Les effets psychologiques de la pandémie
Bien que la
pandémie de Covid-19 se trouve aujourd’hui sur une tendance décroissante, elle
n’a pas manqué de marquer de son empreinte le quotidien de chacun d’entre nous
depuis plus de deux ans. Et ses effets ne se calculent pas juste en nombre de
décès, ni par baisse du PIB, mais comprennent encore les effets psychologiques à
long terme sur la population générale, des effets qui ont conduit, entre autres,
à une augmentation massive de l’incidence des symptômes d’anxiété et de
dépression.
Corina Cristea, 08.07.2022, 10:10
Bien que la
pandémie de Covid-19 se trouve aujourd’hui sur une tendance décroissante, elle
n’a pas manqué de marquer de son empreinte le quotidien de chacun d’entre nous
depuis plus de deux ans. Et ses effets ne se calculent pas juste en nombre de
décès, ni par baisse du PIB, mais comprennent encore les effets psychologiques à
long terme sur la population générale, des effets qui ont conduit, entre autres,
à une augmentation massive de l’incidence des symptômes d’anxiété et de
dépression.
En effet, les
professionnels de la santé font état d’une augmentation de 25% de ces cas, et
cela uniquement après la première année de pandémie. Ce qui laisse présager le
pire pour la suite. La situation est par ailleurs confirmée par une analyse des
politiques en matière d’évolution des maladies neurologiques en Roumanie, et correspond
en cela aux données recueillies par l’OMS, qui estime à plus de 40 millions les
citoyens européens souffrant de dépression, soit l’équivalent de 4,3 % de la
population de l’Union européenne. Les médecins croient savoir que la pandémie a
touché des patients dont la pathologie psychiatrique avait débuté à la suite de
l’infection de COVID-19, touchant moins les patients déjà affectés par un
trouble mental, ou qui étaient sujets à une dépression chronique. L’absence
d’informations fiables, crédibles et facilement accessibles au grand public,
qui devaient accompagner la gestion de la pandémie par les pouvoirs publics et
les mesures prises par ces derniers pour l’enrayer, a paraît-il largement
contribué à cette situation.
En effet, d’aucuns,
effrayés par le risque d’attraper le virus, se sont vu mourir. La peur d’une
mort imminente avait d’ailleurs particulièrement touché les malades
hospitalisés des suites de la Covid-19. L’explosion de l’infox a représenté une
autre source d’angoisses incontrôlables pour une bonne partie de la population.
Enfin, l’absence de
toute prévisibilité, l’impossibilité de bâtir des plans d’avenir s’est avérée
également dommageable pour l’état d’esprit d’une bonne partie d’entre nous.
La doctoresse Ioana
Stăncel, spécialiste en politiques de santé, rappelle combien l’homme demeure
un être social, qui n’est pas habitué aux situations d’isolement, à l’absence
de la communication directe, avec son médecin par exemple, et qui est dominé
par l’incompréhension devant cette situation nouvelle, aux contours flous. Par
ailleurs, le système de santé s’avéra lent à réagir face à la détresse des personnes
touchées par les effets psychologiques de l’isolement, les praticiens mettant
encore trop souvent l’accent sur le traitement des seuls symptômes visibles,
affirme la médecin Ioana Stăncel.
Ioana Stăncel : « Ces effets ne peuvent
être observés que sur le long terme. Ce n’est que maintenant que l’on arrive à
poser des diagnostiques. Soit parce que l’on observe des symptomatologies
associées, soit parce que l’on arrive à diagnostiquer correctement des
symptomatologies caractérisées. L’on se confronte à de nombreux patients
atteints de ce syndrome de fatigue chronique, et que peu de praticiens
arrivaient à diagnostiquer correctement comme effet de la forme longue de
Covid. Fatigues chroniques, fatigues rebelles, besoin irrépressible de repos,
demandes de traitements spécifiques, c’est le lot de beaucoup de généralistes. Mais
je crois que c’est seulement désormais que nous prenons la mesure des
conséquences sociales de ces manifestations à travers la diminution de la capacité
de travailler, d’apprendre, de retrouver ses comportements sociétaux d’avant la
maladie. »
Après deux années extrêmement rudes et déstabilisantes, nous nous voyons
aujourd’hui confrontés à une nouvelle source majeure de stress, représentée par
l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui ne fait qu’augmenter le niveau
d’inquiétude et d’angoisse de la population générale. Une source d’angoisse qui
peut facilement se traduire aussi par l’augmentation du niveau d’agressivité
individuelle, déjà manifesté par certaines personnes dans le contexte de la
situation pandémique, comme nous l’explique dans son analyse la même Ioana
Stăncel.
Ioana Stăncel : « Durant la pandémie, la
réalité a été interprétée selon différentes grilles de lecture. Chaque individu
s’est créé ses propres scénarios, en fonction desquels il se voyait parfois comme
un sauveur, une sorte de super héros. D’un autre côté, le degré de tolérance
envers les autres, parfois envers ses proches, envers les droits d’autrui de
penser différemment, a considérablement diminué. Des poches de
« détenteurs de vérité » ont fait leur apparition. Au regard du
conflit actuel, la pandémie a vraisemblablement exacerbé la lutte pour l’accès
aux ressources matérielles ou naturelles, et cela n’a fait qu’exacerber le
sentiment d’être en danger. Il est probable que les puissances en présence
n’ont pas su gérer correctement leurs sentiments d’angoisse, la perception des
risques supposés, un sentiment qui a été exacerbé, sans être nécessairement
fondé sur une réalité objective, et qu’elles n’ont pas su parvenir à une
désescalade. Dans cette région élargie, formée par la Roumanie, la République
de Moldova et l’Ukraine, l’on avait mené plusieurs études, et j’avais
d’ailleurs pris part à certaines d’entre elles, pour évaluer le sentiment de
sécurité sociétale, au sens défini par les concepts des études de sécurité, soit
la perception des risques sur soi, exprimés par les menaces, réelles, ou plutôt
ressenties comme telles, de la part d’autres groupes. Et même s’il est probable
que ce sentiment collectif d’insécurité ne repose aucunement sur des éléments
concrets, la perception erronée des risques a amené chacun des groupes
concernés à exacerber ses gesticulations guerrières, les manifestations de force,
de telle sorte que l’on est arrivé à des situations difficiles à gérer, à des
situations inextricables, et finalement à la guerre. En même temps, la pandémie
a conduit à certaines restrictions des libertés démocratiques, des libertés
individuelles, ce qui n’a fait qu’empirer la donne. »
Le sens de l’humour est, dans le contexte, une des armes privilégiées pour
lutter contre la dépression et l’anxiété, affirment les experts. Ces mêmes
experts nous conseillent à faire des projets sur le court terme, des projets à
l’issue rapide, à nous fixer des objectifs positifs et réalistes, à nous
concentrer sur de belles choses, à socialiser davantage, à rencontrer des amis,
écouter de la musique, marcher, prendre un animal de compagnie, rester à
l’écart des pseudo sources d’information, et à ne pas trop penser à l’avenir,
du moins tant qu’il nous parait trop incertain. En même temps, estime la
doctoresse Ioana Stăncel, en cas de besoin, il ne faut pas hésiter à s’appuyer
sur les deux béquilles : la recherche spirituelle, parfois en faisant
appel à un guide spirituel, et le support que les professionnels de la santé
mentale s’avèrent capables d’apporter. (Trad. Ionuţ Jugureanu)