Les leçons d’une pandémie
La crise consécutive à la pandémie provoquée par le nouveau coronavirus a mis en évidence nombre de vulnérabilités structurelles, a changé les comportements, a mis à mal les économies du monde, questionnant l’avenir. Des centaines de milliers de familles endeuillées pleurent d’ores et déjà leurs morts. Des centaines de milliers de destins sont brisés à jamais, alors qu’il y en a au moins autant pour lesquels la vie ne sera plus jamais la même. Pourtant, si dans une première phase les conséquences de la crise se sont comptabilisées en faisant le décompte des victimes, l’ombre d’une crise économique d’une ampleur inconnue depuis la Grande Dépression semble nous guetter.
Corina Cristea, 11.09.2020, 12:07
Par ailleurs, le rapport de pouvoir entre les Grandes Puissances pourrait directement dépendre de la rapidité dont elles seront capables d’agir pour redémarrer leurs économies respectives. Invité au micro de Radio Roumanie, Ovidiu Nahoi, rédacteur en chef de RFI-Roumanie, pense que tout le monde sortira affaibli de cette épreuve: « Il est difficile de déceler qui tirera le mieux son épingle du jeu. Nous souhaitons, d’évidence, à ce que les économies libérales, les économies créatives, plutôt que les économies des Etats totalitaires, puissent se développer et se remettre d’aplomb. Vous savez, il y a eu cette marotte qui a circulé, notamment au début de la crise, selon laquelle les Etats totalitaires ont abordé la lutte contre la pandémie d’une manière plus efficace. En fait, c’est un leurre, et on le voit de plus en plus d’ailleurs. Il faudrait attendre pour voir la manière dont nous allons reprendre du poil de la bête, comment la pandémie aurait infléchi notre façon de consommer, de comprendre les nouveaux équilibres économiques, les besoins en termes de capitaux et ainsi de suite. Personne ne serait aujourd’hui capable de faire des pronostics à cet égard. Personne ne sait de quoi seront faits nos lendemains. Ce que l’on sait, c’est que l’on se relève toujours après une crise. Nous avions déjà connu une crise financière, suivie par une décade de croissance ininterrompue. Espérons suivre le même modèle cette fois encore. Mais, définir la forme que prendra la relève, personne encore n’est capable de la dessiner, même pas les meilleurs économistes.»
Mircea Coşa, professeur de sciences économiques, parle, lui, d’un changement profond au niveau de ce que l’on appelle la chaîne des valeurs. Il s’agit d’un concept économique récent, mais basé sur une théorie plus ancienne, qui constate qu’un produit passe par 35, 40 fabricants, originaires de différents pays, jusqu’à ce qu’il devienne un produit fini, prêt à être mis sur le marché. Mircea Coşa :« Dans l’économie actuelle, plus rien n’est fabriqué, dès le départ et jusqu’au produit fini, dans un seul pays. Le problème qui se pose est de comprendre qui gère cette chaîne, qui a le leadership. Car il s’agit d’une chaîne composée de maillons de valeurs différentes. Celui qui réalise l’assemblage final aura une marge moins importante que celui qui fabrique des composantes essentielles, même si ces dernières ne représentent qu’une petite partie du produit final. L’Etat qui domine la chaîne de valeurs domine le monde. Aujourd’hui, ce sont les Etats-Unis. Voyez-vous, même dans le dernier téléphone portable chinois, vous allez retrouver une partie du savoir-faire, de la propriété intellectuelle appartenant aux Etats-Unis. Une partie de la recherche, du savoir-faire technologique américain, et dont les Chinois ne peuvent s’en dispenser s’ils veulent fabriquer ce produit. Si les choses continuaient sur la même lancée, on aurait pu se retrouver à ce que le « Made in China » soit remplacé par l’adage « Made by China ». A ce moment, la Chine aurait pris le leadership mondial. Mais aujourd’hui, les choses semblent évoluer différemment. Une évolution caractérisée par des heurts évidents parfois, telle la guerre commerciale déclarée par M. Trump à la Chine, pour stopper en quelque sorte cette évolution. Maintenant, ce virus, je n’en sais rien. Il est peut-être le fait d’un serpent, ou il a atterri depuis un laboratoire, on n’en sait rien. Mais grâce à cette crise, la chaîne de valeurs sera repensée, et il est à parier que ce changement profitera aux pays qui innovent au détriment des pays qui travaillent. »
L’eurodéputé roumain Cristian Bușoi, pense, quant à lui, que l’Europe devra tirer les leçons de cette crise. Depuis de nombreuses années on clame à cor et à cri l’importance d’un système médical fort. Et, ce que l’on voit aujourd’hui c’est que personne n’a vraiment été préparé à faire face à une telle épreuve. Cristian Bușoi: « Je ne puis que souhaiter un changement. Certes, l’on affronte aujourd’hui la crise du nouveau coronavirus. Mais demain, il peut y avoir d’autres pandémies. Il y a des théoriciens qui prévoient que ce genre de risque devient la menace la plus sérieuse pour les prochaines décennies. Des pandémies qui menacent l’état de santé, la stabilité, l’économie mondiale. Ensuite, n’oublions pas, il reste le SIDA, le cancer, avec leur lot de victimes. Ce sont de vraies menaces, les décideurs politiques à travers le monde doivent comprendre l’importance vitale du système de santé. L’autre défi se trouve au niveau de l’économie. Pouvoir redémarrer les économies de l’Union européenne. Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, on n’a plus jamais été confronté à un tel défi. Certains analystes, certains économistes pensent même qu’à l’époque il était plus facile. La guerre avait tout chamboulé, cela est vrai, mais cela s’était produit sur une longue période de temps. Les économies n’ont pas été bouleversées toutes au même moment. »
Aujourd’hui, en revanche, en l’espace de quelques semaines, le moteur économique européen s’est arrêté net, ajoute l’eurodéputé Cristian Bușoi. Et même s’il existe un plan économique européen de sortie de crise, qui comprend des injections massives de capitaux, et qui est adoubé par des plans nationaux, nous ignorons combien de temps cette crise va durer, combien elle sera profonde et, enfin, le temps qu’il nous faudra pour nous remettre d’aplomb. (Trad. Ionuţ Jugureanu)