Les leçons d’une tragédie
Le 30 octobre 2015 est une date dont la Roumanie se souviendra toujours. Une soirée de début de week-end qui s’annonçait agréable s’est transformée en un cauchemar pour les centaines de jeunes sortis assister à un concert de rock. Pour plusieurs dizaines d’entre eux, ce vendredi allait être le dernier jour de leur vie. D’autres dizaines allaient voir leur vie changer radicalement, marquée par des interventions médicales compliquées et imprédictibles et par la souffrance physique et psychique produite par les moments tragiques vécus dans la boîte de nuit bucarestoise « Colectiv », dont l’incendie a réduit en cendres le destin de centaines de personnes. Cette tragédie a mis au jour de nombreux manquements graves aux procédures administratives et aux dispositions des lois en vigueur. Elle a aussi déclenché de l’émotion, de la solidarité avec les victimes et de la révolte contre ceux qui en sont considéré comme responsables. Les autorités ont commencé à vérifier tous les lieux de convivialité de Roumanie, dont 10% à peine respectent la loi à la lettre – c’est ce qu’affirment les experts qui avertissent qu’un tremblement de terre, par exemple, ferait des milliers de victimes dans le Vieux Centre de Bucarest. L’Ordre des architectes de Roumanie tire la sonnette d’alarme – l’incendie du club « Colectiv » a mis en évidence des irrégularités et de graves erreurs d’autorisation et de vérification de la sécurité des constructions.
Corina Cristea, 13.11.2015, 13:27
Le président de l’Ordre, l’architecte Şerban Ţigănaş explique le fait qu’en matière d’urbanisme, la situation de la Roumanie est mauvaise pour plusieurs raisons : « Une de ces raisons découle de la législation qui régit le BTP. La Roumanie n’est pas encore sortie des carcans d’un système de réflexion qui met l’accent sur des éléments soft, doux pour ainsi dire, plus difficiles à peser et à mesurer, comme, par exemple, la qualité d’ensemble de l’architecture ; ce système considère que l’essentiel c’est de ne pas recevoir quelque chose sur la tête en cas de tremblement de terre, c’est de ne pas se faire tuer par l’architecture au moment de l’utilisation, c’est aussi d’envelopper les bâtiments d’une couche de polystyrène suffisamment épaisse pour bloquer les pertes d’énergie thermique, un point c’est tout. Notre système de lois régissant ce secteur d’activité est donc rudimentaire, déséquilibré. Le deuxième grand problème tient de l’application de ces lois, qui contiennent aussi de bonnes parties et une construction logique, mais qui sont difficiles à appliquer. La Roumanie se heurte bien souvent à des blocages dans l’activité de contrôle qui découle du non-respect de la loi. Tout le monde a appris que les écarts à la loi ou aux autorisations ne produisent pas de répercussions. Ce qui est un désastre. Le troisième problème est lié à l’éducation de nous autres de la profession, soumis à une pression de la dégradation ou bien à la perte d’efficacité et de cohérence ; et puis, il y a aussi l’éducation générale – autrement dit, dans tout pays, une bonne architecture a besoin de bons clients. Un bon client comprend dans une certaine mesure le besoin de qualité de l’espace, donc le besoin d’architecture, il n’a pas le comportement rencontré habituellement en Roumanie, où le désir premier de tout client est de faire baisser les coûts, en abandonnant le projet. »
Et c’est justement pour des raisons d’argent que les patrons du club Colectiv ont opté pour un matériel bon marché et inadéquat pour l’isolation phonique de la discothèque : une sorte d’éponge qui a commencé à brûler lors d’un feu d’artifices. Le pilier avoisinant la scène a pris feu, suivi immédiatement par le plafond du club. La fumée épaisse et le mélange de gaz toxiques ont causé des brûlures des voies respiratoires extrêmement graves aux jeunes qui n’avaient pas réussi à sortir de la discothèque. Entre temps, la loi de l’autorisation des boîtes de nuit est déjà en train d’être modifiée : les amendes ont été considérablement augmentées, alors que les patrons qui ne respectent pas les normes en vigueur risquent d’être accusés d’infractions pénales et voir fermer leur club.
Suite à cette tragédie, la société civile s’est mobilisée de manière exemplaire on pourrait dire. Devant la discothèque Colectiv, des dizaines de milliers de personnes ont allumé des bougies et déposé des fleurs à la mémoire des victimes. On a organisé des marches du silence en signe de solidarité avec les familles de victimes. Des milliers de gens ont senti le besoin de contribuer soit en achetant des médicaments, soit en donnant du sang ou de l’argent.
Voici les propos de la directrice du Centre de transfusions de Bucarest, Doina Goşa: «La mobilisation est impressionnante. Moi, très honnêtement, je n’ai jamais vécu quelque chose de pareil. Tout le monde veut donner son sang, tout le monde veut aider d’une manière ou d’une autre. Les gens ont été extrêmement sensibles à cette tragédie… Surtout que les victimes étaient tellement jeunes pour la plupart et qu’elles ont perdu la vie ou ont eu des brûlures épouvantables… Nous savons tous, la pire des douleurs est celle causée par des brûlures. J’ai vu sur toute les chaînes de télévision que les médecins qui ont accordé les premiers soins, des médecins avec beaucoup d’expérience, des médecins habitués à s’occuper de patients grièvement blessés – ces médecins donc ont beaucoup souffert pour ces jeunes. »
Suite à la tragédie du club Colectiv, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue à Bucarest et dans d’autres villes du pays et même de l’étranger, demandant la réforme de l’ensemble de la classe politique roumaine. Suite aux protestations, le premier ministre Victor Ponta et son gouvernement ont démissionné. (Trad. Ileana Taroi, Valentina Beleavski)