L’Iran, dans l’œil du cyclone
Les gens sont descendus dans les rues de Téhéran et des autres grandes villes iraniennes criant leur colère contre les autorités et exigeant la démission du dictateur, allusion à l’ayatollah Ali Khamenei.
Corina Cristea, 24.01.2020, 12:08
Les gens sont descendus dans les rues de Téhéran et des autres grandes villes iraniennes criant leur colère contre les autorités et exigeant la démission du dictateur, allusion à l’ayatollah Ali Khamenei.
Les autorités iraniennes, pour leur part, ont essayé de se dédouaner en invoquant le temps nécessaire à l’enquête. Selon le porte-parole du gouvernement, Ali Rabii, les premières informations parvenues ne faisaient aucun lien entre le tir de roquettes et l’accident de l’avion de ligne. Selon les autorités iraniennes, tout avait été la faute des Etats-Unis, qui avaient provoqué l’escalade dans la région, après l’attentat meurtrier du 3 janvier passé contre le général iranien Qasem Soleimani, artisan des opérations extérieures menées par les Gardiens de la Révolution. Téhéran, qui a promis de venger la mort du général, avait lancé, peu de temps après, plusieurs roquettes sur Bagdad, dont certaines ont visé la Zone verte, où siège de l’ambassade américaine. De fait, l’attentat contre Soleimani, considéré le numéro 2 dans la hiérarchie du pouvoir à Téhéran, était censé mettre fin à la guerre et n’envisageait pas d’en provoquer une nouvelle, selon les dires du président américain, Donald Trump.
Invité au micro de Radio Roumanie, Ovidiu Raeţchi, analyste politique spécialisé dans le Moyen orient, explicite la position de l’Iran : « Les preuves étayées après l’accident rendaient insoutenable la thèse initiale de Téhéran. Vous savez, les Iraniens sont très sensibles aux manifestations de la souffrance, à l’instar des shiites qui se définissent ainsi de par leur religion, par leur rapport à la souffrance, face à une mort injuste. Leur révolte est donc une révolte réelle, qui va au-delà des supputations laissant entendre l’intérêt des adversaires d’Iran à provoquer un soulèvement populaire contre le régime. Je présage une année trouble en Iran, une année marquée par des révoltes contre le régime. Vous savez, le peuple iranien est fait de gens éduqués, sensibles à la souffrance, à l’injustice. Et leurs leaders doivent faire très attention, parce qu’ils sont justement arrivés au pouvoir en 1979, surfant sur cette vague de révolte populaire soulevée par les injustices du Shah. Et ils comprennent d’ailleurs que les États-Unis, Israël, peut-être l’Occident, peut-être la Russie et la Chine, ont tout intérêt à provoquer un soulèvement populaire contre le régime des ayatollahs. Car ce régime a tendu ses tentacules dans tout le Moyen Orient, autour de l’Arabie Saoudite, autour d’Israël. Et le moyen le plus aisé de s’en défaire, ce serait de lui couper la tête. Parce que, contrer autrement l’influence iranienne dans la région prendrait des années. Et, alors, le plus facile semble être d’essayer d’encourager un changement de régime en Iran même. Il reste à voir quelle serait toutefois l’attitude de la Russie ou de la Chine. Pour ma part, je pense que la Russie aurait tout à gagner, à moyen et long terme, d’un changement de régime en Iran. La Chine, c’est différent. Elle ne devrait pas voir d’un bon œil un accroissement de l’influence américaine dans la région, et il se peut que la Chine privilégie le statu quo actuel ».
A Téhéran même, le président Hassan Rohani a invoqué la solidarité nationale, tout en appelant à un changement de paradigme à la tête du régime et dans la manière dont l’Iran est gouverné. Il a implicitement reconnu la responsabilité du régime dans la tragédie de l’avion ukrainien. Toute la question est de savoir si cette crise a été juste un feu de paille ou le début d’une révolte de grande envergure. Et quelle serait l’attitude des Etats-Unis.
L’analyste politique Ovidiu Raeţchi précise : « Le style Trump, dévoilé aussi lors de la crise coréenne, laisse entrevoir une issue négociée. Le tout est de savoir si l’Iran est prêt à négocier avec les Etats-Unis, sur fond de tensions internes. D’un autre côté, le régime iranien pourrait miser sur une déstabilisation de la région, pour se maintenir au pouvoir. Parce qu’il dispose des moyens pour essayer de provoquer ce genre d’issue, qui lui permettrait de s’accrocher au pouvoir. Mais les Iraniens protestent surtout contre la baisse de leur niveau de vie. L’Iran traverse une crise économique grave, et les gens protestaient déjà dans la rue l’automne passé pour cette raison. »
D’éventuelles négociations porteront à coup sûr la refonte de l’accord nucléaire, selon Ovidiu Raeţchi. Téhéran devrait accepter des limites très claires et un contrôle accru de ses installations. Il devrait aussi abandonner sa politique d’influence agressive dans l’espace shiite, tout cela en échange d’un allègement, voire d’une suppression des sanctions internationales auquel il est soumis. (Trad. Ionuţ Jugureanu)