies européennes face aux décisions de l’administration américaine.
Le député européen Iuliu Winkler explique : « Les Etats Unis quittent le multilatéralisme. Les Etats-Unis sont en train d’attaquer l’Organisation Mondiale du Commerce. Ils sont mécontents de l’OMC, mécontents des accords commerciaux multilatéraux lors desquels, de l’avis du président Donald Trump, les Etats-Unis ont été trompés par leurs partenaires du marché global. Les Etats-Unis se retirent à présent d’un accord multilatéral crucial, à mon avis, pour le Proche Orient. Selon les analystes américains, cette attaque contre le multilatéralisme est, en fait, la tactique du cowboy solitaire adoptée par le président Trump. Le multilatéralisme est une question essentielle pour l’Europe et pour l’UE, aussi bien en ce qui concerne le commerce et l’économie que les relations internationales, géopolitiques ou stratégiques. Il suffit de penser à ce qu’a représenté, au siècle passé, l’Europe des individualismes. Nous ne souhaitons évidemment pas y retourner. Avec une teinte un peu différente de la part de la chancelière allemande Angela Merkel et un peu plus juvénile, plus allègre, de la part du président français Emmanuel Macron, nous, les Européens, nous souhaitons apprendre à agir sur le plan global et défendre le multilatéralisme, par tous les moyens dont nous disposons. »
Bruxelles a également décidé de permettre à la Banque Européenne d’Investissements de faciliter les investissements des compagnies européennes en Iran, avec lequel la Commission maintient, en même temps, sa coopération.
« Il n’y a pas de solution alternative à l’accord avec l’Iran » – déclarait la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, en réponse au discours de son homologue américain, Mike Pompeo. Celui-ci avait évoqué 12 conditions sévères pour la conclusion d’un nouvel accord avec Téhéran, qui devrait remplacer celui signé en 2015 et qui prévoit la limitation du programme nucléaire iranien en échange de la suspension progressive des sanctions. « Dans l’UE, tout le monde partage l’idée que cet accord n’est pas parfait, mais nous devons le garder et poursuivre les négociations avec l’Iran sur d’autres sujets, tels son programme de missiles balistiques » – déclarait à la presse la chancelière allemande Angela Merkel.
En analysant la décision de l’UE par rapport à celle du leader de la Maison Blanche, Adrian Mitroi, professeur de relations internationales à l’Académie de sciences économiques de Bucarest, estime que l’Europe oscille entre l’instinct commercial et celui géostratégique, la balance étant difficile à maintenir entre les deux.
De l’avis du professeur Mitroi, nous entrons dans une zone très intéressante et peut-être critique du point de vue économique, une zone où la pression se reflète, de la manière la plus évidente, sur le prix du baril de pétrole, ayant pour conséquence immédiate un léger ralentissement économique. Il ne faut pas laisser de côté, dans cette équation, la dépendance de l’Europe du gaz russe et le fait que Washington ne favorise pas ces relations commerciales.
L’UE pourra-elle devenir un des pôles de pouvoir de la planète, aux côtés des Etats-Unis, de la Russie, de la Chine ? Le professeur Adrian Mitroi est plutôt sceptique : « Franchement, je ne crois pas, car sa politique étrangère a beaucoup perdu de sa force. Dans la politique étrangère, souvent elle ne joue pas sa carte, pour ainsi dire. Du point de vue économique, elle est encore fragile. Le continent américain a très bien réussi, alors que l’UE ne dispose pas d’une trésorerie commune, ce qui fait que ses politiques sont légèrement désynchronisées. Nous sommes plus sensibles à un dollar plus puissant ou à des taux d’intérêts plus élevés pour le dollar. Nous sommes actuellement en pleine réforme de l’UE et le côté économique, la trésorerie commune, toutes ces bonnes choses qui nous auraient conféré plus de force – y compris économique – passent au second plan. Et cela ralentit, un petit peu, notre avancement. »
Pourtant – ajoute le professeur Mitroi – l’Europe a aussi le grand avantage de reconnaître «qu’il y a plus de choses qui nous unissent que de choses qui nous divisent». (Trad. : Dominique)