Les enjeux du référendum de Turquie
L’idée d’un référendum censé modifier la Constitution de la République turque dans le sens d’une augmentation des pouvoirs du chef de l’Etat qui se voit conférer aussi un rôle exécutif est apparue en Turquie après la tentative de coup d’Etat de l’été 2016. Elle vient en complément à la politique d’épuration mise en œuvre à l’époque, dirigée contre tous les opposants de Recep Tayyip Erdogan, à commencer par les hauts responsables militaires et jusqu’aux magistrats et même aux enseignants. L’Union européenne a mis en garde contre le fait que le référendum constitutionnel visant un éventuel renforcement des pouvoir présidentiels de M Erdogan n’aiderait pas à détendre les relations entre Bruxelles et Ankara. Bruxelles a également souligné que le chef de l’Etat risquait même de mettre fin au processus d’adhésion du pays à l’espace communautaire.
Corina Cristea, 05.05.2017, 13:59
Et pourtant, le 16 avril dernier, les Turcs ont été appelés aux urnes. Selon les résultats de la consultation populaire, contestés par l’opposition, les partisans de Recep Tayyip Erdogan ont pourtant remporté une victoire à la limite, car le « Oui » a recueilli un peu plus de 51% des voix. Les Turcs ont voté en faveur de 18 amendements constitutionnels relatifs notamment aux prérogatives des pouvoirs exécutif et législatif. Les fonctions de premier ministre sont abolies. Le président aura le droit de nommer les membres du cabinet et sera épaulé par une série de vice-présidents. Pour sa part, le Parlement n’aura plus le droit d’initier des motions de censure. Ce qui plus est, le président pourra choisir de rester membre d’un parti politique et nommer quatre des 13 juges de la plus importante Cour de Justice du pays. C’est en effet, le plus important changement politique depuis la création de la République turque en 1923.
Au micro de Radio Roumanie Actualités, Andrei Țărnea, directeur de l’ONG « l’Institut Aspen Roumanie » a évoqué les enjeux du référendum de Turquie, à partir du contexte démographique et culturel spécifique, reflété par une société traditionnellement divisée. Par ailleurs, la loi fondamentale en vigueur en Turquie étant le résultat du coup d’Etat militaire des années ’80, une grande partie de la société turque ne l’a pas perçue comme un texte législatif légitime qui respecte ses intérêts, explique Andrei Țărnea.
Andrei Țărnea : « La partie de la société qui n’e l’a jamais considéré comme un document démocratique pour la Turquie est non seulement le segment traditionnel islamo-conservateur, mais aussi une frange de l’extrême gauche turque, celle qui représente un public important parmi les électeurs des grandes villes. La société turque a considérablement évolué pour ce qui est de sa composition, de sa structure démographique et culturelle. La voix de cette région anatolienne, plutôt rurale, conservatrice, certainement plus islamiste, plus orientée envers les valeurs religieuses, a exercé, ces 10 dernières années d’administration Erdogan, c’est-à-dire durant ses mandats de premier ministre et de président, une influence croissante dans la société turque. »
Cette situation intervient sur la toile de fond du succès économique notable enregistré par l’administration Erdogan, mais dont le leader turc n’a pas été l’auteur. Le progrès économique de la dernière décennie s’explique surtout par le rapprochement entre la Turquie et l’UE, par l’accord d’association avec la Communauté européenne et les investissements étrangers croissants dans ce pays. Comment seront vus ces changements par l’autre partie de la société, celle qui a voté « non » au référendum ?
Qu’est-ce qui va se passer avec les deux Turquies ? Soulignant l’immense pouvoir économique de l’élite turque, mais aussi le fait qu’elle détient le monopole sur la décision dans ce pays, Andrei Tarnea s’attend à ce que les tensions politiques se poursuivent à l’avenir aussi.
Andrei Țărnea : « Cette élite urbaine, éduquée et pas toujours éloignée de ce que l’on appelle corruption est celle qui a accaparé tout le pouvoir économique en Turque – il s’agit donc des grandes familles économiques, intégrées à la verticale, avec des relations dans le système militaire et civile, dans la politique, dans la Justice de Turquie. Cette partie de la société, qui a été confrontée à une résistance au niveau de la société, aussi bien dans l’aile gauche, que dans cette l’aile conservatrice, a, de nos jours, perdu toute légitimité. Aujourd’hui, cette division classique se superpose sur une nouvelle division entre la Turquie progressiste, la Turquie moderne et une Turquie conservatrice islamiste. Cette fracture couvre différentes options de politique étrangère, différentes visions sur le rôle de la politique dans l’Etat, des institutions et sur l’avenir culturel de la Turquie. Et pour compliquer davantage les choses, dans un contexte régional difficile, avec une Europe en pleine crise, l’immense diaspora turque a eu un rôle à jouer. Cette division a également été visible en Europe. Si la vaste majorité de l’importante diaspora turque des pays scandinaves et du sud de l’Europe a voté NON au référendum, la diaspora turque de nouvelle génération, venue notamment d’Anatolie en Allemagne, aux Pays-Bas et en Autriche, a voté surtout OUI. »
Pour les analystes, le référendum a constitué un vote de confiance accordé à M Erdogan et au pays que celui-ci souhaite édifier. Un pays sur lequel le peuple lui a offert un contrôle total, malgré la différence minuscule qui existe entre le nombre de ceux qui soutiennent ses ambitions absolutistes et de ceux qui s’y opposent. Désormais, les craintes des experts sont liées notamment au fait que la victoire au référendum pourrait encourager Recep Tayyip Erdogan à poursuivre les changements constitutionnels promis et à réintroduire la peine capitale, un sujet véhiculé depuis quelque temps déjà. (Trad. Mariana Tudose)