Les Roms, la Roumanie, l’Europe
Avec une véhémence sans précédent, la ministre suédoise aux Affaires européennes, Birgitta Ohlsson, exprimait récemment « sa « colère » à propos de la Roumanie qui refuse sa proposition daide extérieure pour dépenser les fonds européens destinés à lintégration des Roms ». Ces affirmations sans preuves en disent long de la perception erronée que certaines chancelleries occidentales ont de la situation réelle de cette communauté. Avant la ministre de Stockholm, plusieurs voix de Rome, Paris, Bruxelles ou Londres ont reproché à Bucarest d’être passif ou indifférent face à ce sujet, surtout qu’une partie des médias et de la classe politique européenne en tiennent la Roumanie pour seule responsable.
Bogdan Matei, 01.08.2014, 13:20
Avec une véhémence sans précédent, la ministre suédoise aux Affaires européennes, Birgitta Ohlsson, exprimait récemment « sa « colère » à propos de la Roumanie qui refuse sa proposition daide extérieure pour dépenser les fonds européens destinés à lintégration des Roms ». Ces affirmations sans preuves en disent long de la perception erronée que certaines chancelleries occidentales ont de la situation réelle de cette communauté. Avant la ministre de Stockholm, plusieurs voix de Rome, Paris, Bruxelles ou Londres ont reproché à Bucarest d’être passif ou indifférent face à ce sujet, surtout qu’une partie des médias et de la classe politique européenne en tiennent la Roumanie pour seule responsable.
Or les chiffres sont éloquents. Sur les quelque 12 millions de Roms se trouvant sur le Vieux Continent, seuls 620.000 vivent en Roumanie, soit 3,3% de la population totale du pays. Le problème de cette minorité, la plus nombreuse du continent, mais sans Etat propre qui la revendique et qui plaide en sa faveur, concerne tous les Européens. Depuis longtemps déjà. Un peu partout en Europe, les Roms sont cibles de préjugés, victimes de l’excès de zèle des gendarmes français ou de la rhétorique xénophobe de l’extrême droite hongroise. Dans le meilleur des cas, ils sont perçus comme des personnages pittoresques, s’ils ne sont pas associés à la paresse, la marginalité, la délinquance, la misère ou le désordre. Ils restent en dehors de la plupart des sociétés européennes, bien qu’ils soient arrivés sur le contient il y a presqu’un millénaire, depuis leur départ du nord-ouest de l’Inde.
Dans une radiographie sévère, mais juste, de cette minorité, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, admettait que : « Il est inacceptable — et je pense qu’inacceptable est le mot juste — que tant de Roms vivent encore dans une pauvreté extrême et souffrent d’exclusion sociale, dans certains de nos villes et villages. Il est inacceptable d’avoir dans certains endroits des enfants roms inscrits dans les écoles destinées aux élèves avec un handicap mental, sans aucune chance d’atteindre leur vrai potentiel dans l’éducation et sur le marché de l’emploi. Il est inacceptable que les Roms soient toujours discriminés dans les hôpitaux, dans les compagnies et les écoles, qu’ils restent sans logement et, par voie de conséquence, sans avenir. De même, il est complètement inacceptable que la rhétorique anti-rom gagne du terrain au sein de la population européenne.»
Pour sa part, l’organisation pour la protection des droits de l’homme, Amnesty International, reconnaît que partout dans l’UE, les droits des Roms ne sont pas bien respectés, y compris par les autorités locales. Le représentant de l’organisation, Nicolas Berger, affirme que : « Il est temps de passer au-delà des paroles. On a besoin dun engagement clair des pouvoirs locaux en ce sens, car, dans la plupart des cas, ils sont responsables des évacuations forcées ou de la ségrégation des Roms. Les violences sous-tendues par le racisme – y compris celles perpétrées par la police – doivent cesser. Nous attendons toujours que les représentants de la Commission européenne déclenchent des procédures dinfraction aux traités européens contre tous les Etats qui portent atteinte aux droits de cette ethnie. »
Loin dêtre un cas unique en Europe, la Roumanie doit régler ses propres problèmes historiques avec cette minorité. Depuis le Moyen âge jusquau 19e siècle, les Roms ont été des esclaves, une main dœuvre très bon marché sur les propriétés des princes, des nobles ou des monastères de lépoque. LEtat roumain moderne les affranchit de cette condition, mais les ignore, napportant pas de solutions à leurs problèmes. Lors de la seconde guerre mondiale, une bonne partie de cette communauté a été déportée en Transnistrie par le régime du maréchal Ion Antonescu, allié du troisième Reich. Par la suite, usant de méthodes policières, la dictature communiste les oblige à devenir sédentaires de force. Il nest donc pas étonnant que les préjugés restent vifs au sein de la société roumaine – les Roms sont à ce jour la communauté ethnique la moins acceptée par la majorité.
Le chef de lEtat, Traian Basescu, reconnaît que plus de la moitié des Roms qui travaillent ont un faible niveau déducation, tandis que ceux ayant fait des études, même supérieures, peinent à trouver un emploi en adéquation avec leur formation. Les évaluations réalisées par lexécutif européen sont exactes, précise le président Basescu, mais sur le terrain, les autorités roumaines et la communauté rom ont encore beaucoup de chemin à parcourir. Le chef de lEtat roumain: « Les conclusions de la Commission ne sont pas négatives et font état de progrès. Elle souligne quil y a des places réservées dans les universités pour les jeunes Roms, quil y a des avancées en ce qui concerne la scolarisation dans le primaire, mais cest très peu. Certes, les rapports de la Commission comportent toujours beaucoup despoir, mais la réalité est inacceptable pour les Roms, et pas seulement en Roumanie. Il nest pas moins vrai que nous ne pouvons pas avancer, quels que soient les efforts des gouvernements et des autorités locales, si la minorité rom ne souhaite pas évoluer dune manière positive. »
Le président Traian Basescu déplore également le fait quune bonne partie des Roms intégrés dans la société ne reconnaissent plus leur appartenance ethnique. A leur tour, les sociologues constatent, lors de recensements, la multiplication des cas de Roms chrétiens-orthodoxes qui se déclarent Roumains dun point de vue ethnique, ou catholiques de Transylvanie se revendiquant comme Magyars ou musulmans de Dobroudja se disant être Turcs. Tant que la majorité roumaine et la minorité rom en égale mesure ne vont pas se débarrasser des préjugés, linsertion sociale se poursuivra lentement et avec des résultats incertains. (trad.: Valentina Beleavski, Andrei Popov)